« Les prévisions macroéconomiques découlant des modèles macroéconomiques tendent à être un peu plus efficaces que l’extrapolation. Ce n’est pas une opinion, c’est un fait. C’est un fait parce que pendant plusieurs décennies plusieurs prévisionnistes qui se basaient sur des modèles réputés ont observé leurs erreurs passées et c’est ce qu’ils constatèrent. C’est aussi un fait parce que nous utilisons des modèles pour générer des erreurs standards pour les prévisions, aussi bien que l’occurrence la plus probable qui retient toute notre attention. En faisant cela, nous obtenons des erreurs de même ampleur que celles observées lors des prévisions passées. En d’autres mots, il est prévisible que les prévisions basées sur les modèles soient mauvaises.

La mauvaise nouvelle, c’est que cette situation n’a pas changé depuis que je travaillais moi-même dans la prévision il y a environ 30 ans. Durant les années précédant la Grande Récession (durant la Grande Modération), les prévisions ont pu avoir l’air d’être meilleures que par le passé, mais c’est parce que les économies étaient devenues moins volatiles. Comme on le sait très bien, la Grande Récession a été complètement ratée. La prévision ne s’est pas améliorée, parce que notre capacité à expliquer les variables comme la consommation ou l’investissement ne s’est pas améliorée.

Est-ce que cela signifie que la macroéconomie ne fait pas de progrès ? (…) Il se pourrait que les macroéconomistes parviennent toujours à comprendre un peu mieux comment l’économie fonctionne, mais la nature de l’économie change, notamment en conséquence de processus comme l’innovation financière ou le progrès technique. Est-ce que cela signifie que la macroéconomie est inutile ? Non, de façon assez similaire, la médecine ne peut prédire année après année comment votre santé changera, mais est assez efficace pour répondre à ces changements.

Cela signifie qu’il est très difficile d’utiliser les performances en termes de prévisions pour juger de l’efficacité relative de différents modèles ou organisations. Une meilleure performance au cours d’une année s’explique souvent par la chance. Vous devez prendre davantage de recul et observer sur au moins une décennie pour être capable de distinguer l’importance de la chance et déterminer quel est le meilleur modèle ou le meilleur jugement. Malheureusement les modèles, et les gens qui les utilisent, restent rarement les mêmes durant ce laps de temps. Le modèle et l’équipe de modélisation que la Banque d’Angleterre utilise pour faire des prévisions sont différents de son modèle et de son équipe d’il y a dix ans auparavant. (…)

Je pense qu’il est prudent de dire que cette incapacité à prévoir finement n’est pas susceptible de changer prochainement. Ce qui soulève une question évidente : pourquoi les gens utilisent-ils toujours des modèles souvent complexes pour établir des prévisions ? Ici il est utile de distinguer entre les institutions responsables de la politique (comme les banques centrales) et les autres.

Il fait sens pour les autorités monétaires et budgétaires de réaliser des prévisions. Donc pourquoi utiliser la combinaison d’un modèle macroéconomique et jugement pour le faire, plutôt que la seule extrapolation ? (L’extrapolation désigne ici une technique de prévisions sur séries temporelles qui soit athéorique.) Le premier point est que ce n’est pas forcément douloureux de le faire. (…) (Les seuls résultats cohérents que l’on obtient en comparant les prévisions s’appuyant sur des techniques différentes est que toutes les prévisions sont peu robustes.) Le second point est que la prévision utilisant les modèles macroéconomiques permet aux prévisionnistes de combiner un large ensemble d’information pour obtenir un récit assez cohérent qui lie les événements passés avec les événements susceptibles de se produire à l’avenir et il est utile pour les responsables politiques d’avoir de tels récits. (….) Il est intéressant de se demander quel type de macromodèle est le mieux adapté pour prévoir et si le modèle utilisé pour prévoir doit aussi être utilisé pour l’analyse de la politique économique, mais je vais laisser ces questions-là pour un autre jour.

Plusieurs autres organisations, pas directement impliquées dans la politique économique, établissent des prévisions macroéconomiques. Pourquoi est-ce qu’ils importent ? Pourquoi ne pas juste utiliser les prévisions des responsables de la politique économique ? Une large part de la réponse doit être que les médias présentent un grand intérêt pour ces prévisions. Pourquoi ? Je suis tenté de dire que c’est pour la même raison que beaucoup de gens lisent quotidiennement les horoscopes. Cependant je pense qu’il est utile de préciser que nous pouvons être induits en erreur par une forme de conspiration.

(…) Lorsqu’il y a des mouvements agrégés intéressants sur les marchés boursiers ou les marchés des changes, les médias vont présenter un "expert", généralement un économiste travaillant pour une quelconque entreprise financière, qui va nous dire pourquoi le marché a bougé ainsi. La vérité est que personne ne sait pourquoi le marché est à a hausse ou à la baisse, parce que personne ne demande à chaque participant de marché pourquoi il s’est comporté comme il l’a fait. Donc tout ce que l’expert peut nous donner est une explication invérifiable, mais jamais il ne vous le dira. Cela convient aux médias et aux experts.

