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Tag - Grande Modération

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samedi 22 septembre 2018

La Grande Modération est-elle de retour ?

« La "Grande Modération" est un terme qui a été utilisé pour désigner la réduction de la volatilité du cycle d’affaires que l’on a pu observer dans plusieurs pays développés. Elle a débuté au milieu des années quatre-vingt et elle coïncida avec la période de temps où l’inflation est revenue à un faible niveau (elle est restée faible et stable depuis lors).

Il y a un débat à propos des causes de la Grande Modération. Certains estiment que les banques centrales ont joué un rôle crucial derrière ce phénomène, tandis que d’autres pensent que c’est avant tout dû à la chance. Certains considèrent que la crise qui a éclaté à la fin de l’année 2007 a mis un terme à ce phénomène et qu’elle a validé les théories qui expliquaient principalement celui-ci par la chance. La récession sévère et prolongée qui a débuté en 2007 a remis en question l’idée que les cycles d’affaires soient devenus moins volatiles.

Mais en regardant la volatilité à partir de notre point de vue, c’est-à-dire l’année 2018, il apparaît que la "Grande Modération" pourrait être encore d’actualité, du moins pour l’économie américaine. J’ai calculé ci-dessous la volatilité sur cinq ans de la croissance du PIB américain (en utilisant des données trimestrielles, les taux de croissance calculés relativement à l’année précédente).

GRAPHIQUE 1 Ecart-type sur cinq ans de la croissance du PIB réel des Etats-Unis

Antonio_Fatas__Ecart-type_sur_cinq_ans_croissance_PIB_Etats-Unis.png

Les données parlent d’elles-mêmes. Il y a une réduction marquée de la volatilité au milieu des années quatre-vingt qui a persisté jusqu’à 2007. Ensuite, il y a une hausse manifeste de la volatilité, en raison de la Grande Récession. Mais au cours des dernières années, la volatilité a diminué pour atteindre ses plus faibles niveaux. C’est la conséquence d’une croissance du PIB très stable et du fait que l’économie américaine connaisse la deuxième plus longue expansion de son histoire. (Il faudrait qu'elle dure encore au moins pendant 10 mois pour qu’elle devienne la plus longue.)

Ce qui est intéressant, c’est qu’en regardant l’ensemble de la période allant de 1985 jusqu’à aujourd’hui, on constate que le PIB est resté moins volatile qu’au cours des décennies précédentes, et ce malgré l’accroissement de la volatilité suite à la crise financière mondiale. La Grande Modération semble bien vivante dans les données américaines.

GRAPHIQUE 2 Ecart-type sur cinq ans de la croissance du PIB réel de la France

Antonio_Fatas__Ecart-type_sur_cinq_ans_croissance_PIB_France.png

Et voici la même analyse mais en utilisant cette fois-ci les données françaises. Il y a un schéma similaire, même si les données commencent plus tard, lorsque la volatilité était faible, si bien que ce sont les années soixante-dix qui semblent être exceptionnelles, cette décennie ayant été marquée par une plus forte volatilité qu’à toute autre période. Et l’accroissement de la volatilité après 2007 est plus forte, en partie parce que la zone euro a basculé dans une seconde récession autour de 2012. »

Antonio Fatás, « Is the Great Moderation back », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 10 septembre 2018. Traduit par Martin Anota



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« Et si la Grande Modération ne s’était jamais achevée ? »

« Minsky avait raison : la faible volatilité alimente l’instabilité financière »

lundi 26 octobre 2015

La volatilité macroéconomique a diminué parce que les reprises sont plus lentes que par le passé

GRAPHIQUE Taux de croissance du PIB américain (en %)

Gadea-Rivas_Gomez-Loscos_Perez-Quiros__taux_de_croissance_PIB_Etats-Unis_Grande_Moderation__Martin_Anota_.png

« Si l’on observe attentivement le graphique, nous constatons que la dynamique globale du cycle d’affaires et son intensité semblent avoir changé au cours des 60 dernières années. Nous pouvons observer sur le graphique le boom économique d’après-guerre qui finit avec la crise du pétrole des années soixante-dix et ses répercussions subséquentes sur l’économie. Au milieu des années quatre-vingt, on peut voir une réduction de la volatilité des séries de données relatives au cycle d’affaires en comparaison avec les précédentes décennies. Durant cette période, appelée Grande Modération, les Etats-Unis jouirent de plus longues expansions, interrompues seulement par les récessions de 1990-1991 et de 2001, qui furent légères en comparaison des précédentes récessions. La période finale de l’échantillon est caractérisée par la sévérité de la récession qui commença en 2007, la Grande Récession. »

María Dolores Gadea, Ana Gómez-Loscos et Gabriel Perez-Quiros, « The two Greatest. Great Recession vs. Great Moderation », Banque d’Espagne, documento de trabajo, n° 1423. Traduit par Martin Anota



