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« C'était vraiment prévisible. Enlevez la capacité de contrôler les taux d'intérêt nationaux et vous rendez possible une divergence des dynamiques de demande, une divergence qui entraîne des déséquilibres en termes compétitivité qui vous devrez douloureusement corriger par la suite. La bonne nouvelle était que vous pouviez utiliser la politique budgétaire contra-cyclique pour modérer ces déséquilibres - une idée largement acceptée en macroéconomie. Mais ce n'était pas ce que les architectes de l'euro voulaient entendre.

(…) Ainsi, au lieu d'avoir une politique budgétaire contra-cyclique, nous nous sommes retrouvées avec une obsession pour les déficits budgétaires et la possibilité que les gouvernements soient budgétairement irresponsables. Même avec cette obsession, la zone euro n'a pas réussi à repérer le seul Etat-membre qui se comportait de cette façon avant qu'il ne soit trop tard. Mais en regardant dans la mauvaise direction, la zone euro a permis précisément le genre de déséquilibres de compétitivité que la politique budgétaire est à même de corriger.

Ce n'est pas la sagesse du recul. Avant la création de l’euro, je faisais partie d'un grand groupe d'économistes qui suggérait que la politique budgétaire devait être utilisée de façon contra-cyclique par les Etats-membres de la zone euro. Ce travail s’est poursuivi après la création de l’euro : en voici deux exemples ici et. Cela n'a eu aucun impact sur la politique. Il y a beaucoup de choses que nous n'avons pas prévues. En l’occurrence, il est particulièrement ironique que le premier choc asymétrique majeur à avoir frappé la zone euro et à avoir provoqué de grands déséquilibres en termes compétitivité ait sans doute été une conséquence même de la création de l'euro. Il n’en reste pas moins qu’il existait une manière de traiter ces choses-là (…) et pourtant elle fut ignorée.

Maintenant, en disant cela, je me retrouve en désaccord avec Martin Wolf, chose dont je n’ai pas l’habitude. Il a affirmé (ici par exemple) qu'un pays comme l'Espagne n'aurait pas pu en faire davantage en termes de politique budgétaire pour contrer son boom immobilier. J'ai entendu beaucoup dire la même chose. « Vous pensez que l'Espagne aurait dû dégager des excédents budgétaires encore plus importants ? » demandent-ils de façon incrédule. La réponse est tout simplement « oui » : en regardant les excédents budgétaires, vous regardez le mauvais indicateur. Voici ce qui s'est passé du côté de l'inflation des prix à la consommation entre 2000 et 2007 :

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L'inflation a été nettement supérieure à la moyenne de la zone euro chaque année. Si le taux d'inflation moyen avait été de 10 %, voire 5 %, cela n'aurait pas été un gros problème, mais quand la cible d'inflation est 2 % ou moins, cela rend particulièrement douloureux le renversement de ces tendances. Regarder les excédents budgétaires durant un boom domestique tiré par l’immobilier peut être très trompeur, comme Karl Whelan l’affirme dans le cas de l'Irlande.

Il peut y avoir plusieurs raisons expliquant pourquoi la zone euro a ignoré ce conseil. L'une d’entre elles a probablement été la croyance que la politique budgétaire contra-cyclique est inefficace ou dangereuse. (La logique ordolibérale n'a jamais vraiment été précise à ce sujet et elle apparaît plutôt comme un article de foi.) Une autre raison est la croyance quasi mystique que la création de l'euro diminuerait l'importance des chocs asymétriques ou l’ampleur des structures asymétriques. Une autre raison, encore, était l’idée assez répandue que l’appartenance à la zone euro réduirait dangereusement la discipline budgétaire et que donner un rôle contra-cyclique à la politique budgétaire ne ferait qu'encourager cette mauvaise discipline. Pourtant, nous savons maintenant (…) que ce dernier argument est complètement faux. Ne pas avoir votre propre banque centrale signifie que la discipline que le marché exerce sur la politique budgétaire des Etats-membres sera beaucoup plus forte, une fois que l’on comprend que le défaut national est possible.

Je ne pense pas que beaucoup de macroéconomistes aient compris cela. L’idée qui faisait auparavant consensus et que les travaux universitaires tendaient à soutenir était que l'adhésion à une monnaie commune réduisait la discipline que le marché exerce sur la politique budgétaire. Pourtant, cette analyse a ignoré le défaut et la possibilité qu’un mauvais équilibre puisse générer une crise auto-réalisatrice. Les pays ne vont pas oublier de sitôt les événements qui se sont produits entre 2010 et 2012, si bien que le danger à présent est que les marchés disciplinent excessivement, et non pas trop peu, la politique budgétaire. Ironie du sort, l'architecture du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) a envoyé tous les mauvais signaux. En insistant sur le danger que certains pays adoptent un comportement de passager clandestin dans la zone euro, elle a suggéré que de telles actions pouvaient être dans l’intérêt d’un pays qui pourrait s’en sortir avec. C'est pourquoi les tentatives de contrôle des budgets nationaux au niveau de la zone euro peuvent être contre-productives et inutiles. Il est de loin préférable de construire des institutions nationales qui peuvent assurer que les pays élaborent une politique budgétaire appropriée qui est dans leur intérêt national. Dans un monde idéal, la Commission pourrait jouer un rôle de coordination, mais compte tenu de son état d'esprit actuel, les choses auraient été meilleures sans elle.

(…) La médecine palliative qui aurait permis de gérer la crise de l’euro était disponible, mais les responsables politiques ont décidé de ne pas s’en servir. Ce qui fait de cette grave erreur politique une tragédie, c'est que les décideurs continuent de faire la même erreur. Le pacte budgétaire est exactement le contraire de ce que la zone euro a besoin maintenant. (Les Pays-Bas en sont un bon exemple.)

Cela me rend à la fois optimiste et pessimiste à propos de la macroéconomie comme discipline. Optimiste, parce que le sujet a le potentiel de bien orienter nos actions : des idées fondamentales, comprises depuis longtemps, mais clairement pas évidentes pour certains, peuvent nous aider à prévenir les catastrophes. (Ceux qui prétendent que la macroéconomie est le point faible de la science économique devraient prendre note.) Pessimiste, parce que, même lorsque ces catastrophes se produisent, on continue d’ignorer le savoir macroéconomique. »

Simon Wren-Lewis, « The Eurozone’s founding mistake », in Mainly Macro (blog), 18 juillet 2013.Traduit par M.A.

aller plus loin... lire « Les déséquilibres extérieurs de la zone euro » et « La crise européenne de la dette souveraine a-t-elle été auto-réalisatrice ? »