« La littérature a fourni une analyse soigneuse et détaillée des rôles respectifs des conditions économiques (les niveaux et taux de croissance du PIB, la pauvreté, les inégalités de revenu), des droits politiques et de la démocratie (en examinant les effets linéaires et non linéaires) et les conflits violents interétatiques, parmi d’autres facteurs de moindre importance. Cependant, les estimations empiriques divergent fortement sur l’ampleur, la significativité statistique et même le signe de leurs contributions respectives. Surtout, cette littérature a minimisé le rôle de l’instabilité politique domestique. Est-ce que l’instabilité politique domestique est une cause première du terrorisme international ? Ici nous introduisons l’effet d’escalade (escalation effect) en affirmant qu’il est en effet une cause majeure du terrorisme international.

Il y a trois aspects de notre étude que nous pensons novateurs par rapport aux précédentes études. L’un est que l’instabilité domestique est explicitement considérée comme une cause majeure du terrorisme international. Le deuxième est que nous utilisons différents types d’instabilité politique (pour identifier l’effet d’escalade), aussi bien que différents indicateurs du terrorisme international (reflétant aussi bien le nombre d’actes terroristes que leur sévérité). Et une troisième différence se réfère aux implications politiques, qui diverge des prescriptions de politique actuelles en général et, en particulier de la perspective des "Etats faillis" (failed states) qui est dominante (en particulier parmi les non-économistes). (…)

Nous ne nous focalisons que sur le terrorisme international (nous excluons le terrorisme domestique de notre analyse). Le terrorisme international est défini comme les actes terroristes impliquant des citoyens ou des territoires présents dans au moins deux pays différents. Nous affirmons que l’instabilité politique domestique est à la source du terrorisme international. Naturellement, si ces effets de débordement sont substantiels, ils vont être plus larges sur le terrorisme domestique que sur le terrorisme international. Une raison pour cela est que les guerres civiles et la guérilla peuvent (bien que ce ne soit pas nécessairement le cas) impliquer des actes de terrorisme domestique. Si c’est correct, les effets que nous estimons pour, par exemple les guerres civiles, risquent d’être substantiellement plus larges pour le terrorisme domestique que pour le terrorisme international. Donc, la focale placée sur le terrorisme international fournit des estimations conservatrices des rôles des différentes formes d’instabilité politique domestique.

Quels sont les faits stylisés du terrorisme international ? (…) Le principal fait stylisé est que, même s’il y a eu en moyenne une baisse du nombre d’attaques terroristes menées chaque année, le nombre moyen de morts qu’elles ont provoquées a systématiquement augmenté au cours des 40 dernières années. De plus, il y a d’importantes différences régionales. Par exemple la létalité a augmenté dans toutes les régions depuis au moins 2000, sauf en Afrique subsaharienne. En termes de nombres totaux, nos données montrent que la plupart des attaques prennent place au Moyen-Orient et en Europe, alors que la plupart des attaques létales eurent lieu en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. (…)

Quels sont les mécanismes à travers lesquels l’effet d’escalade peut opérer ? Bien que les difficultés à distinguer de tels mécanismes soient bien connus, nous conjecturons que le principal mécanisme à l’œuvre a à voir avec l’apprentissage par la pratique et l’accumulation de capital humain terroriste. Le terrorisme requiert une scolarité et une formation sophistiquée. Des pays politiquement instables offrent des conditions propices pour cela. Il a été noté que les groupes terroristes mènent des politiques de ressources humaines qui favorisent les individus les plus éduqués et les mieux lotis économiquement (Krueger et Maleckova, 2003). Un aspect connexe qui a retenu moins d’attention est que le capital humain requis pour le terrorisme est spécifique et implique une combinaison complexe de compétences qui sont coûteuses à acquérir et à maintenir. Les compétences des terroristes ont un taux élevé d’obsolescence et elles ne sont pas facilement transférables d’une profession à l’autre. De plus, certaines formes d’instabilité politique domestique (disons, la guérilla et la guerre civile) fournissent l’affûtage des compétences militaires, tactiques et organisationnelles nécessaires pour réaliser des actes terroristes, alors que d’autres formes (comme les émeutes, les manifestations contre le gouvernement en place et les grèves) ne fournissent pas le même niveau, ni le même genre de compétences.

Nous utilisons des données sur divers aspects des actes terroristes menés à travers le monde (le nombre total d’événements terroristes), l’occurrence d’événements, le total de victimes et les victimes à l’événement médian) couvrant plus de 130 pays, annuellement depuis 1968. Nos principaux constats sont (i) que les guerres civiles et les guérillas sont associées de façon robuste au terrorisme international, alors que les émeutes et les grèves ne le sont pas, et cette association est plus forte pour les victimes que pour le nombre d’attaques (ce qui tend à confirmer l’effet d’escalade), (ii) que le pouvoir explicatif de l’escalade semble s’accroître au cours du temps, (iii) que le PIB par tête et l’aide étrangère ne sont pas des facteurs robustes pour expliquer le terrorisme international, ce qui est quelque peu en lien avec les précédentes études, et (iv) qu’il y a des preuves empiriques suggérant que l’appartenance à l’OCDE (ou le fait d’être un pays riche) est un facteur moins important que la proximité idéologique avec les Etats-Unis. »

Nauro F. Campos et Martin Gassebner, « International terrorism, political instability and the escalation effect », IZA, discussion paper, n° 4061, mars 2009. Traduit par Martin Anota