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« (…) Il y a de bons arguments pour affirmer que ce qui est arrivé à la Grèce en 2010 a été crucial dans la transition vers l'austérité non seulement dans la zone euro, mais également au Royaume-Uni et aux États-Unis. Puisque désormais la plupart des gens raisonnables reconnaissent que le basculement mondial dans l'austérité fut une terrible erreur, il est important de comprendre ce qui s'est passé en Grèce. Il ne s’agit pas ici d'expliquer comment la Grèce est venue à se comporter d'une manière totalement irresponsable dans le domaine budgétaire, aussi intéressante et importante que soit cette question. Ces choses se produisent parfois, mais elles n'ont généralement pas de répercussions au niveau mondial. Ce qui est plus important, c'est la façon dont la zone euro et du FMI ont réagi aux événements, puisque cette réaction a contribué à transformer la crise grecque en crise de l'euro et plus encore.

Ces événements ont été récemment analysés par le FMI. Louons le FMI d'avoir analysé publiquement et de façon critique son rôle dans cette affaire. (…) Il y avait deux réactions possibles à avoir lorsque le gouvernement grec a annoncé les vrais chiffres des finances publiques. La première était le pardon, sous la forme d'un grand transfert budgétaire depuis les autres gouvernements de la zone euro. Ces gouvernements auraient pris acte, d’une part, que le peuple grec n’attendait pas de ses précédents gouvernements qu’ils se comportent ainsi, d'une manière aussi irresponsable, et, d’autre part, que la zone euro a échoué à mettre en place des institutions efficaces pour empêcher cela (…).

L'autre option possible était le défaut. Comme le rapport le note également (paragraphe 55), un certain nombre de programmes que le FMI a mis en œuvre depuis 2000 exigeaient une certaine "participation du secteur privé". Pourtant, la zone euro a d’emblée exclu cette possibilité (…). Pourquoi l’a-t-elle écartée ? L’une des explications possibles est qu’elle craignait de voir les marchés s’attaquer aux autres gouvernements vulnérables une fois le défaut grec devenu réalité. Comme on pouvait s'y attendre, ils l’ont fait de toute façon. Une autre explication, c'est que les banques dans les autres pays de la zone euro risquaient de perdre beaucoup d'argent avec le défaut souverain de la Grèce et de devenir encore plus fragiles. Il peut aussi y avoir eu une question de fierté.

En réalité, nous avons eu, d’une part, un transfert de propriété d'une grande partie de la dette du secteur privé à d'autres gouvernements de la zone euro et, d’autre part, une austérité paralysante pour la Grèce. Ce n'était pas soutenable : le défaut a juste été reporté, mais seulement le défaut partiel sur la dette privée restante. Des mesures supplémentaires d’austérité ont été imposées à la Grèce et les gouvernements de la zone euro ont promis qu'il n'y aurait pas de défaut sur la dette qu'ils détenaient. Et ainsi de suite.

Alors, pourquoi le FMI n’a-t-il pas signalé que le plan qui a été effectivement mis en place en Grèce n'était pas tenable et refusé d’y participer ? (...) Le vrai problème, comme je le constate ici, a été que les projections concernant l'économie grecque étaient désespérément optimistes. Et pourquoi l'ont-elles été ? Comme le FMI le reconnaît dans le rapport (paragraphe 41) et l’a même reconnu auparavant, il a sous-estimé l'impact de l'austérité sur l'économie. Il a mal estimé les multiplicateurs budgétaires. Pourtant, alors que le rapport tire un certain nombre de leçons de l'épisode dans son ensemble, je ne vois aucune analyse pour expliquer cette grave erreur. (…) Tout d'abord, lorsque les taux d'intérêt nominaux sont fixes, on peut considérer que le multiplicateur des dépenses publiques est égal à un. Dans une économie financièrement paralysée, il y a probablement beaucoup d'agents contraints par le crédit, de sorte que le multiplicateur budgétaire est également susceptible d'être beaucoup plus élevé que la normale. Par conséquent, les estimations du multiplicateur budgétaire qui se fondent sur l’expérience passée et notamment sur les épisodes au cours desquels la politique monétaire était à même de neutraliser l'impact de la politique budgétaire sont forcément erronées. (…) Connaissant un peu le FMI, j'aimerais bien savoir comment cette erreur a pu être commise.

Le document du FMI ne se contente pas de tirer rétrospectivement des leçons. Il pose également une importante question qui doit être débattue dans la zone euro, à savoir : quels sont les meilleurs dispositifs institutionnels pour le prêteur en dernier ressort aux Etats (PDRE) de la zone euro ? Comme l’a souligné Paul DeGrauwe, ces dernières années ont démontré que l'on a besoin d'un PDRE pour éviter un mauvais équilibre où les crises de la dette sont auto-réalisatrices. Mais le rôle du PDRE doit-il être assuré par la BCE, par les autres gouvernements de la zone euro ou par le FMI ?

Ce que le rapport du FMI indique clairement, c'est que les autres gouvernements de la zone euro ne peuvent jouer ce rôle. Un bon PDRE doit être efficace (en ayant suffisamment de puissance de feu pour empêcher qu’un mauvais équilibre se réalise), mais il doit également être en mesure de savoir quand il ne doit pas intervenir et laisser un Etat faire défaut. Les gouvernements de la zone euro ont échoué aux deux tests : ils n'ont jamais été prêts à consacrer suffisamment de ressources pour s'assurer d’être efficaces et ils n'ont pas réussi à voir que le défaut de la Grèce était inévitable. Ils ne sont pas incités à prendre de bonnes décisions.

Vous pourriez penser que l'épisode grec met le FMI dans le même sac. Mais comme le souligne Karl Whelan, la BCE ne sort pas non indemne de cet épisode. Ce qui est un peu inquiétant, car avec les OMT la BCE est désormais le PDRE de la zone euro. Elle a un soutien, mais de la part des mêmes gouvernements qui se sont trompés sur la Grèce. Ainsi, lorsqu'éclatera la prochaine crise souveraine, la BCE aura-t-elle vraiment mis en place les bons mécanismes pour savoir si elle doit acheter de la dette publique ou si elle doit au contraire ne rien faire pour empêcher un défaut souverain ? Le FMI a le mérite d'être publiquement auto-critique. Je me demande combien de temps encore devrons-nous attendre avant que la BCE analyse également son propre rôle dans cette affaire. »

Simon Wren-Lewis, « How a Greek drama became a global tragedy », in Mainly Macro (blog), 13 juin 2013. Traduit par M.A.