« Les effets de débordement (spillovers) que la croissance d’un pays peut exercer sur la croissance des autres pays peuvent s’opérer via les liens commerciaux et financiers. Le canal de la confiance (la confiance des ménages et des entreprises) peut aussi constituer un mécanisme important pour les effets de débordement internationaux de la croissance. La littérature empirique constate de considérables effets de débordement en provenance de la Chine avec les pays entretenant avec elles des liens commerciaux étroits, par exemple les pays d’Asie de l’est et du Pacifique, le Japon et l’Allemagne parmi les pays avancés et les exportateurs de matières premières. La croissance de la Russie et du Brésil tend à affecter la croissance de leurs voisins et des pays avec lesquels ils entretiennent de forts liens commerciaux et des fonds envoyés par les migrants importants. (…)

Les canaux de transmission


Le canal commercial. Un ralentissement de la croissance peut réduire la croissance dans les pays partenaires à l’échange directement en réduire les importations et indirectement en réduisant la croissance dans des pays-tiers ou en ralentissant la diffusion du progrès technique et la croissance de la productivité intrinsèques aux importations. Alors que cela suggère de plus grands effets de débordement entre pays avec des liens commerciaux plus étroits, en principe, l’opposé est aussi possible lorsque le commerce mutuel génère une spécialisation particulièrement forte. Par exemple, des liens commerciaux étroits peuvent se traduire par une forte spécialisation dans les biens et services pour lesquels les pays présentent un avantage comparatif. Comme les pays deviennent fortement dépendants des secteurs individuels, ils peuvent devenir plus sensibles aux chocs spécifiques aux secteurs, avec moins de corrélation de la croissance des partenaires commerciaux.

Le canal financier. Un ralentissement de la croissance peut réduire les flux d’investissement de portefeuille et d’investissements directs à l’étranger à destination des autres pays. L’arbitrage entre les différents systèmes financiers mondiaux peut rapidement transmettre les chocs d’un pays vers un autre. Une plus grande exposition transfrontalière du secteur bancaire accentue alors les effets de débordement sur la croissance. Une réduction des flux financiers peut freiner la croissance de l’investissement et le potentiel de croissance de long terme dans les pays de destination. Les envois de fonds par les émigrés peuvent aussi participer à la transmission des effets de débordement, comme ils tendent à varier avec les revenus dans leur pays d’accueil. Certains pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire qui dépendent fortement des envois de fonds par les émigrés sont particulièrement vulnérables aux perturbations occasionnées sur les marchés de travail étrangers qui réduisent ces fonds.

Alors que cela suggère de plus forts effets de débordement entre les pays avec des flux financiers mutuels plus larges, l’opposé est, en principe, également possible si les incitations pour diversifier le risque au niveau international sont suffisamment forts. Par exemple, si les investisseurs sont inquiets à propos du ralentissement de la croissance dans un pays, ils peuvent choisir d’accroître leurs investissements dans d’autres pays avec de meilleures perspectives de croissance. Par conséquent, les capitaux peuvent refluer des pays connaissant un ralentissement de la croissance pour aller vers les pays les moins affectés, où ils stimuleront davantage la croissance.

Le canal des matières premières. Un ralentissement de la croissance dans un pays majeur qui importe des matières premières peut réduire la demande mondiale de matières premières et réduire les prix mondiaux de matières premières. Cela freinerait l’investissement et la croissance des pays exportant des matières premières autour du monde, même ceux sans relations commerciales directes avec le pays à l’origine du choc.

Le canal de la confiance. Les canaux du commerce, de la finance et des matières premières ne semblent pas expliquer la sévérité sans précédents et la synchronisation internationale des contractions et les ralentissements durant la crise financière mondiale de 2007-2009. En plus de ces liens économiques directs, la confiance des ménages et des entreprises (en plus des changements dans les fondamentaux sous-jacents), c’est-à-dire le canal de la confiance, peut être un important mécanisme de transmission pour les effets de débordement transnationaux.

Identifier les effets individuels de chacun de ces canaux de transmission est un enjeu sur le plan empirique, et la littérature s’est principalement focalisée sur les effets agrégés. L’importance de chaque canal de transmission dépend probablement de la nature du choc sous-jacent, bien que le débat sur l’importance des différents chocs n’est pas clos. (…)

