« La courbe de Kuznets originelle suggérait, en 1955, que les inégalités de revenus suivaient une courbe en U inversé, c’est-à-dire augmentent tout d’abord, puis déclinent lorsque le développement économique du pays se poursuit. En 1955, cela semblait alors raisonnable ! La "courbe de Kuznets environnementale" suggère quant à elle que la pollution suit une courbe en U inversé au fur et à mesure que l'économie d'un pays se développe. La pollution s’élève tout d’abord, puisqu’une nation à faible revenu s’industrialise sans limiter la pollution. Mais ensuite, la nation s’enrichit et elle est alors plus apte et plus encline à supporter les coûts de dépollution, si bien que les niveaux de pollution chutent lorsque l'économie passe de l'industrie aux services. Pour un tour d'horizon utile, Susmita Dasgupta, Benoit Laplante, Hua Wang et David Wheeler ont écrit "Confronting the Environmental Kuznets Curve" dans le numéro du Journal of Economic Perspectives sorti en hiver 2002. (…)

SCHEMA La courbe de Kuznets

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source : Dasgupta et ses coauteurs (2002)

Bien sûr, la courbe de Kuznets environnementale est une théorie qui exige d'être soutenue ou réfutée par des preuves empiriques (non une loi de la nature comme le point d'ébullition pour l'eau) et c'est justement une théorie qui fait actuellement l’objet de discussions et de débats. Et l'expérience de la Chine, avec son économie en plein essor et ses extraordinaires enjeux environnementaux, est bien au centre de ce débat.

Selon la courbe de Kuznets environnementale classique, les émissions de polluants s’élèvent jusqu'à un certain revenu par habitant compris entre environ 5000 dollars et 8000 dollars, puis tombent après ce seuil. Il existe certaines preuves historiques pour étayer cette affirmation. Cependant, les sceptiques suggèrent que même si certains polluants se réduisent, de nouveaux matériaux toxiques apparaissent en parallèle et continuent de s’accroître. Ou peut-être qu’il y aura un "nivellement vers le bas" : les niveaux de pollution vont tout d’abord s’accroître, mais ensuite la société ne sera plus encline à agir de manière à réduire la pollution, de peur que l'activité économique n’en soit affectée, si bien que la pollution ne chute finalement pas.

D’un autre côté, les optimistes soulignent que les pays actuellement en cours d'industrialisation peuvent s'appuyer sur la technologie anti-pollution et sur l'expérience législative des autres pays. Ils sont par conséquent capables de trouver des façons de limiter leur pollution par rapport aux expériences passées et d’atteindre le pic de la courbe environnementale de Kuznets à un plus faible niveau de revenu par habitant.

Selon la Banque mondiale, le PIB par habitant de la Chine était de 5.445 dollars en 2011. Elle atteint donc justement les niveaux où sa pollution devrait commencer à se stabiliser, puis à diminuer. Sam Hill a publié un rapport intitulé "Reforms for a cleaner, healthier environment in China" comme document de travail pour le Département des affaires économiques de l'OCDE. (…)

Les problèmes environnementaux de la Chine ont des coûts énormes. Hill écrit : "Les coûts de santé associées à la pollution par les particules fines et à la pollution de l'eau ont atteint près de 4 % du RNB à la fin des années deux mille. Le coût propre aux émissions de CO2, avec les dégâts matériels associés à la pollution de l'air et à l'appauvrissement des sols, représente environ 2,5 % du RNB. Intégrer les coûts supplémentaires associés à l’épuisement de l'énergie et des minéraux amène le total des coûts de la dégradation environnementale à environ 9 % du RNB". Avec des coûts aussi élevés, même une analyse réalisée de sang-froid par ceux qui n'ont pas embrassé l’écologie ne peut que justifier un degré plus élevé de protection de l'environnement.

Chose intéressante, il y a des signes montrant que, pour certains polluants, le niveau de pollution n’augmente plus avec la croissance de l'économie chinoise. Par exemple, voici un graphique sur la pollution de l'air (cf. graphique 1.A). La ligne du haut montre la croissance du PIB. Les émissions de dioxyde de soufre et de suie n’augmentent pas avec la hausse du PIB et même les émissions de dioxyde de carbone ont été à la traîne par rapport à la croissance du PIB au cours des dernières années. Voici un graphique similaire pour la pollution de l'eau (cf. graphique 1.B). La demande chimique en oxygène (DCO) mesure le niveau de polluants organiques dans l'eau. Cette mesure ainsi que les eaux usées ne progressent pas au même rythme que le PIB.

GRAPHIQUE 1 Pollution de l’air et de l’eau

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source : Hill (2013)

Il reste vrai que la quantité de la pollution en Chine par rapport à sa production économique est élevée par rapport aux normes des pays à revenu élevé. Voici un graphique montrant des mesures pour le dioxyde de soufre et les oxydes d'azote (cf. graphique 1.C). Les graphiques suivants montrent une mesure pour le dioxyde de carbone. Les polluants de la Chine par rapport à son niveau de PIB restent élevés, en partie parce que son économie ne fait que débuter sa transition depuis l’industrie vers les services et aussi en partie parce que la réglementation environnementale en Chine est plus laxiste et moins sévèrement appliquée.

Les recommandations de politique économie pour réduire la pollution en Chine sont assez claires : fermer les installations les plus anciennes et s'assurer que celles qui les remplacent aient des équipements anti-pollution mis à jour ; continuer à construire des usines de traitement des eaux usées ; mettre un prix sur les activités polluantes pour encourager la conservation, et ainsi de suite. L'article de Sam Hill en fournit les détails.

GRAPHIQUE 2 Emissions de CO2 et leur intensité

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source : Hill (2013)

Mais finalement, le chemin que suit la Chine le long de la courbe environnementale de Kuznets sera déterminé par la politique et la pression du public, et la pression du public en Chine semble s’exercer en faveur du renforcement de la protection environnementale. (…) Elizabeth C. Economy, du Council on Foreign Relations, a récemment écrit un court article, nommé "China’s environmental politics: A game of crisis management", qui note le nombre croissant de manifestations publiques organisées en Chine sur le thème de l'environnement. Dans une société aussi contrôlée par le gouvernement, les manifestations environnementales sont un lieu où les mécontents du gouvernement peuvent trouver un espace relativement sûr pour contester. »

Timothy Taylor, « China and the Environmental Kuznets Curve », in Conversable Economist (blog), 28 mai 2013. Traduit par M.A.