« Le déclin significatif de la volatilité macroéconomique qui commença au milieu des années quatre-vingt dans l’économie américaine, connue sous le nom de "Grande Modération" (Great Moderation), est l’un des faits stylisés les plus documentés de la macroéconomie moderne, que ce soit dans la littérature universitaire ou en dehors de celle-ci. Les références universitaires à la Grande Modération sont nombreuses. Beaucoup de travaux empiriques ont été réalisés depuis les articles séminaux de Kim et Nelson (1999) et McConnell et Perez-Quiros (2000). Notons en particulier l’étude de Stock et Watson (2002). Blanchard et Simon (2001) ont montré que la Grande Modération ne fut pas seulement un phénomène propre aux Etats-Unis, puisqu’elle semble s’être produite simultanément dans plusieurs autres économies avancées. Bean a récemment passé en revue toute cette littérature. L’une des plus récentes contributions sur la Grande Modération est l’étude de Gadea-Rivas et de ses coauteurs (2014), où ils montrent que, contrairement à ce qui avait été affirmé dans plusieurs études, la Grande Récession ne marque pas la fin de la Grande Modération, et ce même si la Grande Récession et la reprise subséquente duraient 15 ans, voire plus. Les explications de la Grande Modération entrent dans trois catégories. Premièrement, la baisse des fluctuations du PIB étasunien peut être due à des changements dans la structure de la production ; en particulier, l’amélioration de l’investissement des stocks et dans la gestion des chaînes de valeur, la tertiarisation de l’économie et l’intensification de la concurrence sur les marchés des biens et services. La deuxième explication souligne l’amélioration de la politique économique, d’une part, grâce à l’adoption du ciblage d’inflation par les banques centrales et, d’autre part, grâce à l’indépendance des autorités monétaires. Troisièmement, la chance (good luck), correspondant à l’absence de chocs exogènes significatifs, peut aussi avoir joué un rôle important dans l’atténuation des fluctuations économiques.

Toutes les études qui analysent la Grande Modération utilisent des données consécutives à la Seconde Guerre mondiale. La plupart d’entre elles affirment que l’hétérogénéité de l’échantillon et l’incomparabilité de la qualité des données sont les principales raisons ayant amené à débuter l’échantillon après la Seconde Guerre mondiale. Romer (1986a, 1986b, 1991) explique que cette incomparabilité est due à la façon par laquelle ces données sont construites, en particulier lorsqu’elles incluent des données précédant la publication de séries de données sur la production industrielle par la Réserve fédérale à partir de 1919. Diebold et Rudebusch (1992), lorsqu’ils étudient les cycles d’affaires avant et après la Seconde Guerre mondiale, évitent de comparer leur volatilité et se concentrent seulement sur la durée des périodes de récession. Cependant, il est clair que, mis à part les changements dans la qualité des données, il y a eu des changements historiques majeurs dans la structure de l’économie américaine (…) qui doivent affecter la volatilité de la production.

En effet, il y a plusieurs études, antérieures à l’identification de la Grande Modération, qui utilisent un long échantillon et qui mettent en évidence (…) des changements séculiers dans la volatilité américaine qui se sont produits au milieu du vingtième siècle. De vieilles études comme celles de Burns (1960) et Basu et Taylor (1999) mentionnent déjà un ensemble de changements majeurs dans les Etats-Unis et dans d’autres économies avancées qui modifièrent le cycle d’affaires. En particulier, ils mettent en lumière l’importance décroissante de l’agriculture en raison d’un processus d’industrialisation et de tertiarisation, la hausse des profits d’entreprises, la forte expansion des entreprises publiques, le développement de la protection des chômeurs, le développement de l’organisation financière, la mise en œuvre d’une politique monétaire contracyclique et le degré d’ouverture de l’économie, comme principales causes du changement du cycle d’affaires. Au contraire, DeLong et Summers (1986) considèrent que le déclin de la variabilité depuis la Seconde Guerre mondiale ne s’explique ni par les changements dans la composition de l’activité économique, ni par la prévention de paniques financières. Ils mettent en avant le rôle joué par les stabilisateurs automatiques et la disponibilité accrue de crédit privé.

Lorsque l’on observe ces changements majeures, la Grande Modération et ses causes probables, à savoir les changements dans la structure de la production, l’amélioration des politiques conjoncturelles et la chance, semblent constituant de biens petits changements. Cependant, la Grande Modération n’a jamais été étudiée dans une longue perspective historique qui inclut les changements séculiers dans la structure économique des Etats-Unis. Dans notre étude, nous voulons compléter les analyses empiriques autour de la rupture structurelle qu’a été la Grande Modération, en nous demandant si celle-ci est toujours valide lorsque l’on considère un plus large ensemble de données que celui utilisé dans les précédentes études. En l’occurrence, nous utilisons des données commençant en 1875.

Elargir l’échantillon nous permet non seulement de relier la Grande Modération à des épisodes intenses comme la Grande Dépression des années trente, la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale, mais aussi de fournir de meilleures preuves empiriques sur ce que l’on peut attendre à l’avenir. De plus, si la Grande Modération est toujours valide dans une plus longue perspective, cela ne sera pas sans implications, tout d’abord, sur l’importance de ses possibles causes et, deuxièmement, sur la perception de la Grande Modération comme phénomène permanent.

Nous analysons le taux de croissance du PIB étasunien à long terme et regardons la présence de ruptures structurelles (à la fois dans la moyenne et dans la variance) et nous obtenons différentes périodes de volatilité qui montrent une réduction séculaire de la variabilité de la production. Nous utilisons deux ruptures structurelles approximativement localisées à la fin de la Seconde Guerre mondiale et au commencement de la Grande Modération. Une fois la présence de ruptures structurelles documentée, nous présentons les principaux aspects qui caractérisent chacune de ces périodes historiques dans notre analyse statistique. Une étude poussée des changements de la volatilité suggère qu’ils répondent à des causes différentes liées aux aspects des phases conjoncturelles. Par exemple, la réduction de la volatilité à la Seconde guerre mondiale est due aux changements touchant à la fois les phases conjoncturelles, expansions et récessions, tandis que celle de la Grande Modération est associée aux premières étapes des expansions, plus faibles que par le passé. »

María Dolores Gadea, Ana Gómez-Loscos et Gabriel Perez-Quiros, « The Great Moderation in historical perspective. Is it that great? », Banque d’Espagne, documento de trabajo, n° 1527. Traduit par Martin Anota



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