« En Suède, la banque centrale a maintenu ses taux d’intérêt au-dessus de zéro, alors même que les prix étaient littéralement en train de chuter. Elle avait ramené ses taux à 0,25 % en 2009, puis elle les releva à 1 % en 2010, puis à 2 % en 2011. (…) Pourtant elle cible officiellement un taux d’inflation de 2 %. (…) La Riksbank s’inquiète à l’idée que les faibles taux d’intérêt puissent exacerber une bulle immobilière. La discussion est intéressante pour au moins deux raisons. La première est que la Riksbank ne s’inquiète principalement pas de l’impact de l’éclatement d’une éventuelle bulle sur le secteur financier lui-même. Elle ne s’inquiète pas d’une éventuelle seconde crise financière. Elle s’inquiète en fait de l’impact qu’aurait l’éclatement d’une éventuelle bulle sur les ménages (créant une autre récession de bilan) et la confiance du reste du monde. (…) Le gouverneur de la Riksbank estime que la hausse des taux est la seconde meilleure solution à ce problème. La première meilleure solution est la régulation macroprudentielle. Mais, comme le dit le gouverneur, "la politique monétaire en Suède a été utilisée pour gérer les déséquilibres financiers parce qu’il n’y a pas de cadre pour la politique macroprudentielle". (…)

Ce que je veux surtout dire ici est qu’une politique monétaire comme celle de la Suède risque de saper la légitimité des banques centrales indépendantes. Comme mes lecteurs réguliers le savent, je crois qu’il y a des domaines en macroéconomie où la délégation peut être hautement bénéfique. Pour comprendre pourquoi, il vous suffit de voir l’influence que d’aberrantes idées macroéconomiques peuvent souvent avoir sur les politiciens. D’un autre côté, la délégation sape potentiellement le processus démocratique. Il n’y a rien qui indique que les banquiers centraux ou les experts qui participent aux comités de politique monétaire aient un droit particulier de prendre des décisions qui peuvent avoir un impact substantiel sur la vie des gens.

C’est l’une des raisons pour lesquelles Alesina et Tabellini, parmi d’autres, ont souligné qu’une délégation ne réussit que lorsqu’il y a un large consensus sur ce qui constitue la bonne politique. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles on a délégué la politique monétaire aux banques centrales reste toujours valide : il y a eu un consensus pour la politique monétaire. La tâche des banques centrales consiste essentiellement à maintenir l’inflation à un faible niveau. Bien sûr, il est possible de discuter les détails de la manière par laquelle elles peuvent y parvenir et c’est d’ailleurs ce que les macroéconomistes font une grande partie de leur temps. Mais la tâche première, et les principaux moyens par lesquelles elle doit être assurée, sont clairs et obtiennent un soutien presque universel.

Pendant quelques temps, le seul objectif potentiellement concurrent fut le maintien du chômage à un faible niveau : donc le double mandat de la Fed. Cependant il y a presque un accord universel parmi les économistes selon lequel le seul niveau soutenable de l’emploi ou du chômage que la politique monétaire peut essayer d’atteindre est précisément le niveau qui maintient l’inflation stable. Si ce niveau de chômage était trop élevé, cela signifie que des politiques autres que la politique monétaire doivent être utilisées pour régler le problème. Encore une fois, il y a des discussions à la marge, en particulier lorsque des chocs d’offre ou des chocs poussant les coûts à la hausse, mais peu de débat sur l’idée fondamentale.

Dès lorsque les banques centrales commencent à laisser l’inflation persister en-deçà de la cible (avec la perte en production que cela implique) en raison d’inquiétudes autour d’une éventuelle bulle immobilière, ce consensus s’évapore. Encore une fois, la Suède en donne un joli exemple. Lars Svensson, un universitaire hautement respecté et un ancien membre de la banque centrale, a mis en doute l’idée que cette politique puisse atteindre les objectifs qu’elle cherche à atteindre et il suggère que la banque centrale viole son mandat. (…) Sur la question de la manière par laquelle la politique monétaire doit prendre en compte le risque financier ou les bulles immobilières, il y a un large spectre de visions parmi les économistes.

(…) Je suis d’accord à l’idée qu’en l’absence de tout autre remède la politique de taux d’intérêt doit être influencée par la possibilité d’une crise financière, comme Michael Woodford l’a démontré formellement (…). Donc comment pouvez-vous exercer cette option de dernier ressort, mais aussi toujours assurer la légitimité des banques centrales indépendantes en se focalisant sur le contrôle de l’inflation ? J’aime assez bien le cadre institutionnel au Royaume-Uni, où il y a un comité de politique financière qui travaille avec le comité de politique monétaire, mais indépendamment de ce dernier. C’est le premier, et non le second, qui est en charge de la politique macroprudentielle. (…) Un tel cadre institutionnel fonctionne mieux si les deux comités incluent des experts provenant de l’extérieur de la banque centrale et, dans le cas du comité de politique financière, ces experts ne sont pas seulement d’anciens banquiers ou des banquiers toujours en activité. Avant que le comité de politique monétaire ne puisse commencer à laisser les craintes relatives à l’instabilité financière influencer ses décisions de taux d’intérêt, le comité de politique financière doit dire que l’on a épuisé tous les autres moyens que nous avons à disposition. (…) Ce cadre institutionnel met en évidence que ce n’est pas à ceux qui fixent les taux d’intérêt, mais à d’autres personnes de protéger les emprunteurs de leur propre folie. »

