trader_1968274b.jpg

« Voici une expérience de pensée : que pourrait-on dire si l’économie américaine basculait dans une récession le mois prochain ? Serait-ce trop tôt pour une récession ? Serait-elle similaire aux précédentes ? Et quelles causes pourrait-on mettre en avant pour expliquer la récession ?

Commençons par compter les mois en utilisant les deux phases du cycle d’affaires tel qu’il est défini par le comité de datation des cycles d’affaires du Nation bureau of Economic Research (NBER). Quel aurait été la durée de l’expansion actuelle ? Celle-ci débuta en juin 2009, si bien qu’elle aurait duré presque 62 mois. Comparé à l’ensemble des expansions qui ont eu lieu après la Seconde Guerre mondial, elle aurait été plus longue que la moyenne (qui est égale à 60,5 mois).

GRAPHIQUE 1 Durée des expansions américaines (en mois)

Antonio_Fatas__duree_expansions_Etats-Unis__Martin_Anota_.png

Une autre manière de voir cela est de rappeler que la précédente expansion (celle qui s’est achevée en décembre 2007) avait duré 73 mois, soit une année de plus. Certes nous sommes loin d’atteindre les 92 ou 120 mois des deux précédentes (celles qui s’étaient achevées en juillet 1990 et mars 2001), mais celles-ci furent deux des plus longues expansions que les Etats-Unis aient connues après-guerre. Ainsi, pour ceux qui aiment penser aux expansions et aux récessions en termes de durée et qui pensent que les crises surviennent avec une « certaine » fréquence, il n’y aurait rien d’inhabituel si une récession débutait aujourd’hui.

Ce qui serait plus inhabituel avec cette hypothétique entrée en récession, ce serait le profil de l’économie américaine. Rien n’indique que cette dernière soit en surchauffe (ni inflation, ni croissance des salaires). Il serait aussi très difficile de trouver de larges excès financiers comme nous en avons vus à la fin des années quatre-vingt-dix (le marché boursier présentait alors des ratios price-earning bien plus élevés que ceux que nous observons aujourd’hui) ou quelque chose de similaire à la forte hausse de l’investissement dans l’immobilier et aux prix du logement surévalués que nous avons observés dans les années qui précédèrent la récession de décembre 2007. Nous pourrions bien sûr penser que la récession survint en raison de l’incertitude géopolitique mais une analyse historique des événements historiques au cours des dernières décennies suggèrerait que ce que nous voyons aujourd’hui (croisons les doigts) n’est pas inhabituel.

Et si une récession débutait aujourd’hui, une dynamique qui serait aussi très différente serait l’orientation de la politique monétaire. Si nous la mesurons en utilisant l’écart entre les taux d’intérêt de long terme et ceux de court terme, nous verrons que cette différence présente typiquement une forte tendance baissière à la veille d’une récession, quelque chose que nous n’avons pas du tout vu au cours des derniers mois (ou des dernières années). Voici l’écart moyen entre les taux d’intérêt à 10 ans et ceux à 3 mois au cours des quatre dernières récessions et l’écart que nous observerions si une récession éclatait aujourd’hui.

GRAPHIQUE 2 Ecart entre les taux à 10 ans et les taux à 3 mois (en points de pourcentage)

Antonio_Fatas__Etats-Unis_ecart_taux_d__interet_10_ans_3_mois_avant_recession__1__Martin_Anota_.png

La moyenne des 4 dernières récessions montre que la différence de taux d’intérêt présente une tendance baissière régulière vers zéro dans les trimestres qui précèdent une récession. Et si vous voulez plus de détails, voici les données pour ces 4 récessions. (J’exclus la récession de juillet 1981 parce que l’expansion qui la précéda fut trop courte pour dire quelque chose qui soit significatif.)

GRAPHIQUE 3 Ecart entre les taux à 10 ans et les taux à 3 mois (en points de pourcentage)

Antonio_Fatas__Etats-Unis_ecart_taux_d__interet_10_ans_3_mois_avant_recession__Martin_Anota_.png

Même s’il y a quelques différences entre les différents cycles économiques, ils partagent tous la même tendance globale. Nous n’avons vu aucune de ces dynamiques au cours des derniers mois ou des dernières années. L’écart entre les taux d’intérêt à 10 ans et ceux à 3 mois reste fortement positif. Et même s’il est possible que les taux d’intérêt à court terme soient sur le point de s’accroître aux Etats-Unis, il est aussi très probable que lorsqu’ils le feront nous voyons aussi les taux à 10 ans s’élever. Donc si ceci fut un cycle typique, nous sommes loin de voir une courbe des taux plate ou décroissante.

En quoi notre compréhension des cycles d’affaires serait-elle bouleversée si une récession éclatait en septembre ? Certes il ne serait pas surprenant de voir les Etats-Unis plonger aujourd’hui en récession si l’on se base sur la durée de l’actuelle expansion, mais cette crise, si elle survenait, soulèverait de nombreuses questions, notamment à propos des raisons pour lesquelles une économie plonge en récession et à propos du comportement des taux d’intérêt et de l’orientation de la politique monétaire autour du point de retournement du cycle. Ce serait une autre « nouvelle norme » (new normal), mais cette fois-ci pour les cycles d’affaires. »

Antonio Fatás, « The September 2014 recession? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 12 août 2014. Traduit par Martin Anota