« Les tragiques pertes en vies humaines et les risques pesant sur la paix en Israël, à Gaza et dans le reste de la région sont clairement dans les préoccupations de beaucoup. Nous en discutons ici brièvement les possibles répercussions économiques, mais nous soulignons l’extrême incertitude entourant la situation. Les répercussions de la crise dépendent de l’ampleur et de la durée du combat, des tensions géopolitiques associées et de la possible survenue d’attaques terroristes. Alors que la réaction globale des marchés financiers a été assez timide jusqu’à présent, il y a un risque significatif que le conflit s’intensifie et s’élargisse et les conséquences pourraient être sévères, en particulier pour les pays de la région.

Les marchés de l’énergie


D’une perspective économique mondiale, l’énergie est le problème de court terme le plus important. Les prix du pétrole étaient déjà élevés avant l’attaque contre Israël et celle-ci augmente la probabilité de perturbations dans l’offre (en particulier si la crise implique l’Iran ou si des troubles perturbent la production en Iraq) et plus généralement la nervosité des marchés. Les prix du pétrole ont augmenté d’environ 5 dollars depuis le début du conflit, même si la production de pétrole ne semble pas avoir été affectée. Les chocs d’offre de pétrole pèseraient sur l’activité économique dans les pays importateurs d’énergie et sur l’économie mondiale plus généralement, les estimations du FMI suggérant qu’une hausse de 10 % des prix du pétrole pourrait réduire la croissance mondiale de 0,15 point de pourcentage. Plusieurs importateurs de pétrole dans le monde émergent et en développement, comme le Pakistan, font déjà face à de mauvaises perspectives économiques. Des perturbations dans l’approvisionnement en gaz sont également possibles (il y a eu quelques interruptions de la production dans le champ israélien de Tamar) et nous avons vu des pressions haussières sur les prix du gaz en Europe. Une intensification des tensions au Moyen-Orient pourrait aussi se répercuter sur l’approvisionnement européen en gaz à partir de la région.

En plus de l’impact négatif des chocs des prix de l’énergie sur l’activité économique, la hausse des prix de l’énergie pourrait davantage compliquer les tentatives des banques centrales autour du monde visant à ramener l’inflation à sa cible. Le FMI estime qu’une hausse de 10 % des prix du pétrole mondiaux pourrait accroître l’inflation de 0,4 points de pourcentage.

L’aversion au risque mondiale


L’exacerbation des tensions géopolitiques alimente généralement le sentiment de risque, creusant les spreads et exerçant des pressions à la hausse sur le dollar. Le resserrement subséquent des conditions financières mondiales peut avoir de sévères répercussions pour les économies avec des vulnérabilités externes. Entre autres, il y a divers pays émergents et en développement qui connaissaient déjà des problèmes de dette externe et une perte de confiance de la part des investisseurs financières internationaux. En plus de l’impact via les marchés financiers, l’exacerbation des tensions et l’éventualité d’actes terroristes au-delà de la région peuvent davantage dégrader la confiance et par là la demande agrégée.

Au cours des deux dernières semaines, les réactions des marchés financiers ont été assez timides : les cours boursiers mondiaux ont légèrement baissé et les spreads se sont légèrement élargis. Les taux d’intérêt à long terme américains, qui baissent généralement lorsque le sentiment de risque s’accroît, ont en fait augmenté, ce qui traduit peut-être des inquiétudes à l’idée qu’une hausse des prix de l’énergie alimente les pressions inflationnistes, ce qui entraînerait un nouveau resserrement de la politique monétaire. Mais le risque demeure qu’une intensification et une extension du conflit déclenchent une réaction plus pessimiste des marchés financiers.

Perspectives régionales


L’économie israélienne part d’une position forte et elle a fait preuve d’une remarquable résilience lors des périodes de conflits et de guerre par le passé. Elle a connu une croissance rapide depuis la crise financière mondiale de 2008-2009 (de 4,2 % en moyenne et de 2,2 % par tête) et son PIB dépassait les 500 milliards de dollars en 2022 (54.000 dollars par tête). Le pays a une position créditrice nette équivalente à 30 % du PIB et ses réserves de change dépassent les 200 milliards de dollars. Malgré cela, l’économie est clairement affectée via plusieurs canaux, notamment l’impact de la mobilisation militaire sur l’offre de travail, la chute du tourisme et l’impact des craintes en matière de sécurité sur les besoins en dépenses publiques, l’investissement et les flux de capitaux. Sa monnaie, le shekel, qui était affaibli les mois précédant l’attaque en raison des inquiétudes relatives à la Cour suprême, s’est déprécié d’environ 5 % en termes nominaux effectifs depuis début octobre et la banque centrale d’Israël a pris des mesures pour stabiliser les marchés financiers, notamment en annonçant un programme pour acheter jusqu’à 30 milliards de dollars de réserves de change.

D’autres pays de la région partent d’une situation plus fragile. Le Liban est toujours englué dans une crise financière d’une extrême sévérité, avec une baisse de son PIB dépassant les 50 % depuis 2018. La Jordanie a une dette externe élevée (sa position nette débitrice excédait les 110 % du PIB) et une aggravation des conflits régionaux pourrait peser sur la stabilité domestique et le tourisme, une source importante de devises étrangères. L’Egypte est également dépendante du tourisme pour ses recettes en devises et elle fait face à de piètres perspectives macroéconomiques, avec de larges spreads sur sa dette externe et des pressions sur son taux de change administré. La situation économique à Gaza, qui était déjà très difficile, est dramatique, avec d’importants besoins à court terme en matière d’aide d’urgence et des perspectives inquiétantes pour la reconstruction et plus généralement l’activité économique future. Et, bien sûr, le moindre optimisme quant à une normalisation plus durable des relations avec Israël et à un apaisement des tensions régionales est une mauvaise nouvelle pour un ensemble plus large de pays du Moyen-Orient et d’au-delà. »

Gian Maria Milesi-Ferretti, « The Israel and Gaza war: Economic repercussions », Brookings, 23 octobre 2023. Traduit par Martin Anota