« Les statistiques du FMI montrent que le PIB mondial a chuté de 4,9 % entre 2014 et 2015, ce qui est presque aussi sévère que la contraction observée entre 2008 et 2009. Si vous regardez le tableau A1 de l’édition des Perspectives de l’économie mondiale du mois d’octobre, vous constaterez que le PIB mondial est passé de 77,2 milliers de milliards de dollars en 2014 à 73,5 milliers de milliards de dollars en 2015. Bien sûr, nous savons très bien que l’économie mondiale n’a pas connu de boom au cours de l’année dernière, mais avons-nous vraiment connu une nouvelle récession mondiale comme celle de 2009 ? Que s’est-il passé ?

GRAPHIQUE PIB mondial (à prix courants)

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source : van Bergeijk (2015), d’après les données du FMI

Il y a deux explications possibles (…). Peter A.G. van Bergeijk a affirmé qu’une partie de l’explication tenait dans les défauts du système statistique du FMI. Comme il le souligne, toute exportation réalisée par un pays devrait avoir pour contrepartie une importation d’un même montant par un autre pays, donc les statistiques officielles rassemblées par chaque pays doivent s’ajouter les unes aux autres de telle manière que les exportations mondiales soient égales aux importations mondiales. Cependant, lorsque le FMI agrège ses statistiques, van Bergeijk constate que le total des exportations mondiales excède le total des exportations mondiales de 206 milliards de dollars. Ce facteur ne suffit certes pas pour expliquer une chute de 3,7 milliers de milliards du PIB mondial, mais il suggère qu’il y a quelques problèmes avec les statistiques sous-jacentes.

Selon l’autre explication, proposée par Maurice Obstfeld, Oya Celasun, Mahnaz Hemmati et Gian Maria Milesi-Ferretti, le déclin du PIB mondial entre 2014 et 2015 s’explique par le calcul qui convertit le PIB de chaque pays dans les dollars américains en utilisant les taux de change de marché. Le problème apparaît parce qu’au cours des neuf premiers mois de l’année 2015, la valeur du taux de change de marché du dollar américain grimpa de 13 %. Lorsque le dollar américain devient plus "fort" et peut acheter plus de devises étrangères, cela implique nécessairement que les devises des autres pays sont plus "faibles" et achètent moins de dollars américains. Donc, un dollar plus fort signifie que lorsque le FMI convertit le PIB des autres pays e n dollars américains, leur PIB semblera plus petit.

Pour un exemple éclairant, le PIB russe était de 1.861 milliards de dollars en 2014, comme mesuré en convertissant le PIB russe mesuré en roubles en dollars américains au taux de change de l’année 2014. Cependant, le dollar américain s’est apprécié de 57 % vis-à-vis du rouble russe en 2015. Donc lorsque nous prenions le PIB russe en 2015 mesuré en roubles et le convertissions en dollars américains en utilisant le taux de change de l’année 2015, le PIB russe de 2015 était de 1.236 milliards de dollars, soit amputé d’un tiers par rapport à 2014. Evidemment, la contraction du PIB russe ne s’explique pas par une réduction de la quantité de biens et services produite par l’économie russe. Elle s’explique par l’usage d’un taux de change très différent pour convertir les roubles en dollars américains.

En effet, si vous regardez attentivement le tableau A1 de l’édition des Perspectives de l’économie mondiale d’octobre 2015, vous pouvez voir une estimation du PIB mondial qui est basée sur les "parités de pouvoir d’achat" (PPA), qui sont les taux de change calculés par le Programme de Comparaison Internationale de la Banque mondiale. L’idée est de voir ce qu’une devise peut effectivement acheter, c’est-à-dire son pouvoir d’achat, et de calculer ce à quoi le taux de change devrait être égal pour égaliser le pouvoir d’achat de la devise. Les taux de change sont bien plus volatiles que les prix des biens et services (comme la hausse de 13 % du dollar américain vis-à-vis des devises du reste du monde en 2015, ou la hausse de 57 % du dollar américain vis-à-vis du rouble russe). Donc, lorsque les taux de change PPA sont utilisés pour convertir les PIB en dollars américains, le résultat n’est pas aussi volatile que les taux de change de marché. En utilisant les taux de change PPA, le PIB mondial est passé de 108,7 milliers de milliards de dollars en 2014 à 113,1 milliers de milliards de dollars en 2015. (…)

Cette explication se contente de répondre à la question spécifique aux statistiques du FMI à propos du PIB mondial entre 2014 et 2015, mais il est important de rappeler qu’il y a un plus large problème ici. Les manuels d’introduction expliquent que l’un des usages de la monnaie est celui d’étalon de valeur, si bien que nous pouvons comparer les valeurs des biens et services, du travail et de l’épargne en utilisant une seule mesure. La différence entre les taux de change de marché et les taux de change PPA est un exemple très illustratif de la manière par laquelle l’étalon de valeurs peut être trompeur.

Mais il est vrai que le processus de calcul du taux de change PPA est un exercice difficile, nécessitant de faire de nombreuses hypothèses. En 2010, le récent lauréat du prix Nobel, Angus Deaton, a consacré son discours présidentiel de l’American Economic Association (en libre accès ici) à montrer en détails les "fragiles fondations théoriques et empiriques" de telles mesures. Lorsque les taux de change PPA sont recalculés et réajustés, les variations sont souvent assez larges, ce qui confirme que les calculs des PPA doivent être utilisés en gardant à l’esprit qu’ils ont une substantielle marge d’erreur. En ce qui concerne la comparaison du PIB mondial d’une année sur l’autre, le taux de change PPA est probablement plus précis que le taux de change de marché, mais il n’y a aucune raison amenant à penser que le taux de change PPA soit parfait.

De façon domestique, nous nous référons habituellement à la production américaine en termes de dollars américains, mais une statistique du PIB au niveau national ne prend pas en compte les différences régionales, comme le fait que le niveau élevé des prix du pétrole soit bénéfique aux régions qui en produisent, mais pèse sur les régions qui en importent, ou bien le fait que les prix de l’immobilier varient substantiellement entre Etats et entre zones urbaines et campagnes. Les mesures basées sur une même unité de compte est un raccourci souvent utile et productif. Mais bien sûr, ce qui importe en définitive pour la population n’est pas la valeur telle qu’elle est exprimée en termes monétaires, mais plutôt la quantité de biens et services qui peuvent être consommés, avec le nombre d’heures travaillées. »

Timothy Taylor, « World GDP is falling--If measured at market exchange rates », in The Conversable Economist (blog), 14 décembre 2015. Traduit par Martin Anota