« L’année 2022 a fini sur une note amère avec la disparition de Martin Ravallion, qui a travaillé pendant un quart de siècle à la Banque mondial et ensuite à l’Université de Georgeton. Ravallion a également été un chercheur associé au Center for Global Development (CGD), où il s’est activement engagé dans les débats politiques.

Ravallion est avant tout célèbre pour ses nombreux travaux sur la mesure de la pauvreté et des inégalités. Si vous avez déjà étendu parler de la pauvreté comment étant caractérisée par 1 dollar par jour (ou 1,08 dollar ou, plus tard, 1,25 dollar par jour), cela vient de ses travaux (avec ses collaborateurs, Ravallion et alii, 2009). Comme l’économiste Branko Milanovic l’a écrit, sans les données pour la collecte et l’analyse desquelles Ravallion a joué un rôle "crucial", "nous n’aurions pas su aujourd’hui quelle est la situation dans le monde en ce qui concerne des domaines importants comme la pauvreté et les inégalités". Au-delà de la mesure de la pauvreté, Ravallion a travaillé sur des programmes et des politiques visant à réduire la pauvreté.

Les journalistes Sanne Blauw et Maite Vermeulen ont fourni un portrait de Ravallion et de son travail dans De Correspondent en 2016, le qualifiant de "plus grand croisé anti-pauvreté dont vous ayez entendu parler". Ils poursuivent : "Combien de personnes précisément Ravallion a-t-il sauvées de la pauvreté ? Même ses méthodes statistiques avancées ne peuvent le dire. Mais même si nous ne pouvons pas le mesurer, aucun collègue n’en doute : sans les travaux de Ravallion, il y aurait bien plus de pauvreté dans le monde."

Ravallion a été influent et prolifique. Il a plus de 370 publications qui ont été citées au moins dix fois. Ses articles vont d’une note théorique publiée en 1979 dans Urban Studies expliquant pourquoi les salaires peuvent varier dans une zone urbaine (Ravallion, 1979) à neuf articles publiés l’année dernière, en 2022 (certains comme documents de travail et d’autres comme articles de journaux), essentiellement sur ses principaux sujets d’expertise, à savoir la pauvreté et les inégalités. Mais les travaux de Ravallion sont allés au-delà de ces domaines, incluant des articles sur l’éducation, les indices de développement multidimensionnels, la santé et plus encore. (…) Voici un micro-résumé de chacun de ses 15 articles les plus cités (par an, depuis leur publication).

Comment pouvons-nous mesurer la pauvreté et les effets des programmes anti-pauvreté ?

Comment comparez-vous les niveaux de pauvreté au cours du temps ? Comment comparez-vous la pauvreté d’un pays à l’autre ? Comment pouvez faire pour dire si la pauvreté a chuté après l’introduction d’une certaine politique ? Ravallion a littéralement écrit le livre sur le sujet, Poverty Comparisons. "Les enquêtes menées auprès des ménages sont la seule source la plus importante de données pour faire des comparaisons à propos de la pauvreté." (Ravallion, 1994)

Ce n’est pas assez sur la pauvreté pour vous ? En 2016, Ravallion a publié un livre de plus de 700 pages non seulement sur la mesure de la pauvreté, mais aussi sur les façons par lesquelles les populations ont réfléchi à propos de la pauvreté au cours de l’histoire et l’éventail de politiques utilisées pour s’attaquer à la pauvreté (Ravallion, 2016). David McKenzie a écrit une recension de ce livre sur le blog Development Impact.

Les pays les plus pauvres tendent à avoir les seuils de pauvreté les plus bas. En d’autres mots, une personne doit être plus pauvre en termes absolus pour être classée comme pauvre. La plus vieille classification "moins d’un dollar par jour" est tirée des seuils de pauvreté nationaux des pays les plus pauvres. Les données actualisées de 2005 s’appuient sur 1,25 dollar par jour comme indicateur de pauvreté (Ravallion et alii, 2009).

Quel est le lien entre croissance économique, pauvreté et inégalités ?