Les estimations empiriques des effets de débordement


En ce qui concerne les pays avancés. Monfort et ses coauteurs (2003) ont constaté une corrélation significative dans les variations de la production des 7 plus grandes économies entre 1972 et 2002. Avant 1985, une large part de corrélation pouvait s’expliquer par des chocs communs (par exemple les fluctuations des prix du pétrole), tandis que qu’après 1985 les effets de débordement, surtout ceux trouvant leur origine en Amérique du Nord et se transmettant vers l’Europe, sont devenus plus dominants. Stock et Watson (2005) constatent des effets de débordement significatifs parmi les 7 plus grandes économies, expliquant 5 à 15 % de la variance de la croissance selon le pays et la période examinée. Ils constatent cependant que la co-variation mondiale et les effets de débordement ont décliné depuis 1985, ce qui reflète peut-être une moindre volatilité des chocs dans la période dernière (la fameuse "grande modération" qui aurait été à l’œuvre avant la crise financière mondiale). Yilmaz (2009) constate des effets de débordement significatifs depuis les Etats-Unis vers d’autres économies avancées, surtout durant la crise financière mondiale. Les chocs financiers depuis les Etats-Unis apparaissent se transmettre très rapidement à la zone euro.

En ce qui concerne les pays émergents. La littérature s’est focalisée sur des effets de débordement depuis de larges pays émergents, souvent avec une perspective régionale. Pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, les effets de débordement depuis la Chine sont significatifs, surtout pour les pays de l’Asie de l’Est et du Pacifique intégrés dans les chaines d’offre chinoises (le Japon, Singapour, la Malaisie et la Thaïlande) et pour les exportateurs de matières premières qui sont moins diversifiés, par exemple l’Indonésie. Au-delà de l’Asie de l’Est et du Pacifique, les effets de croissance depuis la Chine sont aussi significatifs pour les pays d’Amérique latine, surtout pour les exportateurs de matières premières. On constate généralement que les effets de débordement en provenance de la Chine sur les pays avancés et la croissance mondiale sont modestes. Parmi les pays avancés, l’Allemagne et le Japon sont les plus affectés.

En Europe et dans l’Asie centrale, la Russie semble influencer la croissance régionale principalement via le canal des fonds envoyés par les migrants, (…) via le canal commercial et, dans une moindre mesure, via le canal financier. Les chocs de croissance russe ont des répercussions significatives sur la Biélorussie, le Kazakhstan, la République kirghize, le Tadjikistan et, dans une moindre mesure, la Géorgie. Cela dit, les effets de débordement de croissance en provenance du reste du monde affectent plus amplement l’Europe et l’Asie centrale que ceux en provenance de la Russie, ce qui reflète une intégration commerciale et financière avec la Russie de moins en moins forte et des liens de plus en plus forts avec l’Union européenne.

La croissance sud-africaine a impact positif substantiel sur la croissance à long terme du reste de l’Afrique. Les effets de débordement de court terme trouvant leur origine en Afrique du Sud ne sont cependant pas significatifs, même pour les pays voisins. Le commerce d’Afrique du Sud avec le reste du continent a certes augmenté depuis 1994, mais il reste limité, sûrement en partie à cause des configurations commerciales qui prévalaient sous le régime d’apartheid qui était en place en Afrique du Sud jusqu’à 1994. Il y a de significatifs effets de débordement vers les économies africaines en provenance de la zone euro et des BRICS ; les effets de débordement trouvant leur origine dans la zone euro sont en l’occurrence plus importants que ceux trouvant leur origine dans les BRICS.

L’Amérique latine se caractérise par la présence de deux grands pays (le Brésil et le Mexique) qui peuvent affecter significativement de plus faibles pays voisins. Les effets de débordement en provenance du Brésil à certains de ses voisins peuvent être considérables, à la fois en transmettant des chocs spécifiques au Brésil et en amplifiant les chocs mondiaux. En raison de leurs liens étroits à l’export, les pays du Cône sud (Argentine, la Bolivie, la Chili, le Paraguay et l’Uruguay) sont particulièrement vulnérables aux effets de débordement générés par le Brésil. Dans la région, cependant, les liens commerciaux avec le Brésil sont généralement faibles. En raison de la faiblesse des liens commerciaux avec le Mexique, les effets de débordement de croissance en provenance du Mexique sont modestes.

Les pays à faible revenu se sont de plus en plus intégrés aux pays émergents, à travers le resserrement des liens commerciaux, l’accroissement des détentions d’actifs financiers transfrontaliers et des flux de capitaux, ainsi que le développement des envois de fonds par les migrants. En particulier, les pays émergents sont une source importante d’envois de fonds par les migrants pour les pays à faible revenu, en particulier dans leur propre région, par exemple l’Inde pour les pays à faible revenu en Asie, la Russie pour les pays à faible revenu en Europe et dans l’Asie centrale et l’Arabie Saoudite pour les pays à faible revenu du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Cela est apparu plus clairement suites à la crise financière mondiale, lorsque la reprise dans plusieurs pays à faible revenu a reflété le rebond économique dans les pays émergents qui sont leurs partenaires à l’échange. »

Raju Huidrom, « Understanding cross-border growth spillovers », in Banque mondiale, Global Economic Prospects, n° 174, janvier 2016. Traduit par Martin Anota



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