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« La majorité des pauvres dans le monde n’a qu’un accès limité (…) aux sources formelles de crédit. Ils dépendent des sources informelles de crédit telles que les prêteurs sur gages (moneylenders) qui sont peu fiables et relativement coûteux (…) ou encore les réseaux de famille et d’amis. Un tel rationnement du crédit contraint l’entrepreneuriat et la croissance économique, ce qui maintient la population dans la pauvreté. L'introduction de la microfinance, mise au point par la Grameen Bank du Bangladesh, a cherché à offrir une solution durable à ce problème et a conduit à la multiplication des institutions de microfinance (IMF) qui trouvent généralement leurs fonds auprès des organisations internationales. Le modèle d'origine était de proposer des prêts à responsabilité conjointe à des groupes de personnes (souvent des femmes) dénuées de collatéral ; plus récemment, se sont développés les petits prêts à responsabilité individuelle en échange de collatéraux ou garanties offerts par des tiers. L’enjeu théorique et politique est de savoir si la disponibilité des fonds pour les plus démunis est susceptible de conduire à une réduction de la pauvreté et de promouvoir la croissance économique.

Notre étude répond à cet enjeu en analysant les résultats d'une expérience où des prêts furent accordés de façon aléatoire à un sous-ensemble de candidats considérés comme trop risqués et "non fiables" pour recevoir des prêts d'une IMF bien établie en Bosnie. Notre groupe est plus pauvre et généralement plus désavantagé que les emprunteurs habituels. (…) Ils ont demandé un prêt à l’IMF en croyant disposer d’une opportunité d'investissement rentable, mais celle-ci a refusé de lui en accorder. C'est précisément le groupe que nous devons analyser si nous voulons comprendre si l’allégement des contraintes de liquidité peut être un outil efficace pour lutter contre la pauvreté. (...)

Les prêts ont stimulé l’activité entrepreneuriale et l'emploi indépendant. Cela ne s’est toutefois pas traduit par une augmentation des profits ou des revenus des ménages au cours des 14 mois de notre période d'observation. (…) Ceux qui n’avaient pas d'épargne (surtout les moins éduqués) ont réduit leur consommation, tandis que ceux qui possédaient déjà auparavant une activité et de l’épargne ont puisé dans leurs fonds propres. (…) Les prêts sont en soi insuffisants pour démarrer ou développer une activité entrepreneuriale. Il semble que les ménages, en anticipation des rendements futurs, aient utilisé leurs propres ressources pour compléter le prêt afin d'atteindre un montant de fonds qui soit suffisant pour investir (…).

Les prêts ont mené à une forte baisse de la scolarisation et à une augmentation de l'offre de travail des enfants âgés de 16 à 19,5 ans. Toutefois, l'offre de travail et la scolarisation des enfants de moins de 16 n’ont pas été affectés. L'accroissement de l’offre de travail des 16-19 ans peut apparaître en premier lieu surprenant si l'on considère que le prêt a atténué une contrainte de liquidité et permis ainsi aux enfants de s’impliquer davantage dans leur scolarité.

Cependant, l'autre force en jeu est la nouvelle opportunité pour démarrer ou développer une entreprise. S’il ne dispose pas suffisamment de liquidités, le ménage devra trouver des ressources ailleurs (…). Les enfants peuvent plus facilement attendre leur salaire (…) ou être payés en nature. La main-d'œuvre interne peut aussi être moins chère que d'embaucher quelqu'un sur le marché externe en raison des coûts de réglementation et de supervision. Il y a donc à la fois un effet-prix et un effet-liquidité en faveur du travail interne et en défaveur de la scolarisation. L'inefficacité peut être plus forte si les parents, qui sont la source de financement de l'éducation, se soucient plus de leur utilité que de leur enfant et donc sous-estiment les bénéfices futurs de l'éducation (…). Dans ce cas, une conséquence involontaire du microprêt est d'aggraver le sort des enfants, tout en transférant des ressources aux parents. D'autre part, l'inefficacité est atténuée si seuls les enfants ayant un faible rendement d’éducation sont retirés de l'école (…). Cependant, l'effet est assez large et, selon toute vraisemblance, on peut s'attendre à ce que les rendements futurs de l'éducation soient assez élevés pour beaucoup de ces enfants dans une économie à fort potentiel de croissance et de rattrapage sur le reste de l'Europe. »

Britta Augsburg, Ralph De Haas, Heike Harmgart & Costas Meghir, « Microfinance, poverty and education », NBER working paper, n° 18538, novembre 2012.