« La crise de l’épidémie de Covid-19 a provoqué un bouleversement dans l’agenda de recherche de la macroéconomie. En son cœur, il y a un ce nouveau champ de recherche que l’on peut qualifier d’"épi-macro" qui combine des modèles épidémiologiques avec des modèles macroéconomiques. Dans ce billet, nous passons brièvement en revue quelques-unes des premières analyses de cette littérature en forte croissance.

Le modèle SIR


Le point de départ pour cette épi-macroéconomie est le modèle compartimenté SIR. Ce modèle épidémiologique de base a trois compartiments (les personnes "susceptible", "infected" et "recovered", soit respectivement saines, infectées et guéries) et il modélise comment les individus passent d’un compartiment à l’autre. Les modèles épi-macroéconomiques étendent ces modèles de deux façons. Premièrement, la diffusion du virus n’est plus supposée être exogène, mais affectée par le comportement des individus, par exemple les consommateurs peuvent ne plus aller au restaurant autant qu’ils le faisaient s’ils craignent d’être infectés en y allant. Deuxièmement, le fait de lien un modèle simple de production et un modèle de consommation avec la progression de la maladie facilite les prédictions de variables économiques. Bien qu’ils soient simples, ces modèles épi-macroéconomiques donnent des résultats qualitatifs avec de claires recommandations en matière de politique publique.

Premier résultat : la distanciation physique volontaire peut générer des récessions larges et persistantes, même en l’absence de mesures imposées par les pouvoirs publics


Eichenbaum, Rebelo et Trabandt (2020a) supposent que les personnes saines sont d’autant plus susceptibles d’être infectées qu’elles interagissent avec les consommateurs et travailleurs infectés. Dans leur modèle, l’épidémie déprime tant l’offre globale que la demande globale, comme les agents réduisent à la fois leur offre de travail et leur consommation pour réduire le risque de contracter la maladie. La probabilité d’être infecté dépend du nombre actuel d’individus infectés. Quand un individu est infecté, cela crée une externalité, comme le stock accru de personnes infectées accroît le risque que les autres soient à leur tour contaminés. Dans une économie décentralisée, les agents n’internalisent pas pleinement l’impact de leurs actions sur le nombre de personnes malades et les agrégats macroéconomiques. Pour cette raison, la distanciation physique volontaire apparaît sous-optimale. Les mesures de confinement optimales sont plus sévères ; elles sauvent plus de vies, mais au prix d’une récession plus forte.

Dans une extension de ce premier modèle, Eichenbaum, Rebelo et Trabandt (2020b) montrent qu’une politique qui utilise les tests pour mettre en quarantaine les personnes infectées a de larges bénéfices sociaux quand les gents sont incertains quant à leur état de santé. Dans le cadre de ce modèle, les agents ne se distinguent les uns des autres qu’en termes de santé (…). Les agents ayant le même état de santé présentent le même profil en termes de consommation, de productivité et de conditions de travail. Les auteurs montrent qu’une politique qui utilise les tests pour mettre en quarantaine les personnes infectées rapporte de larges bénéfices sociaux relativement à des politiques de confinement généralisées comme les confinements. Pour les Etats-Unis, cela implique une réduction de moitié des nombres totaux d’infections et de morts et une baisse d’un tiers de la consommation et du nombre d’heures travaillées. Cependant, les récentes expériences nationales et internationales démontrent que les conséquences économiques d’une pandémie dépendent crucialement de la composition de la main-d’œuvre. Les secteurs qui dépendent de la consommation sociale, par exemple l’hôtellerie, le transport et la vente au détail, sont plus susceptibles d’être pénalisés que les autres. De même, toutes les professions ne sont pas aussi flexibles les unes que les autres pour permettre aux travailleurs de travailler à domicile.

Deuxième résultat : les politiques de distanciation physique ont des effets distributionnels, avec des coûts de premier tour qui sont avant tout supportés par les ménages les plus pauvres


Kaplan, Moll et Violante (2020) observent les effets distributionnels de la pandémie en combinant un cadre nouveau keynésien d’agents hétérogènes (HANK) avec un modèle épidémiologique. Leur modèle présente la même boucle rétroactive entre le risque d’infection et le comportement économique que dans le modèle d’Eichenbaum, Rebelo et Trabandt (2020), mais il distingue les travailleurs en fonction de leurs professions et les secteurs de l’économie. Une importante dimension qu’ils considèrent est l’hétérogénéité du revenu du travail et le montant de richesse liquide parmi les travailleurs. Kaplan et ses coauteurs constatent que les coûts de premier tour de l’épidémie et des politiques de confinement sont avant tout supportés par les ménages pauvres aux Etats-Unis. Les ménages les plus exposés ont aussi très peu de liquidité et ils peuvent ne pas être capables de survivre longtemps sans aide financière. Les auteurs concluent aussi que la récession initialement induite par le confinement est à peine plus grave que celle d’un scénario contrefactuel où le gouvernement ne fait rien. Dans leur modèle, la durée du confinement est cruciale. Seul un long confinement (de 500 jours) peut atteindre une réduction substantielle de morts, parce qu’un confinement plus court produit une seconde vague d’infections.