Les nouvelles données sur les seuils de pauvreté nationaux et sur les prix montrent qu’en 2005 il y avait plus de ménages dans la pauvreté (25%) que les précédentes estimations ne le suggéraient, mais les progrès contre la pauvreté restaient positifs (Chen et Ravallion, 2010).

Quelle est la relation entre la croissance économique, les niveaux de pauvreté et les inégalités ? Cela dépend ! Alors qu’il n’y a pas de corrélation absolue entre croissance et inégalités. Il y a plusieurs exemples de pays où les inégalités ont eu tendance à augmenter ou à diminuer à mesure que l’économie croissait. "Alors que l’élaboration de bonnes politiques pour combattre la pauvreté doit évidemment tenir compte des impacts au niveau agrégé sur les pauvres, elle ne peut ignorer la diversité des impacts derrière les moyennes et il y a ici de bons travaux micro-empiriques qui peuvent aider." (Ravallion, 2001)

Dans quelle mesure la croissance économique bénéficie-t-elle aux pauvres ? L'usage d'une nouvelle approche pour le mesurer suggère qu'une bonne façon de répondre à la question consiste à regarder la croissance spécifiquement pour les pauvres. En Chine, à la fin des années 1990, la croissance pour les plus pauvres était plus lente que la croissance globale (Ravallion et Chen, 2003).

Parmi 67 pays "en développement et en transition " durant les années 1980 et au début des années 1990, la croissance économique et les inégalités n’étaient généralement pas corrélées entre elles. "Globalement, il y a eu une petite baisse de la pauvreté absolue" (Ravallion et Chen, 1997).

Comment la pauvreté a-t-elle changé au cours du temps ?

"Au cours des deux décennies qui ont suivi l’initiation de réformes pro-marchés en 1928, (…) la Chine a réalisé d’importants progrès contre la pauvreté", mais les inégalités ont augmenté et "les politiques menées au niveau de l’économie", comme les réformes commerciales, "ont eu des résultats mitigés". (Ravallion et Chen, 2007)

"Au cours de la période allant de 1993 à 2002, le nombre de pauvres vivant avec moins d’un dollar par jour a chuté de 150 millions dans les zones rurales, mais augmenté de 50 millions dans les zones urbaines… L’Amérique latine a les problèmes de pauvreté les plus urbanisés, l’Asie de l’Est les moins urbanisés." (Ravallion et alii, 2007)

Qu’est-ce que cela signifie d’appartenir à la classe moyenne ? Si vous définissez celle-ci comme regroupant les individus qui sont au-dessus du seuil de pauvreté médiane des pays à bas revenu ou à revenu intermédiaire, mais toujours pauvres selon les standards des pays riches, alors entre 1990 et 2005, 1,5 milliard de personnes ont rejoint "la classe moyenne du monde en développement. Les quatre-cinquièmes d’entre elles habitent en Asie, la moitié en Chine" (Ravallion, 2010).

"Selon l’indicateur d’un dollar par jour, il y avait 1,1 milliard de personnes pauvres en 2001 et 400 millions de moins par rapport à vingt ans plus tôt." Une grosse partie de cette chute de la pauvreté concerne la Chine au début des années 1980. "Au même instant, le nombre de personnes dans le monde vivant avec moins de deux dollars par jours a augmenté, si bien qu’il y a eu une hausse marquée du nombre de personnes vivant avec un à deux dollars par jour. L’Afrique subsaharienne est devenue la région avec l’incidence la plus forte de l’extrême pauvreté et la plus grande profondeur de la pauvreté." (Chen et Ravallion, 2004) (...) »

David Evans, « The work of Martin Ravallion on poverty and inequality », 4 mars 2023. Traduit par Martin Anota



Aller plus loin...

« Aura-t-on éliminé l’extrême pauvreté dans le monde en 2030 ? »

« Comment réduire la pauvreté dans un monde plus riche ? »

« Les plus pauvres ont-ils été laissés à la traîne ? »