« Cela semble être une idée très répandue en ce moment. Le point de vue selon lequel la zone euro devrait se tourner vers l'union budgétaire (ce qui implique par ailleurs une certaine forme d'union politique) vient de deux directions :

  1. Ceux qui travaillent dans les unions politiques que sont les Etats-Unis ou le Royaume-Uni savent que les unions monétaires couplées à une union budgétaire sont à même de fonctionner. De ce point de vue, l’union purement monétaire de la zone euro était une expérience sans réels précédents et elle semble avoir échoué (voir par exemple Acemoglu et Robinson). Reformulons cela : elle a échoué. La crise perpétuelle des marchés est peut-être résolue grâce à l'OMT, mais (…) le chômage dans la périphérie ne fait qu'empirer. (Kevin O'Rourke dit tout cela crûment, mais avec rigueur.)

  2. Dans la zone euro elle-même, il y a toujours eu un puissant lobby en faveur de l’approfondissement de l’intégration. Il n'est donc pas surprenant que des acteurs tels que la Commission considère la poursuite de l'intégration comme la solution à long terme aux problèmes de la zone euro.

Pourtant, nous devrions être très prudents lorsque nous généralisons à partir d'une seule observation. Il peut utile de se rappeler pourquoi la zone euro n'a pas été le test honnête d'une union monétaire sans union budgétaire :

  1. La crise de compétitivité résulte en partie de la croyance erronée des marchés selon laquelle le risque de défaut sur la dette de chaque Etat-membres était semblable à celui sur la dette allemande, une erreur qui sera peu susceptible de se reproduire au cours des prochaines décennies. Dans les années qui ont précédé la récession, la politique budgétaire n’a aucunement été utilisée pour compenser la surchauffe dans les pays périphériques. (Pour en savoir plus sur les raisons pour lesquelles la politique anticyclique constitue la clé, voir Antonio Fatas)

  2. Dans probablement un seul cas, en l’occurrence la Grèce, il y avait clairement un problème d'excès budgétaire à la base. Pourtant, au lieu de reconnaître la nécessité d’un défaut dès le début, l’union chercha vainement à l'éviter en remplaçant la dette privée par les prêts intergouvernementaux, ce qui eut de désastreuses répercussions. Cette énorme erreur, pourtant évitable, a entraîné le pire moment de la crise, c’est-à-dire celui où la Grèce fut menacée de sortie. Elle continue d'imposer un degré désastreux d'austérité sur la Grèce.

  3. La situation budgétaire des autres économies de la zone euro est devenue critique parce que la Banque centrale européenne (BCE) a refusé de jouer son rôle de prêteur en dernier ressort. Si la BCE avait lancé son programme OMT deux ans plus tôt, la crise pourrait très bien avoir été résolue très rapidement. (…) La réaction des marchés a toujours eu davantage à voir avec la BCE qu’avec la situation budgétaire des pays, une observation qui a inspiré le premier billet de mon blog et que les études tendent à confirmer.

  4. L’actuelle récession à double creux de la zone euro résulte en grande partie d’un échec collectif dans l’orientation des politiques budgétaire et monétaire. La situation de la zone euro aurait été significativement meilleure si la BCE avait agi davantage comme la Réserve fédérale américaine et si l'Allemagne et les autres pays qui ont des finances publiques saines étaient moins obsédés par l'austérité. Rien de tout cela n’a vraiment à voir avec l’absence d’union budgétaire.


(…) Il est hâtif de condamner le concept d’ensemble d’une union monétaire sans union politique. C’est aussi potentiellement très dangereux. Nous ne devons pas oublier que l'union monétaire elle-même a été encouragée par la conviction selon laquelle le régime de taux de change fixe qui a précédé l'UEM était instable en raison de la pression des marchés. (Pour en savoir plus sur les origines de l'euro voir Harold James ici.) L’enseignement que l’on peut tirer aujourd’hui de l'échec de la zone euro est que celle-ci fut avant tout mal conçue et non que le concept était en soi erroné. Si cet échec conduit à une union monétaire et budgétaire imposée d'en haut sur un électorat réticent, en l’occurrence par une élite qui a beaucoup contribué à l’actuelle débâcle, on peut se demander à juste titre si une union politique mal conçue n’est pas encore plus désastreuse qu’une union monétaire mal conçue. »

Simon Wren-Lewis, « Is a monetary union without fiscal/political union doomed? », in Mainly Macro (blog), dimanche 24 février 2013.