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« La Conférence de Berlin de 1884-1885 officialisa ce qui est fut par la suite connu sous le nom de "Ruée vers l'Afrique" (Scramble for Africa). Les puissances européennes se sont arbitrairement réparties l'Afrique et ont commencé à administrer leurs nouvelles colonies. Sept décennies plus tard, ils léguèrent aux natifs africains des pays radicalement différents de ce qu’ils étaient en 1880. Et, à quelques exceptions près, ces pays sont parmi les plus pauvres au monde d'aujourd'hui.

Le développement économique de l'Afrique aurait-il été différent sans le colonialisme ? Celle-ci aurait-elle été plus riche aujourd'hui ? Le débat fait rage sur cette question depuis cinquante ans (…). Certains faits suggèrent des avancés dans le développement économique lors de la période coloniale ; par exemple les salaires réels ont augmenté dans le secteur formel en Afrique occidentale britannique (Frankema et Van Waaijenburg, 2005). De plus, la stature des recrues militaires au Ghana et en Afrique orientale britannique suggère que la taille a augmenté au cours de la période coloniale (Moradi, 2009 ; Austin, Baten et Moradi, 2011), signe d'une prospérité croissante. Est-ce que la domination coloniale fut aussi prédatrice que beaucoup le prétendent ? Faut-il prendre cela comme une preuve que le colonialisme fut bon pour le développement ? Notre récente étude (Heldring et Robinson, 2012) se penche sur cette question et conclut que la réponse est probablement non.

Nous pouvons faire quelques observations :

  • La plupart des pays africains ont connu une augmentation régulière de leurs revenus au cours de la période coloniale par rapport à l'année de base 1885. Les Africains ont réussi à récolter les gains de l'introduction des chemins de fer et de la technologie minière. En outre, être colonisé signifia être plus intégré dans le commerce mondial. Pourtant, il est difficile d’évaluer la réelle contribution du colonialisme et d’évaluer ce qui serait de toute manière survenu dans le sillage de l’expansion du commerce.

  • Le fait que l'on voit le niveau de vie s’élever en moyenne ne signifie pas que le niveau de vie de chacun ait augmenté. Par exemple, dans le sud de l'Afrique, l'impact appauvrissant que l'expropriation des terres et la création d’"économies duales" (Palmer et Parsons, 1977) purent avoir sur les revenus suggère que les Africains ont connu une forte dégradation de leur niveau de vie avec le colonialisme. Nous pouvons observer une élévation des salaires dans le secteur formel, alors que la grande majorité de la population, qui se situe en dehors du secteur formel, voit son pouvoir d'achat se détériorer.

  • (…) Nous devons déterminer ce qu’auraient été les trajectoires des sociétés africaines si le colonialisme n’avait pas eu lieu. Par exemple, l’appauvrissement des Africains en Afrique du Sud serait-il survenu si l'Etat zoulou avait repris le Rand et développé l'industrie minière aurifère ? Si les Européens apportèrent la technologie ou institutions, les Africains auraient pu les adopter ou les créer par eux-mêmes en l'absence du colonialisme. (…) Il est possible que, même sans colonisation, les missionnaires auraient étendu l'éducation et l'Organisation mondiale de la santé aurait apporté la technologie médicale, par exemple.

  • Pour comprendre l'impact du colonialisme sur le développement, il faut soigneusement réfléchir à ce qui s'est passé après le colonialisme. Juger l'impact du colonialisme sur le développement en Afrique en ne regardant simplement ce qui s’est passé au cours de la période coloniale est une erreur conceptuelle. Après l'indépendance, l'Afrique ne ressemblait en rien à ce qu’elle aurait pu être en l'absence du colonialisme. En effet, dans la plupart des cas, le déclin économique que subit l’Afrique après l'indépendance peut être attribué au colonialisme, parce que les mécanismes qui ont conduit à ce déclin ont été générés par la société coloniale. (…)

Nous distinguons trois types de colonies :

  • Celles qui avaient un Etat centralisé lors de la ruée vers l'Afrique, comme le Bénin, le Botswana, le Burundi, l'Éthiopie, le Ghana, le Lesotho, le Rwanda et le Swaziland ;

  • Celles peuplée par les blancs, comme le Kenya, la Namibie, l'Afrique du Sud, le Zimbabwe, et probablement aussi l’Angola et le Mozambique ;

  • Les autres colonies, celles qui n'ont pas connu un important peuplement par les blancs blanche et où soit il n'existait aucune formation significative d’Etat pré-colonial (comme la Somalie ou le Soudan du Sud), soit il y avait un mélange de sociétés centralisées et décentralisées (comme le Congo-Brazzaville, le Nigéria, l'Ouganda et la Sierra Leone).