Simon Wren-Lewis, « Should fears of financial instability raise interest rates? », in Mainly Macro (blog), 17 novembre 2013. Traduit par Martin Anota



« Supposez que vous ayez deux objectifs pour la politique monétaire : la stabilité du secteur financier et la stabilité de l’économie réelle. Vous avez deux principaux instruments : les taux d’intérêt et la politique macroprudentielle (qui consiste par exemple à modifier les exigences en capital des banques ou à rendre plus ou moins difficile l’accès au prêt hypothécaire). Doit-on affecter chaque instrument à un unique objectif ou essayer d’atteindre les deux objectifs avec les deux instruments ?

Comme Tony Yates le souligne, les affectations sont rarement optimales d’un point de vue purement macroéconomique. Même si, disons, les taux d’intérêt sont moins efficaces que la politique macroprudentielle pour atteindre la stabilité financière, vous désireriez toujours à ce que les taux d’intérêt contribuent à cet objectif. Une exception est lorsqu’un instrument domine complètement l’autre : alors l’affectation est optimale. On trouve par exemple une telle exception dans une certaine classe de modèle où la politique monétaire domine la politique budgétaire comme moyen de stabiliser l’économie réelle (…). Mais ce type de résultat n’est pas courant et même lorsque vous obtenez un résultat comme celui pour une certaine classe de modèles, il n’est pas difficile d’ajouter quelques complications pour le rendre plus réaliste et de vous retrouver avec un tout autre résultat.

Si l’affectation dans le cas de la stabilisation réelle et financière n’est pas optimale, est-ce que cela implique que ceux qui fixent les taux d’intérêt doivent prendre en compte la stabilité financière ? Il est important de comprendre ce dont nous sommes en train de parler ici. (…) Il s’agit de savoir si des institutions comme la Fed aux Etats-Unis doivent avoir un triple mandat lorsqu’il s’agit de fixer les taux d’intérêt, où le troisième mandat est la stabilité financière. Les taux d’intérêt peuvent être changés si la stabilité financière est préoccupante, même si cela n’a pas de répercussions sur l’inflation ou la production. De même, les taux d’intérêt peuvent varier pour contribuer à la stabilité financière, même si cela écarte la production et l’inflation de leurs cibles.

Cependant nous avons déjà des affectations qui sont clairement sous-optimales d’un point de vue purement macroéconomique. La politique budgétaire est assignée au contrôle de la dette publique et la réduction de la dette n’est certainement pas un objectif de politique monétaire. Mais dans les modèles standards, cette affectation est clairement sous-optimale : quand la dette publique est élevée, la réduction des taux d’intérêt peut être assez efficace pour réduire la dette publique (en particulier si celle-ci est principalement de court terme) et les indésirables effets de second tour sur la production et l’inflation peuvent être contrés par la politique budgétaire. Pourtant le consensus est que la politique monétaire ne doit pas être utilisée pour réduire la dette publique.

La raison pour cette affectation sous-optimale s’explique probablement par les inquiétudes d’économie politique. Ou, pour le dire autrement, la politique se préoccupe avant tout des décisions sciemment sous-optimales. Réduire les taux d’intérêt pour réduire la dette ressemble trop à de la dominance budgétaire. Certains craignent que, s’il n’y a pas d’affectation institutionnelle, les politiciens ne vont pas adopter la politique optimale et qu’ils laissent l’inflation déraper en gardant les taux trop bas pour réduire la dette.

Est-ce que les mêmes craintes d’économie politique peuvent s’appliquer à la stabilité financière et à la politique monétaire, en particulier quand le même acteur (une banque centrale indépendante) est en charge des deux ? Je pense que c’est le cas, car les banquiers centraux sont fortement influencés par les pressions du secteur financier. Par conséquent, il y a un danger que si les taux d’intérêt sont fixés avec les deux objectifs en tête, les banquiers centraux ne vont pas adopter la politique optimale et, par exemple, accroître prématurément les taux d’intérêt avant que l’économie réelle exige un tel resserrement monétaire. La récente expérience de la Suède est un clair exemple où cela s’est produit. (…) »

Simon Wren-Lewis, « Political economy assignments », in Mainly Macro (blog), 25 novembre 2015. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Les banques centrales doivent-elles réagir aux prix d’actifs ? »

« Les politiques monétaires laxistes alimentent-elles les bulles ? »