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« Juste au lendemain de la conférence de presse où Mario Draghi, le président de la BCE, mit en exergue les problèmes soulevés par la consolidation budgétaire européenne, le gouvernement français a renvoyé son ministre de l’économie pour précisément avoir critiqué l’austérité. Il y a une différence fondamentale bien sûr : Draghi a fait preuve de prudence en déclarant que "nous opérons dans le cadre de règles budgétaires (en l’occurrence le Pacte de Stabilité et de Croissance, PSC) qui constitue une ancre pour la confiance et qu’il serait désastreux de ne pas le respecter". A l’inverse, le ministre de l’économie Montebourg a apparemment appelé à un changement de cap majeur dans conduite de la politique économique et à l’abandon de l’austérité en se plaignant de "la plus extrême orthodoxie de la droite allemande".

Laissons de côté les aspects politiques de ce qui se passe en France. La logique économique est du côté de Montebourg plutôt que de Draghi ou de Hollande. Une fois que vous comprenez que la consolidation budgétaire est un problème, vous en déduisez que le PSC constitue également un problème, parce que c’est bien elle qui est à l’origine l’austérité en zone euro. La meilleure chose que Draghi puisse faire pour dissimuler ce fait est de parler à propos d’une "ancre de confiance", mais confiance en quoi ? Il doit savoir que c’est son propre programme OMT qui a mis un terme à la crise de 2010-2012, et non le PSC amélioré. Dans un récent article pour le Washington Post, Matt O’Brien se demande pourquoi beaucoup n’ont pas retenu les leçons des années trente. Que la gauche en particulier semble ignorer ces leçons semble étrange. Au Royaume-Uni, l’histoire de la gauche est fortement marquée par le destin de Ramsay MacDonald. Il dirigea le gouvernement travailliste à partir de 1929, mais celui-ci explosa finalement en 1931 sur la question de savoir si les allocations chômage devaient être réduites pour rester dans l’étalon-or. Le Royaume-Uni a abandonné l’étalon-or immédiatement après, mais Ramsay MacDonald resta au pouvoir comme premier ministre dans un gouvernement d’union nationale et il fut ensuite considéré à gauche comme un "traître".

La France n’a pas besoin de regarder le Royaume-Uni pour savoir qu’il est désastreux et vain d’utiliser l’austérité pour stabiliser l’économie lors d’une dépression. (…) Le vilain dans le cas français fut la Banque de France. Dans les années vingt, elle utilisa chaque moyen à sa disposition pour plaidoyer en faveur de la déflation afin que la France retourne à l’étalon-or à sa parité d’avant-guerre (…). Quand la France rejoignit l’étalon-or en 1928, les importations subséquentes d’or contribuèrent à générer une puissante force déflationniste sur l’économie mondiale.

Donc pourquoi la gauche européenne en général et la gauche française en particulier n’ont-elles pas retenu les leçons des années vingt et des années trente ? Pourquoi la plupart des partis modérés de gauche semblent accepter le carcan du PSC alors que le chômage continue de s’accroître ? Peut-être que la réponse se trouve dans de plus proches événements. Après plusieurs années passées dans le désert politique, François Mitterrand a été élu Président en 1981 et son gouvernement devint le premier gouvernent de gauche en 23 ans. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, la forte inflation fut combattue par un resserrement de la politique monétaire, mais Mitterrand et son gouvernement empruntèrent un autre chemin en utilisant des mesures budgétaires pour soutenir la demande et en espérant que les améliorations de la productivité qui s’ensuivraient atténueraient l’inflation. Bien que la relance budgétaire permit à la France de ne pas connaître une récession aussi sévère que ses voisins, l’inflation resta élevée en 1981 (notamment à cause des relèvement du salaire minimum et des autres mesures qui accrurent les coûts) et s’accéléra en 1982, à un moment où l’inflation chutait dans les autres pays. La brutale détérioration du solde commercial qui s’ensuivit mit le franc sous pression et les mesures budgétaires du gouvernement furent renversées. La politique économique changea de cap.

Pour un macroéconomiste, cette histoire est très différente aujourd’hui, puisque l’inflation de la zone euro s’élève à 0,4 % et l’inflation française à 0,5 %. Cependant, l’histoire politique du début des années quatre-vingt associe la relance budgétaire et l’expansion de la demande avec les "politiques socialistes", et leur échec et abandon sont associées au maintien de Mitterrand au pouvoir jusqu’à 1995. Lorsque les marchés connurent des turbulences avec les dérapages budgétaires de la Grèce en 2010, peut-être que beaucoup à gauche pensèrent qu’ils auraient encore une fois à réprouver leurs instincts politiques face aux pressions des marchés et à entreprendre une consolidation budgétaire. Malheureusement, ce n’est pas les années quatre-vingt, mais bien les événements des années trente, qui constituent le meilleur parallèle historique. »

Simon Wren-Lewis, « Austerity, France and memories », in Mainly Macro (blog), 25 août 2014. Traduit par Martin Anota