3917161_piketty-19_545x341.jpg

« Le Capital au XXIième siècle est un travail d’une réelle envergure et influent, apportant une nouvelle conception du revenu, du patrimoine et des inégalités. Il se fonde sur un ensemble inédit de données assemblées par Thomas Piketty et ses coauteurs et il va demeurer au cœur des débats au cours des prochaines années. Bien que le livre soit largement reconnu pour ses contributions empiriques, il utilise aussi ces données pour élaborer une théorie à propos des dynamiques futures touchant la répartition du patrimoine et revenu.

L’un de ses thèmes centraux est une histoire d’accumulation du capital. Dans le livre de Thomas Piketty (2013), une plus faible croissance va entraîner une hausse du ratio capital sur revenu. Cela, à son tour, va entraîner une expansion de la part du revenu rémunérant le capital. Parallèlement, comme le taux de croissance g diminue et que le rendement du capital r reste plutôt constant, l’écart r – g va s’accroître, le patrimoine va s’accumuler plus rapidement que l’économie croisse dans son ensemble. Cela va aggraver les inégalités dans la distribution de patrimoine. En bref, un message clé du Capital au XXIième siècle est que le rôle du capital dans l’économie va s’accroître au cours du vingt-et-unième siècle.

Comme Piketty (2013) le fait savoir, les rendements décroissants peuvent être problématiques pour cette thèse. Si le rendement du capital chute rapidement assez lorsque le capital est accumulé, la part du revenu du capital va chuter plutôt qu’augmenter. Ainsi, même si les biens des propriétaires du capital s’accumulent, leur créance sur la production agrégée va se contracter. De plus, avec un déclin suffisant de r lorsque g chute, l’écart r – g va également se réduire. Mais Piketty (2013) affirme que les rendements décroissants ne sont pas susceptibles d’être puissants ; cette idée est davantage creusée dans l’article de Thomas Piketty et Gabriel Zucman (2013).

Cette note suggère l'opposé : la plupart des données empiriques suggèrent que les rendements décroissants sont assez puissants pour qu’une poursuite de l’accumulation du capital entraîne un déclin du revenu du capital net, plutôt que son expansion. Si, en suivant le modèle d’épargne de Piketty (2013), un déclin de g provoque une expansion du stock de capital de long terme, alors la part du capital net du revenu et l’écart r – g vont finir par décliner. Ces conclusions ne sont pas définitives : il y a certainement plusieurs obstacles empiriques ici, mais ils nous amènent toutefois à être sceptiques quant à l’idée centrale de Piketty (2013).

Je reviens au concept économique central aux rendements décroissants, en l’occurrence l’élasticité de substitution entre le capital et le travail. Lorsque cette élasticité est supérieure à 1, un ratio capital sur revenu plus élevé est associé à une part plus grande du revenu du capital ; lorsque l’élasticité est inférieure à 1, c’est l’inverse. Un détail crucial est si cette élasticité est définie en termes bruts ou nets ; le net soustrait la dépréciation du revenu, tandis que le brut ne le fait pas. Bien que Piketty (2013) et Piketty et Zucman (2013) affirment avec raison que les concepts nets sont plus pertinents pour une analyse des inégalités, ils ne couvrent pas la distinction entre les élasticités nettes et brutes. C’est problématique, parce que les élasticités nettes sont bien moindres que les élasticités brutes et la littérature empirique utilise les concepts bruts. La vaste majorité des estimations fournies dans cette littérature, en fait, suggèrent des élasticités nettes inférieures à 1, bien en dessous des niveaux suggérés par Piketty (2013). En utilisant les élasticités dans l’intervalle habituel des estimations empiriques, je montre qu’une hausse du ratio capital sur revenu est davantage susceptible d’être associée à une baisse substantielle de la part nette du capital dans le revenu plutôt qu’à une hausse. r – g est susceptible de se réduire. Ces calculs se fondent sur une intuition simple : le rendement net r du le capital est égal au rendement brut R moins le taux de dépréciation d. lorsque le capital s’élève et que les rendements décroissants sont à l’œuvre, R va diminuer tandis que d va rester constant, comprimant plus rapidement le rendement net r = R – d que le rendement brut R. Les rendements décroissants s’avèrent plus douloureux en termes nets.