De façon similaire, les médias aiment prétendre que les prévisions sont bien plus précises qu’elles ne le sont vraiment, parce que cela permet de donner une forte exposition médiatique aux petits changements. En réalité, les prévisions tendent à se ressembler et à ne changer que lentement, pour les raisons que Tim Harford a relevées, donc présenter une nouvelle prévision chaque semaine fait peu sens. (…). Mais cette conspiration présente également l’intérêt pour les médias de leur permettre d’afficher la stupéfaction et l’horreur lorsque les prévisions se révèlent fausses.

La vérité, embarrassante, est qu’il est entièrement prévisible que les prévisionnistes vont manquer les récessions majeures, de la même manière qu’il est prévisible que nous nous retrouverons à chaque fois avec des douzaines d’articles où leurs auteurs s’interrogeront sur ce qui a pu se passer pour que les prévisions macroéconomiques échouent. La réponse est toujours la même : rien. Les prévisions basées sur les modèles macroéconomiques sont toujours mauvaises, mais elles ne sont probablement pas pires que les extrapolations. »

Simon-Wren Lewis, « On Macroeconomic Forecasting », in Mainly Macro (blog), 11 août 2014. Traduit par Martin Anota


Prévisions conditionnelles et inconditionnelles

« Le niveau de production dépend de nombreuses choses : la demande dans le reste du monde, la politique budgétaire, les prix du pétrole, etc. Il dépend aussi des taux d’intérêt. Nous pouvons distinguer entre les prévisions conditionnelles et les prévisions inconditionnelles. Une prévision inconditionnelle dit ce que sera la production à telle ou telle date. Une prévision conditionnelle dit ce qui va advenir à la production si les taux d’intérêt, et seulement les taux d’intérêt, changent. Une prévision inconditionnelle est clairement bien plus difficile à réaliser, parce que vous devez faire énormément d’hypothèses. Une prévision conditionnelle est plus facile à obtenir.

Paul Krugman a raison de dire que les nouveaux keynésiens ont dit beaucoup de choses justes durant et après la récession : un surcroît de dette publique n’entraîne pas une hausse des taux d’intérêt. L’assouplissement quantitatif ne va pas entraîner une hyperinflation et l’austérité va réduire la production. Ce sont toutes des prévisions conditionnelles. Si X change, comment Y va-t-il varier ? Une prévision inconditionnelle dit ce que sera Y, mais pour l’établir il faut prévoir l’ensemble des variables X susceptibles d’influencer Y.

Nous pouvons voir immédiatement pourquoi l’échec des prévisions inconditionnelles nous dit très peu de choses sur la capacité d’un modèle à réaliser une prévision conditionnelle. Un modèle macroéconomique peut être raisonnablement efficace pour dire comment une variation donnée des taux d’intérêt va influencer la production, mais il peut être peu utile pour prévoir ce que sera la croissance de la production l’année prochaine parce qu’il est peu efficace pour prévoir les prix du pétrole, le progrès technique ou bien d’autres choses.

C’est pourquoi j’utilise l’analogie avec la médecine. La médecine peut nous dire que manger telle ou telle chose va améliorer notre santé, de la même manière que la macroéconomie croit maintenant que les cibles d’inflation explicites (ou quelque chose de similaire) contribuent à stabiliser l’économie. Dans certains cas, l’économie peut nous dire ce que nous pouvons faire pour sortir plus rapidement de la maladie, de la même manière que la macroéconomie nous enseigne que nous devons réduire les taux d’intérêt dans une récession. La médecine n’est pas une science suffisamment précise pour nous dire à chacun comment notre santé va évoluer année après année, pourtant personne ne dit que, au motif qu’elle ne peut faire ces prédictions inconditionnelles, ce n’est pas une science.

Cela nous explique pourquoi les banques centrales utilisent des modèles macroéconomiques même si ce n’est pas pour faire des prévisions, en l’occurrence parce qu’elles veulent savoir quel impact leurs décisions de politique monétaire vont avoir et les modèles leur en donnent une bonne idée. C’est une raison expliquant pourquoi Lars Syll, dans un billet où il se montre à nouveau en désaccord avec moi, parle de non-sens lorsqu’il dit que : "ces modèles de prévision et l’organisation et les personnes qui les utilisent coûtent des milliards de livres sterling, d’euros et de dollars chaque année". Si les banques centrales disposent de modèles, alors le coût de leur utilisation pour effectuer des prévisions correspond simplement à la rémunération d’une demi-douzaine d’économistes, peut-être moins. Même si vous doublez ce chiffre (…) et supposez que les économistes des banques centrales soient bien mieux payés que la plupart des universitaires, vous ne pouvez obtenir des milliards de livres sterling, d’euros ou de dollars !

Cela nous aide aussi à expliquer pourquoi les responsables politiques aiment utiliser des modèles macroéconomiques pour réaliser des prévisions inconditionnelles, même s’ils ne sont pas plus efficaces que l’extrapolation, mais je développerai cela dans un prochain billet. »

Simon-Wren Lewis, « Conditional and unconditional forecasting », in Mainly Macro (blog), 15 août 2014. Traduit par Martin Anota



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