« Claudio Borio et Piti Disyatat ont parlé des dangers des faibles taux d'intérêt dans un article posté sur VoxEU. Ils utilisent un argument régulièrement avancé par la Banque des Règlements Internationaux (BRI) : les taux d'intérêt bas en période de booms et d’expansions peuvent générer des bulles et de l'instabilité financière. Les banques centrales doivent être conscientes des coûts associés aux faibles taux d'intérêt.

Les auteurs, tout en acceptant l'idée que la faiblesse des taux d'intérêt réels pourrait être le résultat d'une faible croissance et de la stagnation séculaire, affirment que les banques centrales ne peuvent pas simplement être considérées comme des agents passifs qui adapteraient leur politique monétaire à l'environnement macroéconomique ; elles sont responsables de la faiblesse des taux d'intérêt. Selon eux, "la monnaie et la finance ne sont pas neutres".

Citons un autre extrait : "non seulement les facteurs financiers (en particulier le levier d’endettement) peuvent amplifier les fluctuations cycliques, mais ils peuvent aussi éloigner l'économie d'une trajectoire de croissance soutenable. En influençant les décisions d'investir, les variations des conditions financières affectent l'évolution du stock de capital et donc les futurs fondamentaux économiques. Un accroissement du stock de capital en période d'expansion peut contribuer à contenir l'inflation et à rendre moins pressant un resserrement de la politique monétaire. En même temps, les amples variations de prix relatifs que nous observons lors des booms financiers conduisent à un détournement peu réversible des ressources au profit des secteurs en surchauffe. L'impact durable du cycle financier apparaît clairement lors de l’effondrement. Il faut du temps pour venir à bout de l’héritage laissé par l’accumulation de dette et la mauvaise allocation des ressources qui lui est associée (en particulier le surinvestissement)".

Pour étayer leur affirmation, les auteurs produisent un graphique montrant l’augmentation spectaculaire de la dette (publique et privée) au cours des périodes où le taux d'intérêt déclinait.

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Leur conclusion : "une relance peut stimuler la production à court terme, mais cela peut aussi aggraver le problème, ce qui amène alors les autorités à relancer toujours plus massivement. Nous pouvons éviter une dépendance malsaine aux analgésiques, mais seulement si nous reconnaissons le risque à temps."

Je n'ai aucune objection à l'idée que la monnaie et la finance ne soient pas neutres et que les banques centrales puissent avoir un rôle important sur les marchés financiers. Mais l'analyse ci-dessus est trop simpliste et potentiellement trompeuse.

Elle suggère que les taux d'intérêt arbitrairement bas que fixe la banque centrale génèrent un comportement non soutenable en termes d'accumulation de dette et que celui-ci serait dissimulé par les bulles en période de prospérité (…).

Ce qui manque toujours dans cette analyse est le fait que le monde est un système fermé. La dette qui apparaît dans le graphique ci-dessus doit être achetée par quelqu'un. Ces passifs sont des actifs pour quelqu'un d'autre. Qui sont les acheteurs ? Et qui les "oblige" à acheter ces actifs à ce prix et à ce rendement ? Avant de continuer plus loin, écartons l’idée que la banque centrale achète ces actifs. La meilleure façon de comprendre que ce ne peut pas être la banque centrale est que le graphique ci-dessus commence bien avant que les banques centrales commencent à accroître leur bilan. (La deuxième raison est que pour chaque actif qu’elle achète, la banque centrale émet une dette, mais prendre en compte cela risque de compliquer notre raisonnement).

Il y a une façon plus simple d'expliquer le graphique ci-dessus. Un changement dans l'offre de l'épargne de la part de certains agents ou pays a entraîné une baisse des taux d'intérêt et une hausse des emprunts par le reste du monde. (…) Cela peut être un développement insoutenable comme les emprunteurs vont trop loin et que les prêteurs ne comprennent pas le risque encouru, mais ce n'est pas provoqué par les politiques irresponsables de la banque centrale. Il se pourrait en outre que nous ayons vu une augmentation significative des flux bruts d’actifs et de passifs qui ne se traduisent pas par un changement dans les capitaux propres ou le patrimoine net, mais qui entraînent une hausse de la taille des bilans des agents (c'est-à-dire à un plus haut effet de levier). Le plus simple exemple est celui des ménages qui achètent de l'immobilier avec les prêts hypothécaires, mais cela peut également être des institutions financières faisant de plus en plus usage du levier d’endettement. Cela augmente non seulement la dette, mais aussi les actifs. Ceci, encore une fois, peut générer de l'instabilité mais les emprunts que nous voyons doivent venir d’ailleurs (pas de la banque centrale). Il est essentiel de comprendre l'autre côté du bilan pour avoir une image complète de ce qui a causé la crise et de ce qu'il faut pour en sortir. »

Antonio Fatás, « Addicted to central bank painkillers? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 26 juin 2014. Traduit par Martin Anota