Il est raisonnable de supposer que tous les groupes auraient eu, en l'absence du colonialisme, les mêmes contacts avec le reste du monde. (…) Les missionnaires auraient converti les gens et construit des écoles, la Société des Nations aurait essayé d'abolir le travail forcé et l'OMS aurait cherché à diffuser la technologie médicale. De plus, (…) les pays africains auraient continué à exporter, comme beaucoup le faisaient avant 1885.

En termes d'institutions politiques, dans le premier ensemble de pays, le processus de formation d'État et le développement qui étaient à l’œuvre au dix-neuvième siècle se seraient poursuivis. (…) Les États comme les États Tswanas au Botswana, l'Etat asante du Ghana, ou l’Etat du Rwanda se seraient de plus en plus centralisés et consolidés. Cela ne signifie pas que les institutions économiques se seraient nécessairement améliorées. Néanmoins, la centralisation politique est une condition sine qua non de l'ordre et la provision des biens publics ; les Etats durs se seraient également effondrés. Une fois lancées, de puissantes forces intensifient la centralisation politique. Dans les deuxième et troisième ensembles de colonies, nous supposons également que les institutions politiques auraient poursuivi la trajectoire qu’ils suivaient au dix-neuvième siècle. (…)

Il apparaît évident, dans ensembles de colonies, que le colonialisme a retardé le développement ; en l’occurrence les pays avec un Etat centralisé au moment de la ruée vers l'Afrique et ceux peuplés par des Blancs. Dans le premier ensemble, l'hypothèse selon laquelle les précédentes évolutions du développement politique se seraient poursuivies suffit pour affirmer que ces pays seraient plus développés aujourd'hui. Le colonialisme n’a pas seulement bloqué le développement politique ; la délégation de l’autorité a rendu les élites locales moins responsables face à leurs citoyens. Après l'indépendance, même si ces pays ont pu disposer d’une cohérence dont les autres manquaient, ils eurent aussi plus de dirigeants prédateurs. Ces régimes politiques ont également souffert du racisme, des stéréotypes et des fausses idées héritées du colonialisme, que les Africains n’auraient pas eu en son absence et qui ont généré depuis d’immenses problèmes, notamment au Burundi et au Rwanda.

Dans les colonies peuplées par les blancs, (…) la nature hautement extractive de la domination coloniale et l'accaparement des terres se sont traduisirent en eux-mêmes, comme nous l'avons noté, par un sérieux appauvrissement des Africains lors de la période coloniale. (…) La diffusion internationale de la technologie et la relative absence d'esclavage dans cette partie de l'Afrique auraient permis, sans le colonialisme, de lentement améliorer le niveau de vie africain. Cela, ainsi que les forts accroissements des inégalités et les conflits raciaux et ethniques légués à ces colonies après la fin du colonialisme, suggèrent que le développement dans des pays tels que le Zimbabwe auraient été mieux aujourd'hui et au cours du siècle dernier s’ils n'avaient pas été colonisé.

Le troisième ensemble de pays est plus complexe, car il ne semble pas plausible que les institutions précoloniales de la Somalie, par exemple, furent propices au développement ou furent sujettes à un processus de formation d'État. Pourtant, (…) il semble difficile d’affirmer que le colonialisme a favorisé le développement. Il est possible, si on considère l'Ouganda, que les Britanniques apportèrent la stabilité en stoppant les conflits entre les Etats précoloniaux du Buganda, le Bunyoro, l’Ankole et le Toro. Pourtant, (…) même ces sociétés étaient tout à fait susceptibles d’adopter de meilleures technologies quand elles émergèrent. Les gains qui auraient pu se concrétiser en termes de stabilité se sont effacés lorsque les Britanniques partirent en 1962, léguant aux Ougandais un régime politique sans contrat sociale viable et entraînant ainsi un demi-siècle d'instabilité politique, de dictatures militaires et de guerre civile. »

Leander Heldring et James A Robinson, « Colonialism and development in Africa », in VoxEU.org, 10 janvier 2013.