Troisième résultat : les retraits bénéficient le plus de la mise en œuvre de politiques de confinement et les jeunes travailleurs dans les secteurs "non essentiels" en supportent le plus les coûts


Ce que Kaplan et alii (2020) laissent de côté, c’est le fait que les bénéfices et coûts du confinement peuvent fortement varier selon l’âge. Heathcote et alii (2020) introduisent deux classes d’âge dans un modèle macro-épidémiologique qui part de l’hypothèse que ceux qui ont plus de 65 ans ont 25 fois plus de chances de mourir du coronavirus que ceux qui ont moins de 65 ans. Par conséquent, le confinement produit d’énormes bénéfices pour les personnes âgées. Les plus jeunes paient l’essentiel des coûts du confinement, en particulier ceux qui travaillent dans les secteurs "non essentiels" qui sont forcés de fermer. Heathcote et ses coauteurs quantifient les effets du confinement en termes de bien-être en se focalisant sur deux instruments du gouvernement : la fraction de l’économie qui est délibérément mise à l’arrêt (l’ampleur de l’atténuation) et une taxe sur les travailleurs utilisée pour financer des transferts aux retraités, aux chômeurs et aux personnes tombant malades (la redistribution). Ils montrent que les différents groupes en termes d’âge et d’activité ne préfèrent pas les mêmes politiques. Alors que les personnes âgées veulent un confinement complet et prolongé, les jeunes travaillant pour les secteurs "non essentiels" préfèrent un confinement modeste et court. Un gouvernement maximisant le bien-être social utilitariste opte pour un compromis, en prenant une trajectoire intermédiaire pour l’atténuation. Cela éclaire les désaccords actuels parmi la population sur la date de fin du confinement.

Quatrième résultat : la distanciation physique génère une "externalité d’infection" positive qui contribue à isoler les travailleurs dans le secteur cœur de l’économie


Bodenstein, Corsetti et Guerrieri (2020) remettent en cause l’idée communément admise qu’il y a un arbitrage entre la santé et les coûts sociaux et économiques de la pandémie en construisant un modèle qui combine une structure en deux secteurs avec un environnement SIR standard. La partie macroéconomique du modèle présente un secteur cœur qui produit des intrants intermédiaires qui ne sont pas facilement remplaçables par le secteur périphérique. L’étude constate que, en l’absence de distanciation physique, le pic élevé d’une infection peut provoquer de larges coûts économiques initialement en termes de production, de consommation et d’investissement. Par conséquent les mesures de distanciation physique qui encouragent les travailleurs dans les professions du secteur périphérique à travailler à domicile sont efficaces pour réduire le coût économique de la pandémie : cette politique contribue à contenir l’expansion du nombre d’infections en réduisant les contacts avec les travailleurs dans le secteur cœur. Donc, la distanciation physique a une "externalité d’infection" positive qui aide à réduire le risque que les travailleurs dans le secteur cœur tombent malades. Cela contribue à freiner la propagation de la maladie.

Ultimes réflexions


Ces modèles peuvent être utilisés pour quantifier les coûts et bénéfices des politiques alternatives et leurs conséquences distributionnels (sujettes à l’incertitude quant aux paramètres épidémiologiques et les spécifications des modèles). Ces premiers travaux sont déjà intégrés dans des modèles plus sophistiqués. Alors que ces premiers efforts visant à capturer les interactions complexes entre épidémiologie et macroéconomie se focalisent sur le court terme, il y a plusieurs questions très importantes auxquelles il faut répondre ; elles concernent notamment les effets à plus long terme de la pandémie sur la productivité, le chômage et les politiques monétaire et budgétaire. »

Cristiano Cantore, Federico Di Pace, Riccardo M Masolo, Silvia Miranda-Agrippino et Arthur Turrell, « Covid-19 briefing: epi-macro 101 », in Bank Undergroung (blog), 7 août 2020. Traduit par Martin Anota