Je couvre les données temporelles utilisées par Piketty et Zucman (2013) et citées par Piketty (2013) pour affirmer que l’élasticité nette de substitution est supérieure à 1. Leur histoire est simple : à travers un échantillon de huit pays développés, le ratio capital sur revenu et la part nette du revenu du capital se sont substantiellement accrues au cours des dernières décennies. Sous certaines hypothèses (en particulier l’hypothèse que les prix réels du capital soient constants), c’est seulement cohérent avec une élasticité nette supérieure à 1. Lorsque ces hypothèses sont violées, cependant, l’inférence est plus difficile à établir. En effet, les variations du prix réel du capital tendent à induire un comouvement entre les deux séries examinées par Piketty et Zucman (2013), pour toute valeur de l’élasticité nette. Empiriquement, c’est un problème de premier ordre : dans la décomposition des données de l’article, une fois la contribution des variations des prix du capital réels est prise en compte, presque la totalité de l’accroissement du ratio capital sur revenu moyen disparaît.

Toujours en utilisant les données de Piketty et Zucman (2013), je trouve qu’une seule composante du stock de capital (l’immobilier) représente presque 100 % de la hausse à long terme du ratio capital sur revenu et plus de 100 % de la hausse à long terme de la part nette du revenu du capital. En d’autres termes, lorsque l’immobilier est mis de côté, le comouvement à long terme mis en avant par Piketty et Zucman (2013) comme preuve d’une élasticité nette élevée ne tient plus. Il y a en effet une petite hausse du ratio capital sur revenu et une petite baisse de la part nette du revenu du capital. Bien que cela ne soit pas en soi une raison pour exclure l’immobilier, une analyse plus fine révèle que l’immobilier ne peut probablement pas être le seul responsable d’une élasticité de substitution élevée. Si l’immobilier et d’autres formes de consommation sont hautement substituables, par exemple, une hausse des coûts réels de location seraient associée à un déclin de la part de l’immobilier dans les dépenses, mais c’est exactement le contraire qui apparaît empiriquement. Plus probablement, le rôle dominant que joue l’immobilier dans les données de Piketty et Zucman (2013), reflète l’influence des variations des prix réels, en particulier pour la terre. Et tandis que c’est une histoire importante, ça soutient peu l’affirmation de Piketty selon laquelle les rendements décroissants seraient faibles.

Je me penche ensuite sur une histoire à propos de la technologie et du capital (en l’occurrence, comme nous développons de nouvelles manières innovantes pour utiliser le capital, les rendements décroissants devraient de moins en moins importer). (…) La vaste majorité de la valeur du stock de capital existant se situe dans les structures (logements, appartements et bureaux), plutôt que dans l’équipement ou la propriété intellectuelle. La technologie avancée concerne une faible part du stock de capital et cette part a été plutôt stable au cours des dernières décennies. Tandis que ça a joué un rôle crucial dans la récente croissance économique, le capital intensif en technologie n’est pas suffisamment important aux prix courants pour absorber l’essentiel de la hausse substantielle de la valeur du stock de capital observée par Thomas Piketty (2013). En comparaison, les structures (qui se déprécient moins que l’équipement et sont selon plus sensibles au coût net du capital) jouent un rôle important dans l’absorption de l’épargne agrégée. (…)

L’objectif de cette étude a été (…) d’explorer systématiquement les données empiriques concernant les rendements décroissants du capital. Aussi technique (…) que puisse être cette question, elle est essentielle pour savoir si la prédiction d’un accroissement du revenu du capital et des inégalités à travers l’accumulation (…) va réellement avoir lieu. Et étant donné les données empiriques dont nous disposons suggèrent que Thomas Piketty (2013) sous-estime le rôle des rendements décroissants, nous devrions certainement nous montrer sceptiques. Mais le rejet de ce mécanisme en particulier ne constitue pas un rejet de l’ensemble de la thèse de Piketty. Les inégalités dans les revenus du travail, par exemple, est une toute autre question, une question qui reste valide et importante. Le capital lui-même reste un sujet important d’étude. Parmi les grandes économies développées, la tendance remarquablement constante vers un accroissement des valeurs et revenus du capital est indéniable. (…) Cette tendance s’explique par la croissance des prix du capital et par le coût toujours plus important de l’immobilier (et non de l’accumulation séculaire dont il est question dans le livre), mais elle a tout le même des conséquences importantes sur la redistribution. Les responsables politiques feraient bien d’avoir ça en tête. »

Matthew Rognlie, « A note on Piketty and diminishing returns to capital », 13 juin 2014. Traduit par Martin Anota