« Il est rafraîchissant de voir les chercheurs les plus réputés questionner les hypothèses que les économistes utilisent dans leurs modélisations. Paul Krugman, Brad DeLong et bien d'autres poursuivent un débat méthodologique sur ce qui constitue un modèle économique acceptable et comment valider ses prédictions. Le rôle des fondations microéconomiques, l'existence d'un état naturel autour duquel l'économie graviterait, etc., sont de nombreux débats très intéressants qui ont tendance à être ignorés (…) dans la recherche universitaire. Je voudrais aller plus loin et ajouter certaines choses que j’aimerais voir faire partie de la modélisation dominante en économie. Dans le désordre :

1. Le cycle d’affaires n'est pas symétrique. La plupart des modèles macroéconomiques débutent avec l'idée que les fluctuations sont causées par une succession d'événements qui sont à la fois positifs et négatifs (en moyenne, ils sont égaux à zéro). Non seulement, c'est une mauvaise représentation des chocs économiques, mais cela conduit également à entretenir l’idée que la politique de stabilisation ne peut pas faire grand-chose. En fait, c'est Milton Friedman qui a proposé le modèle (...) de cycles d'affaires comme alternative à la notion que les fluctuations sont symétriques. Dans le modèle de Friedman, la production peut seulement être sous le potentiel ou au maximum. Si nous nous étions appuyés sur des modèles asymétriques du cycle économique, notre point de vue sur la production potentielle et le taux de chômage naturel serait radicalement différent. Nous ne serions pas en train de réécrire l'histoire pour prétendre que le PIB en 2007 a été supérieur au potentiel dans la plupart des économies de l'OCDE et nous ne serions pas en train d’affirmer que le taux de chômage en Europe du Sud est très proche de son niveau naturel.

2. Bien que la méthodologie du NBER mette l'accent sur la notion de récession (qui, soit dit en passant, est asymétrique par nature), la majorité de la recherche universitaire utilise des modèles où les fluctuations économiques sont provoquées par de petits chocs fréquentes et non par des événements de grande ampleur et peu fréquents. Le décalage vient probablement du fait qu'il est tellement plus facile de concevoir des modèles avec de petits chocs fréquents que d'avoir à définir un processus (stochastique ?) pour les grands événements. C’est même pire si l'on pense que les récessions sont causées par les dynamiques générées en période d'expansion. La plupart des modèles économiques reposent sur des événements inattendus pour générer la crise, et non sur la dynamique interne qui précède la crise. (Un peu d'autopromotion : l’article que j’ai écrit avec Ilian Mihov à propos de la forme et de la longueur des reprises présente quelques preuves empiriques en faveur de ces deux hypothèses.)

3. Il ne doit pas y avoir que la rigidité des prix. Les modèles keynésiens s'appuient sur la rigidité des prix pour expliquer les cycles économiques et pourquoi la demande importe. Il y a beaucoup de preuves empiriques suggérant que les rigidités de prix sont importantes et elles nous aident à comprendre certaines caractéristiques du cycle d'affaires. Mais il faut plus que ça. Il y a d'autres frictions dans l'économie réelle qui expliquent la lenteur de l’ajustement et qui sont responsables de la persistance de cycles d’affaires. Elles peuvent ne pas être faciles à mesurer ou à modéliser, elles peuvent être différentes d'un pays à l’autre, mais il est difficile d'imaginer qu'un ajustement des prix et des salaires à leur niveau optimal restaurerait automatiquement le plein emploi. Larry Summers a fait référence à ces frictions dans son récent discours à la conférence du FMI, mais il ne s’est pas étendu sur elles.

4. L'idée que la coordination entre les agents économiques est importante lorsqu’il s’agit d’expliquer la dynamique des cycles économiques reçoit peu d’attention dans la recherche universitaire. Elle apparaît parfois dans le débat autour de la politique économique (par exemple, Olivier Blanchard, l’économiste en chef du FMI, a parlé d’équilibres multiples pour expliquer la crise de la dette souveraine en Europe), mais elle n'a pas reçu dans le milieu universitaire la crédibilité qu'elle mérite. Je sais qu’il y a beaucoup d’études qui traitent de ces quatre questions et que certaines d’entre elles ont été publiées dans les meilleures revues universitaires. Mais la plupart de ces études ne reçoivent que peu d’échos. La plupart des économistes sont favorables à ces hypothèses, mais ils évitent de les utiliser dans leurs articles parce qu'ils ont peur qu’on leur dise que leurs hypothèses sont ad hoc et que leur modèle n’ait pas suffisamment de fondements microéconomiques (…). »

Antonio Fatás, « Four missing ingredients in macroeconomic models », 16 décembre 2013. Traduit par M.A.