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« Donc le pétrole a été une malédiction pour le Cameroun.

Est-il vrai que l’abondance des ressources naturelles en général ou du pétrole en particulier a un effet négatif sur la croissance économique ? Si c'est le cas, via quels mécanismes ?

Avant de commencer à réfléchir aux mécanismes, concentrons-nous sur les données empiriques internationales. En fait, les études les plus soignées ne suggèrent pas qu’il y ait un tel effet inconditionnel. Les premiers travaux de Jeffrey Sachs et de ses collaborateurs ont suggéré que c'était le cas. Et il est vrai que la découverte et l'exploitation du pétrole au Cameroun a coïncidé avec un massif déclin économique et une détérioration du développement humain. Mais, comme nous le voyons dans le chapitre 14 de Why Nations Fail, ce n'était pas le cas au Botswana, où l’abondance de diamants a été un élément clé dans la réussite du développement économique et humain du pays. L'Australie, le Chili, la Norvège et les Etats-Unis sont d’autres exemples évidents où la richesse des ressources a contribué au développement économique.

Donc, l'affirmation selon laquelle l'effet moyen de la richesse des ressources naturelles sur la croissance économique est négatif doit être soit fausse ou inintéressante - ce qui signifie que l'effet hétérogène de la richesse des ressources dans différents contextes sont ce qui est vraiment intéressant à étudier. Quel contexte ? Comme nous le soulignons dans Why Nations Fail, la caractéristique distinctive du Botswana était son développement institutionnel avant la découverte de diamants. Il est aussi évident que le Cameroun avait de pauvres institutions en 1977 ; l'Australie, le Chili, la Norvège et les Etats-Unis avaient tous de relativement bonnes institutions quand ils ont découvert les ressources naturelles.

L'idée selon laquelle l'impact économique des ressources naturelles est conditionnelle à la qualité des institutions a été avancées de façon éclatante dans un document rédigé par Karl Moene, Halvor Mehlum et Ragnar Torvik, "Institutions and the resource curse" (voir aussi cet article). Les trois Norvégiens ont montré qu'il y a seulement une "malédiction conditionnelle des ressources" (conditional resource curse) dans le sens où il existe une corrélation négative entre l'abondance des ressources (telle qu’elle est mesurée par le ratio des exportations de produits primaires par rapport au PIB en 1970) et la croissance économique dans les pays où la qualité des institutions faibles. Mais la même corrélation est positive pour les pays, comme la Norvège, qui ont des institutions plus fortes (ou ce que nous pourrions appeler des "institutions inclusives").

Il y a bien sûr plusieurs façons de mesurer la qualité des institutions et plusieurs de ces mesures sont corrélées. Les trois Norvégiens ont créé un indice de qualité institutionnelle en faisant la moyenne non pondérée de cinq indices basés sur les données des Political Risk Services : un indice d’Etat de droit, un indice de qualité de l'administration, un indice de corruption du gouvernement, un indice de risque d'expropriation et un indice de répudiation des contrats par le gouvernement. Comme bon nombre des mesures des institutions utilisées dans cette littérature sont le résultat de processus politiques, elles sont aussi étroitement liées aux facteurs politiques.

Ainsi, cette malédiction dépend d’un assez grand nombre de facteurs qui conditionnent l'impact des ressources et qui touchent aux aspects fondamentaux des institutions politiques d'un pays (tels que la nature de la Constitution), aux institutions économiques de base (la sécurité des droits de propriété), à la nature de l'Etat (ma qualité de la bureaucratie) et à la politique du gouvernement (répudiation de contrats). Au final, leurs travaux rapportent un résultat très important : le Cameroun a connu une malédiction des ressources après 1977 parce que certains aspects clés de ses institutions étaient initialement pauvres.

Qu'en est-il des mécanismes ? Nous nous pencherons sur ce sujet dans notre prochain billet. »

Daron Acemoglu et James Robinson, « The economic nature of the resource curse: Evidence », in Why Nations Fail (blog), 21 mai 2013.

aller plus loin... lire « Le syndrome hollandais ou l'abondance en ressources naturelles comme malédiction »