« Gavyn Davies vient de publier un très bon article pour le Financial Times sur ce qui va arriver aux marchés lorsque l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) prendra fin. (…) Les commentaires sur la fin potentielle de QE peuvent générer une volatilité importante sur les marchés financiers. Mais il y a quelque chose dans ce débat qui me trouve encore et cela a à voir avec l'interprétation que certains font de la fin de l’assouplissement quantitatif.

L’assouplissement quantitatif se terminera bien un jour, telle doit être l’hypothèse que doit accepter quiconque cherchant à comprendre la politique monétaire. Le jour où la reprise sera assez forte, lorsque les banques centrales estimeront que l'économie est assez proche du plein emploi, nous verrons une normalisation des conditions de politique monétaire. La politique monétaire, qui était expansionniste jusqu’alors, va être plus neutre. Cela a toujours été le cas par le passé, même si nous avions l'habitude de penser seulement en termes de taux d'intérêt et non d’assouplissement quantitatif. Une façon de voir comment cela va se passer est le graphique ci-dessous (que j'emprunte à un récent billet du blog de Brad DeLong).

GRAPHIQUE Taux d'intérêt aux Etats-Unis

fatas_rates.jpg

Il retrace l’évolution des taux d’intérêt à long terme (10 ans) et à court terme (3 mois) pour les Etats-Unis. Selon le schéma qui se reproduit après chacune des dernières récessions, les taux à court terme s'écartent des taux à long terme, signalant que la politique monétaire appuie sur l'accélérateur (la courbe devient raide). Quelques années après la fin de la récession, les taux à court terme s’élèvent et ils retrouvent un niveau similaire à celui des taux à long terme. Après cela, nous voyons les deux lignes se côtoyer jusqu'à ce qu’une nouvelle récession survienne. (…)

Nous nous attendons également à une évolution similaire cette fois-ci. La ligne rouge va rattraper la ligne bleue à un certain moment dans le futur et, avant que cela n'arrive, la Réserve fédérale américaine déclarera que l’assouplissement quantitatif touche à sa fin (ou tout du moins qu’il va ralentir). Ce qui est clair, lorsque l’on observe le tableau, c'est que les taux à court terme prennent plus de temps pour retrouver les taux à long terme, un signe que la reprise actuelle est beaucoup plus faible que les précédentes.

Qu’apprendrons-nous le jour où Ben Bernanke annoncera que nous commençons le chemin vers la normalisation ? Il se pourrait que nous apprenions tout simplement qu'il est plus optimiste quant à la croissance économique aux Etats-Unis. Ce sera une bonne nouvelle. Cela pourrait ne pas être surprenant pour ceux qui anticipaient un retour de la croissance, mais il pourrait être une bonne surprise pour ceux qui pensaient que la croissance ne reviendrait jamais. Dans ce scénario, il est difficile de considérer une telle annonce comme une mauvaise nouvelle. Nous savons que l’assouplissement quantitatif se terminera un jour, nous savons que les taux à court terme devront augmenter, donc si l'annonce est une surprise dans le sens où elle vient trop tôt, cela voudrait dire que la croissance revient plus tôt que prévu - et cela sera une bonne nouvelle.

Il y a un second scénario, plus pessimiste : le jour où Ben Bernanke annonce que l’assouplissement quantitatif se termine, nous apprenons que l'économie ne va pas beaucoup mieux, mais que le FOMC a tout simplement changé d'avis : la banque centrale ne se soucie pas de la faible croissance, elle veut être sévère et elle est prête à cesser l’assouplissement quantitatif pour signaler un changement de politique. Ce serait une mauvaise nouvelle, car cela représente un changement de politique et non un changement dans nos anticipations de croissance.

Comprendre ce qui se passera sur les marchés lorsque l’assouplissement quantitatif s’achèvera exige de déterminer lequel des deux scénarii précédents s’avère le plus probable. Personnellement, je considère que le premier scénario est plus probable que le second. Je ne vois pas de changement de politique dans un proche avenir, mais je vois la fin de l’assouplissement quantitatif comme les bonnes nouvelles s'accumulent. Mais c'est mon avis. Ce qui importe est de savoir comment les marchés boursiers vont interpréter les communications de la banque centrale. Les mots choisis pour communiquer ses actions à ce moment-là ainsi que sa crédibilité feront une grande différence.

Un dernier point à noter concernant le graphique ci-dessus : (…) nous remarquons aussi une tendance à la baisse des taux à long terme (en termes nominaux sur le graphique, mais nous savons qu'il y a une tendance à la baisse similaire de la part des taux réels). Comme le souligne Gavyn Davies dans son article, il y a une certaine incertitude concernant cette tendance. Cette tendance est-elle réelle ou est-ce le résultat d'une bulle ? Il s'agit d'une source supplémentaire d'incertitude. Lorsque la ligne rouge commencera à grimper, que se passera-t-il pour la ligne bleue ? Peut-elle rester à près là où elle est et les deux lignes se croiseront-elles à un niveau qui sera faible au regard des normes historiques ? Ou allons-nous voir une augmentation significative des taux à long terme ? (…) Il existe des raisons fondamentales qui expliquent pourquoi les taux d'intérêt à long terme sont faibles et qui sont indépendantes de la politique monétaire. Mais d'autres soutiennent que les taux à long terme sont perturbés et sont susceptibles de grimper dès l’instant même où l’assouplissement quantitatif sera stoppé. Si c'est le cas, alors l'arrêt de l’assouplissement quantitatif va soudainement augmenter les taux et cela sera certainement une mauvaise nouvelle pour les marchés financiers. »

Antonio Fatás, « Looking forward to the end of QE », 26 mai 2013.