« Le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, au cours d’une interview donnée à CNBC, a dénié que la politique budgétaire et la politique monétaire puissent jouer un rôle pour résoudre la crise économique : "La politique monétaire ne peut vraiment pas nous aider à sortir de la crise. Elle peut relâcher la pression, assouplir une nouvelle croissance, mais ce dont nous avons vraiment besoin dans tous les pays, ce sont avant tout des réformes structurelles. (…) Dans le policy mix formée par la politique budgétaire, la politique monétaire et les réformes structurelles, je voudrais que l’ordre des priorités soit exactement l'inverse : les réformes structurelles en premier lieu, la politique budgétaire et des cibles viables à moyen terme pour toutes les régions en deuxième lieu. La politique monétaire ne peut quant à elle que seulement assouplir les problèmes économiques nationaux à court terme."

Je ne sais pas exactement quoi faire de sa déclaration, mais il semble que les solutions à long terme devraient venir en premier, avant que nous ne mettions en œuvre celles qui pourraient nous aider à court terme. Il est surprenant que, même aujourd'hui, il y ait une si grande confusion entre les problèmes de long terme et les problèmes conjoncturels.

Cette confusion provient d'une croyance fondamentale que certains partagent et selon laquelle il n'y a rien de fondamentalement différent dans la dynamique d'une économie lorsque l'on regarde le court terme et le long terme. Cela fait partie d'un débat académique sans fin, mais quand il s'agit des décideurs et des politiciens, il semble être plus une question de croyances.

Ce qui n’est pas toujours compris, c'est que nous avons affaire à deux problèmes distincts et que nous avons donc besoin de deux ensembles différents d'outils et de solutions pour y faire face.

Il est possible que le comportement irresponsable des dépenses et l'accumulation excessive de dette (privée ou publique) soient la cause de la Grande Récession. Et si cela est vrai, il sera nécessaire d’ajuster à l’avenir les plans de dépenses, de se désendetter et de maintenir une discipline budgétaire afin d'éviter que cet événement ne se répète à nouveau.

Mais une fois la crise commencée, nous sommes face à un second problème : une récession qui nous éloigne du plein emploi. Il s'agit d'un phénomène conjoncturel qui est bien décrit dans les manuels macroéconomiques et, pour y faire face, nous devons utiliser la politique monétaire et la politique budgétaire. Le fait que la dette et les dépenses excessives soient potentiellement la cause de cet événement conjoncturel ne signifie pas que nous devrions résoudre maintenant ces déséquilibres pour sortir de la crise. Nous sommes face à deux phénomènes distincts qui ne sont liés que parce que l'un conduit peut-être au second, mais les dynamiques associées à chacun d’entre eux sont très différentes et les recettes pour y remédier peuvent s’avérer, dans certains cas, opposées.

C'est ce que nous écrivons dans tous les manuels de macroéconomie : ce qui fonctionne dans le court terme pourrait ne pas fonctionner sur le long terme. À titre d'exemple, nous insistons sur l'importance d'épargner à long terme pour stimuler l'investissement et la croissance. Mais quand on parle de court terme, nous insistons sur l'importance de la dépense pour comprendre les fluctuations de l'activité économique. Les dépenses excessives brident la croissance à long terme, mais ce sont les dépenses et la demande qui conduisent la croissance à court terme.

Viendra un jour où nous aurons à débattre pour savoir si le phénomène conjoncturel a bien été réglé, parce que nous serons de retour au plein emploi et que toute notre attention devra alors se tourner vers le long terme, mais l’on peut difficilement prétendre que l'Europe soit aujourd'hui dans cette situation. Mon but n'est pas de nier qu'il y ait de nombreux et profonds problèmes structurels à régler dans les pays européens, mais de reconnaître que nous avons affaire à deux ensembles de dynamiques qui exigent des solutions différentes et, tant que nous n’inventons pas le voyage dans le temps, le court terme précédera toujours le long terme. »

Antonio Fatás, « Time travail in Euroland », 13 mai 2013.