« Le revenu universel (ou revenu de base) a beau être présent dans le débat politique depuis plus de deux décennies, son évaluation souffre toujours de la prégnance de plusieurs perceptions ou interprétations erronées le concernant. Nous allons nous attaquer ici à quatre d’entre elles.

Première erreur : le revenu universel serait plus coûteux que les politiques traditionnelles de soutien au revenu telles que le revenu minimum garanti ou les allocations-chômage

On pourrait penser que le revenu universel est plus cher qu’un revenu minimum garanti ou un dispositif du même genre. Cependant, les mécanismes de soutien au revenu alternatifs doivent être comparés en maintenant constant leur impact sur les recettes fiscales nettes. Avec la neutralité fiscale, les questions pertinentes sont les incitations et la distribution du fardeau fiscal. Une source possible de la première erreur est l’universalité du revenu universel : il est donné à tout le monde. A l’inverse, les formes traditionnelles de soutien au revenu sont catégorielles et conditionnées : elles ne sont données qu’à certains, parfois, d’où l’idée que le revenu universel serait plus coûteux. Mais nous devons comparer le montant reçu à travers le revenu universel à la valeur attendue du montant reçu via les politiques traditionnelles. Il peut être supérieur, inférieur ou égal. Le fait qu’il soit universel n’implique pas en soi qu’il soit forcément plus coûteux.

Deuxième erreur : le revenu universel réduit l’offre de travail

La microéconomie enseignée en première année universitaire nous dit qu’une hausse des revenus de transfert peut entraîner une réduction de l’offre de travail. Implicitement, ce que la deuxième erreur suggère en fait est que le revenu universel entraîne une plus grande réduction de l’offre de travail que les autres dispositifs de soutien au revenu. Cette idée est erronée, dans la mesure où l’économie élémentaire indique en fait que le revenu universel est susceptible d’entraîner une moindre réduction de l’offre de travail que ces dispositifs alternatifs. Les politiques traditionnelles sont typiquement accordées sous condition de ressources, si bien qu’elles peuvent inciter les individus à changer de comportement de façon à maintenir l’éligibilité, c’est-à-dire gagner un faible revenu. En outre, l’hypothèse que l’offre de travail chute avec le revenu ne doit pas être considérée comme valide. En effet, les preuves empiriques expérimentales montrent que les transferts de liquidité peuvent en fait motiver à davantage travailler et à s’engager dans des activités productives.

Troisième erreur : le revenu universel favorise les "surfeurs"

Les "surfeurs" (c’est-à-dire les riches consacrant une grande partie de leur temps aux loisirs) remboursent le revenu universel via les impôts. Mais alors pourquoi leur donner le revenu universel ? Parce que les revenus de transfert versés sans condition de ressources sont susceptibles d’impliquer de meilleures incitations.

Quatrième erreur : le revenu universel n’apportera pas un soutien suffisant en cas d’événements tels que le chômage ou la maladie

Certains événements adverses fournissent un plus large soutien que le revenu universel, par exemple, au cours d’un mois donné. (L’inactivité imposée par l’épidémie de Covid-19 ou les hospitalisations peuvent en être des exemples.) Cet argument souffre d’une vision réductrice de la conception du revenu universel et d’une représentation purement statique de celui-ci. Premièrement, bien qu’il y ait des partisans du revenu universel qui privilégient une conception qui substitue ce dernier aux autres politiques de soutien au revenu, des versions plus réalistes envisagent un remplacement partiel, laissant de la place pour d’autres politiques qui se basent sur le principe de l’assurance et qui sont conçues pour ces chocs adverses. Deuxièmement, ce qui importe est la comparaison entre les valeurs attendues. Le revenu universel garantit une allocation intertemporelle, ce qui permet aux gens de s’assurer contre certains événements adverses et de bénéficier de prêts contingents. Comment l’allocation intertemporelle fournie par le revenu universel se compare-t-elle par rapport à la valeur intertemporelle attendue de toutes les politiques traditionnelles catégorielles et conditionnelles ? J’estime que le revenu universel est susceptible d’être supérieur, puisqu’il est sûr et facile de déterminer le montant de l’accroissement du revenu. Il est utile de noter que cela n’est possible que si le marché du crédit est accessible et efficient et si les ménages disposent des compétences nécessaires pour s'engager sur ce marché. Cela suggère que ces conditions devront être vérifiées si et quand la politique se réorientera dans le sens du revenu universel. »

Ugo Colombino, « Four mistaken theses about universal basic incomes », IZA, 2 juillet 2020. Traduit par Martin Anota