« En temps normal, les sanctions économiques sont largement une mesure symbolique adoptées pour dénoncer les actions d’un pays et rien d’autre. Cette fois, c’est différent, mais beaucoup de temps risque de s’écouler avant qu’elles ne fonctionnent…

Par le passé, les sanctions économiques étaient largement symboliques. Prenons une métaphore. C’est comme si votre banque avait annulé votre carte de crédit : c’est un inconvénient, mais ce n’est pas une catastrophe et cela ne changera guère votre comportement. Vous irez dans une autre banque et vous souscrirez à une autre carte de crédit.

A présent, imaginez qu’au lieu d’être interdit de l’usage d’une carte de crédit vous soyez interdit de toutes les banques et de l’ensemble du système de crédit. Si vous ne pouvez plus du tout emprunter, ce sera bien plus douloureux et vous pourriez y réfléchir à deux fois dans vos choix.

C’est l’équivalent des sanctions qui ont été imposées à la Russie en conséquence de son invasion de l’Ukraine. Les sanctions économiques qui ont été imposées sont en effet douloureuses et elles vont finir par faire s’effondrer l’économie russe. Cependant, cela prendra du temps. Poutine et le gouvernement russe ne s’inquièteront pas des coûts économiques à court terme ; ils penseront que c’est un petit prix à payer pour construire leur empire.

Les sanctions à l’encontre de la Russie s’apparentent davantage à une mort due à des milliers d’entailles qu’à un coup fatal. Il fallut des décennies d’isolement et de déclin avant que l’Union soviétique ne s’écroule en 1991. Ce qui est différent à présent est le degré d’intégration mondiale. Quand j’étais jeune garçon en Union soviétique, dans ce territoire que l’on appelle à présent l’Ukraine, je n’avais jamais eu un dollar entre les mains. Les choses sont bien différentes de nos jours et l’économie russe est dépendante des échanges avec le reste du monde. Même à présent le gouvernement russe force les exportateurs à vendre en dollars de façon à se couvrir contre la chute du rouble.

Considérons la bravade de la Russie à propos de la dépendance de l’Europe et de l’Occident à son pétrole et à son gaz. Poutine affirme que les autres pays ne peuvent survivre sans les exportations russes. Mais la vérité est que la Russie ne peut pas survivre sans ses exportations, dans la mesure où elles constituent une source de revenu majeure. Cette dépendance va probablement accélérer l’effondrement de l’économie russe.

En outre, les compagnies pétrolières russes comme Rosneft et Gazprom peuvent se retrouver avec un handicap technologique en raison du désinvestissement des entreprises occidentales, comme celui annoncée par BP et Shell par exemple. Une fois leurs gisements de pétrole actuels asséchés, auront-elles la technologie pour forer dans les régions inexplorées comme l’Arctique par exemple ? Le déclin technologique dont a souffert l’Union soviétique après avoir envahi l’Afghanistan peut donner un aperçu de ce qui pourrait arriver à la Russie.

Une sanction ne fera pas tout à elle seule et tout cela ne surviendra pas d’un coup, mais le déclin de l’économie russe va en définitive se produire. C’est malheureux pour la population russe, mais cela aura été le choix de Poutine. Tout comme avec Hitler, toutes les personnes qui se sont affiliées à lui devront également être punies, parce qu’elles lui ont donné la possibilité de faire ce qu’il a fait. C’est l’objectif des récentes sanctions annoncées contre les oligarques russes et les alliés de Poutine.

Les pays imposant ces sanctions vont souffrir en conséquence de celles-ci de coûts majeurs, notamment une hausse des prix du gaz. Mais cela ne sera rien en comparaison avec les centaines de milliards de dollars qui devront être dépensés en armes, armées et défense si l’Ukraine tombait et qu’une nouvelle course à l’armement débutait. Souvenons-nous que le coût de la Guerre froide s’est élevé à des milliers de milliards de dollars, de l’argent qui aurait pu être dépensé en éducation, en santé et dans les nouvelles technologies. »

Yuriy Gorodnichenko, « The impact of economic sanctions on Russia », in ProMarket, 28 février 2022. Traduit par Martin Anota