« La différence entre le taux d'intérêt et les taux de croissance apparaît comme l’un des paramètres importants dans de nombreux modèles macroéconomiques. Elle est aussi une variable clé pour juger de la soutenabilité des finances publiques : des taux d'intérêt plus élevés accroissent la charge de la dette, tandis que des taux de croissance élevés aident à garder le ratio dette publique sur PIB sous contrôle.

Dans un billet récent, Floyd Norris critique le Congressional Budget Office (CBO) des États-Unis pour ses projections budgétaires au motif que l’institut suppose des taux de croissance inférieurs dans le futur, mais aussi un retour à des taux d'intérêt "normaux". Norris avance que (…) les taux d'intérêt et les taux de croissance sont corrélées, si bien que si la croissance va être beaucoup plus faible à l'avenir nous devons aussi prévoir des taux d'intérêt plus faibles (et cela nous amène à être plus optimistes quant aux perspectives budgétaires).

Paul Krugman soutient tout d’abord les arguments de Floyd Norris, mais ensuite, après avoir vérifié les données, Krugman réalise que les taux de croissance et d’intérêt ne sont pas corrélés. Voici un graphique de Krugman représentant la différence entre les taux d’intérêt et les taux de croissance pour les Etats-Unis.

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La relation entre les taux d'intérêt et les taux de croissance ne présente pas de tendance claire dans le graphique. Durant les années soixante, les taux d'intérêt étaient plus bas que les taux de croissance (lorsque la croissance était élevée). Nous voyons une tendance similaire au cours des dernières années, mais la croissance était alors faible. Les années quatre-vingt se distinguent par une période de taux d'intérêt élevés par rapport à la croissance (et la croissance fut autour de sa moyenne de long terme).

Mais il y a autre chose à prendre en compte lorsque l’on analyse la différence entre taux d’intérêt et croissance : Norris et Krugman observent des taux d'intérêt et de croissance dans le cadre d'une économie (en l’occurrence les États-Unis). Mais étant donné la nature mondiale des marchés de capitaux, la relation entre les taux d'intérêt et de croissance (si elle existe) doit être présente au niveau mondial. Qu’est-ce qui se passe si l'on regarde l'écart entre les taux d'intérêt et les taux de croissance pour le monde ? Voici une estimation rapide de cette différence :

GRAPHIQUE Taux d'intérêt moins taux de croissance (r - g, en %)

Fatas__world_interest_and_growth_rates__taux_de_croissance_moins_taux_de_croissance.png

Pour mieux comprendre le schéma ci-dessus se rattache à celui de la croissance du PIB, voici la croissance mondiale au cours de chacune de ces décennies (mesuré à la fois en termes réels, c’est-à-dire en dollars américains constants, et en termes nominaux, c’est-à-dire en dollars américains courants) .

GRAPHIQUE Croissance mondiale (en %)

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Quel est le comportement des taux de croissance et d'intérêt mondiaux ? Comme dans les données américaines, la relation entre les taux d'intérêt et les taux de croissance a changé au cours des dernières décennies. La croissance réelle est stable au cours de chaque décennie, bien qu’en hausse après 2000 (en raison des pays émergents).

Les années quatre-vingt se distinguent comme une décennie avec des taux d'intérêt très élevés par rapport à la croissance. Les années deux mille et la période 2010-2013 se caractérisent par des taux très bas par rapport à la croissance (alors que la croissance mondiale reste forte). Qu’est-ce qui détermine alors les taux d'intérêt ? L’idée habituellement avancée pour expliquer leur comportement après 2000 est celui d’un excès d’épargne (saving glut) qui apparaitrait à la fin des années quatre-vingt-dix avec la hausse des taux d’épargne dans des régions comme l’Asie (en partie en réponse à la crise asiatique). En théorie, un tel un changement dans l'épargne mondiale devrait conduire à des taux d'intérêt plus faibles et à des taux de croissance plus élevés dans le monde.

En résumé, étant donné que les taux d’intérêt sont déterminés par les conditions mondiales, tout peut arriver lorsqu’on les compare avec les taux de croissance pour un pays donné (bien sûr, si le pays est assez grand pour influencer les variables mondiales, alors les conditions domestiques et mondiales sont corrélées). La bonne façon d’observer ces deux variables est de la faire au niveau mondial. Mais les données empiriques confirment que, même si l'on regarde au niveau mondial, on ne peut pas exclure qu’à l’avenir les taux d'intérêt et des taux de croissance divergent (une telle divergence doit encore être justifiée par les dynamiques de l'investissement et de l'épargne au niveau mondial, mais elle est tout à fait possibles). »

Antonio Fatás, « Global interest rates and growth (r-g) », in Antonio Fatas on the Global Economy (blog), 5 mars 2014. Traduit par Martin Anota