« Il est clair que des progrès significatifs peuvent être réalisés dans l’atténuation du changement climatique via le passage à une énergie décarbonée, la réduction de la déforestation et des changements dans nos façons de produire et de consommer les aliments. L’énergie renouvelable devient de moins en moins chère à produire relativement aux carburants fossiles ; une récente étude de l’Université d’Oxford suggère que le remplacement des combustibles fossiles par de l’énergie propre pourrait permettre d’économiser plus de 12.000 milliards de dollars d’ici 2050. Et l’Agence Internationale de l’Energie a souligné qu’il y a maintenant plus d’emplois dans l’"énergie propre" (notamment les énergies renouvelables, les véhicules électriques, l’efficience énergétique et l’énergie nucléaire) que dans l’industrie des combustibles fossiles, si bien que même le seul raisonnement "économique" devrait constituer une incitation suffisante pour procéder rapidement à une décarbonation du système énergétique.

Nous savons aussi qu’une transition hors des carburants fossiles apporterait d’importants bénéfices en termes de santé et de bien-être en réduisant la pollution de l’air et en imposant l’adoption de styles de vie plus actifs et des régimes alimentaires plus équilibrés. Et les efforts déployés pour réduire les émissions nettes de carbone peuvent aussi contribuer à réduire les inégalités sociales, en particulier dans les sociétés déjà très inégalitaires, si des investissements sont réalisés, par exemple, dans des transports publics à faible carbone abordables et fiables, dans des espaces verts en ville et dans l'efficacité des systèmes de refroidissement et de réchauffement des logements.

Pourtant, le fait est que les émissions mondiales de carbone augmentent toujours et que les pays semblent résister à l’adoption des fiscalités et réglementations nécessaires à l’accélération de la transition énergétique si cruciale pour ramener les émissions nettes à zéro. Cela s’explique notamment par les intérêts privés et par le fait qu’une attention insuffisante est portée à la justice de la transition, par exemple à l’égard des travailleurs dont l’existence est liée aux carburants fossiles.

Il serait difficile de ne pas rechercher de nouvelles solutions technologiques si le monde espère parvenir atteindre les objectifs de l’Accord de Paris en matière de températures. En effet, d’ici 2050, presque la moitié des réductions d’émissions nécessaires pour ramener les émissions nettes à zéro viendra de technologies qui sont actuellement à l’étape de prototypes, selon l’Agence Internationale de l’Energie.

Que peuvent encore offrir les technologies ?


Nous devons continuer de développer des technologies qui augmentent l’efficience énergétique et réduisent la demande d'énergie, pour développer des méthodes de création d’énergies qui soient peu carbonées et pour déplacer le carbone présent dans l’atmosphère. En ce qui cerne ce dernier point, la capture du carbone (utilisée soit pour réduire les émissions industrielles qui sont les plus cruciales à réduire, soit pour déplacer le carbone directement de l’atmosphère) est souvent considérée comme un élément essentiel de la trajectoire vers le zéro net. (…) Les coûts sont toutefois pour l’instant très élevés (…).

L’hydrogène est un autre domaine dans lequel il y a un large potentiel d’innovation pour un passage vers une énergie propre. Ce carburant versatile n’est peu carboné que dans la mesure où il est produit d’une façon qui soit peu carbonée. La méthode la plus courante pour produire de l’hydrogène à bas carbone requiert une ample offre d’énergies renouvelables et d’eau. Pour fournir cette dernière, certains scientifiques travaillent afin de réussir à faire sortir ce combustible "du néant". Ces méthodes sont très coûteuses, avec des estimations suggérant que l’hydrogène vert ne serait pas compétitif, même si les prix du carbone étaient autour de 200 dollars la tonne.

On considérait que la fusion nucléaire, susceptible de constituer une source illimitée d’énergie peu carbonée, serait à portée de mains en quelques décennies… il y a déjà plusieurs décennies. Le coût de l’ITER, le mégaprojet international visant à donner vie à la fusion, pourrait maintenant coûter 22 milliards d’euros, bien plus que l’estimation initiale de 6 milliards d’euros. Mais la croyance en l’idée que la fusion va finir par être commercialisée est peut-être plus forte aujourd’hui que jamais, avec la hausse rapide de l’investissement du secteur privé ces dernières années et un record de production d’énergie par fusion battu cette année.

A l’extrémité la plus controversée du spectre se trouvent les techniques de géoingénierie telles que la géoingénierie solaire, qui réfléchit la lumière du soleil dans l’espace, ou l’"ensemencement" (seeding) des nuages et des océans pour modifier les chutes de pluie et accroître l’absorption du carbone par les océans. (Certains scientifiques ont même suggéré un projet pour rafraîchir les pôles nord et sud.) De telles techniques offrent la possibilité de réduire les températures mondiales sans réduire les concentrations en dioxyde de carbone de l’atmosphère, ce qui signifie qu’elles ne s’attaquent pas à la cause profonde du changement climatique et que les températures pourraient fortement varier si elles étaient utilisées de façon discontinue. Elles ne réduisent pas non plus l’acidification de l’océan, alors que réduire ou déplacer le dioxyde de carbone le permettrait. Il y a aussi une considérable incertitude autour des effets que ces technologies pourraient avoir : si elles altèrent les pluies des moussons tropicales, par exemple, les répercussions pour la sécurité alimentaire pourraient être significatives, en particulier pour les pays à faible revenu.

Qu’importe les promesses, nous ne devons pas nous reposer excessivement sur une solution technologique

Même si de nouvelles technologies constituent la meilleure (et peut-être la seule) chance que le monde ait pour ramener les émissions nettes à zéro, nous ne devons pas retarder l’adoption de solutions aujourd’hui disponibles dans l’espoir qu’une future solution technologique nous sauve. Si nous le faisons, nous prenons le risque de ne pas respecter les objectifs de l’Accord de Paris en matière de températures et de menacer l’équité intergénérationnelle en mettant en péril l’avenir des plus jeunes générations et de celles qui ne sont pas encore nées. Le temps que ces nouvelles technologies soient disponibles sous des formes fonctionnelles, à un prix abordable, il pourrait être trop tard. L’expérience avec certains projets de capture et de stockage du carbone montre que la technologie peut ne pas parfaitement fonctionner tout d’abord et que l’apprentissage par la pratique (qui prend du temps) est une part essentielle du processus d’innovation.

La chute rapide du coût du solaire photovoltaïque et de l’énergie éolienne peut suggérer que la même chose pourrait se passer pour des technologies plus récentes. Cependant, la suraccumulation de ressources publiques à de nouvelles innovations (avec la possibilité de conséquences socialement régressives, selon la façon par laquelle les coûts sont recouvrés) peut saper la légitimité publique de la transition dans son ensemble. Cette menace peut être plus forte au regard de l’investissement dans des technologies controversées, qui ont actuellement de faibles niveaux de soutien public, telles que la géoingénierie.

(…) Nous avons déjà une très bonne idée des mesures qui pourraient immédiatement nous donner les réductions d’émissions que nous avons besoin en urgence, une croissance économique compatible avec une émission nette nulle et des bénéfices en termes de santé et de bien-être. Il n’y a donc pas de raison de retarder les mesures d’atténuation des émissions que nous pouvons et devons adopter aujourd’hui. »

Elizabeth Robinson et Esin Serin, « Could new technology solve climate change? », LSE Business Review, 20 septembre 2022. Traduit par Martin Anota