« Régulièrement, certains louent les vertus de la monnaie-hélicoptère (helicopter money) ou débattent de son usage. Voici un guide simple pour ce concept qui semble a priori étrange. J’enchaîne les points selon un ordre croissant d’importance, en commençant par voir l’essentiel des points 1 à 7, puis traitant ensuite de choses plus ésotériques :

1. La monnaie-hélicoptère est une forme de relance budgétaire. Dans l’expérience de pensée originelle de Friedman, la banque centrale distribue de la monnaie par hélicoptère, mais dans le monde réel, cela pourrait prendre la forme d’une réduction d’impôt d’un certain type.

2. Ce qui rend la monnaie-hélicoptère différente d’une réduction d’impôt conventionnelle est qu’elle est financée par la planche à billets de la banque centrale et non par un gouvernement émettant de la dette.

3. Que la banque centrale fasse tourner la planche à billets n’est en rien nouveau : avec l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), la banque centrale crée des réserves et les utilise pour acheter des actifs financiers, essentiellement de la dette publique. Par conséquent, la monnaie-hélicoptère est en fait la combinaison de deux politiques qui nous sont désormais familières, en l’occurrence l’assouplissement quantitatif et une réduction d’impôts. Considérons cela différemment : au lieu d’utiliser la monnaie pour acheter des actifs (chose que fait l’assouplissement quantitatif), la banque centrale la donne aux gens. Si vous pensez que ce serait un meilleur usage de la monnaie comme stimuler l’économie, je suis d’accord avec vous.

4. Est-ce exactement la même chose qu’une réduction d’impôt conventionnelle couplée à un assouplissement quantitatif ? Avec une réduction d’impôt conventionnelle, le gouvernement s’endette davantage et la banque centrale achèterait ensuite les titres publics nouvellement émis dans le cadre de l’assouplissement quantitatif. Avec la monnaie-hélicoptère, il n’y a pas d’endettement additionnel du gouvernement. Mais si la dette publique est détenue par la banque centrale et si la banque centrale rembourse au Trésor les intérêts qu’elle reçoit sur cette dette, n'est-ce pas de la dette publique ? La réponse est affirmative, parce que la banque centrale peut décider de vendre les titres publics, auquel cas, la dette publique redevient normale.

5. Cependant, à ce point nous devons nous demander quel est l’objectif de la banque centrale. Supposons que la banque centrale cible l’inflation. Elle atteint cette cible en changeant les taux d’intérêt, ce qu’elle peut contrôler (à court terme) ou influencer (à long terme) en achetant ou en vendant des actifs de divers types. Donc les décisions de la banque centrale relatives aux achats et ventes de titres publics dépendent du besoin d’atteindre la cible d’inflation. Par conséquent, il y a une différence négligeable si de la monnaie est émise en achetant la dette publique (via l’assouplissement quantitatif) qui finance la réduction d’impôt ou en finançant directement la réduction d’impôt, parce que les décisions à propos de la quantité de monnaie créée à long terme sont déterminées par le besoin d’atteindre la cible d’inflation.

6. Il y a un principe général ici que l’on doit toujours garder à l’esprit lorsque l’on parle de la monnaie-hélicoptère. La banque centrale ne peut pas indépendamment contrôler l’inflation et contrôler la création monétaire – les deux sont liées à long terme (bien que le court terme puisse être bien plus imprévisible). Maintenant il se peut que les partisans de la monnaie-hélicoptère veulent vraiment un relèvement des cibles d’inflation, mais ne veulent pas l’avouer, de la même manière qu’ils ne veulent dire que la monnaie-hélicoptère correspond à une relance budgétaire. Le problème avec ceci est que les banquiers centraux comprennent la macroéconomie, donc il semble vain de vouloir les tromper. Si la monnaie-hélicoptère ne se traduit finalement pas par un relèvement des cibles d’inflation, alors cette politique se résume finalement à une relance budgétaire couplée à un assouplissement quantitatif. (…)

7. Dire que la monnaie-hélicoptère est “juste” une relance budgétaire couplée à un assouplissement quantitative n’est pas vraiment trompeur. Mark Blyth et Eric Lonergan soulignent avec raison que notre distinction institutionnelle entre politiques monétaire et budgétaire peut ne pas être appropriée dans un monde où la trappe à liquidité peut être un problème fréquent. Il y a quelques années, j’ai suggéré dans un article du Financial Times que la banque centrale pourrait avoir le pouvoir de changer temporairement certains instruments budgétaires pour améliorer son contrôle sur l’économie. (…)

8. La réduction d’impôt marcherait-elle pour stimuler la consommation ? Une objection régulièrement avancée à une réduction d’impôt financée par voie de dette est l’équivalence ricardienne : les gens épargnent la réduction d’impôt parce qu’ils savent que les impôts vont s’accroître à l’avenir pour rembourser les intérêts sur la nouvelle dette. Maintenant nous savons que pour de très bonnes raisons l’équivalence ricardienne ne tient pas dans le monde réel, donc nous entrons ici dans le monde des bisounours, donc vous risquez de vouloir arrêter de lire ici. Sinon, la question que l’on peut se poser est : s’il y a équivalence ricardienne, une réduction d’impôt qui serait financée en faisant tourner la planche à billets est-elle sujette au même problème ? Ici il s’agit de savoir si la monnaie banque centrale est irrécupérable ou non. Nous nous y penchons au prochain point.

9. Il y a équivalence ricardienne si les consommateurs sont contraints d’épargner toute la réduction d’impôt pour éviter d’avoir à réduire leur consommation future lorsque les impôts s’élèveront pour rembourser les intérêts sur la dette publique créée par la réduction d’impôt. Si une réduction d’impôt de 100 euros implique que les impôts sont plus élevés de 5 euros chaque année après pour rembourser à un taux d’intérêt de 5 %, alors si le taux d’intérêt que les consommateurs peuvent recevoir est aussi de 5 %, ils auront à épargner la totalité des 100 euros de la réduction d’impôt pour générer un extra de 5 euros chaque année et ainsi payer ces impôts supplémentaires. Maintenant supposons que la réduction d’impôt est financée en faisant tourner la planche à billets. Il n’y a maintenant pas d’intérêts à payer. Donc si la banque centrale ne désire pas défaire sa création monétaire, il n’y a pas de raison pour que les agents privés qui détiennent cette monnaie ne la considèrent pas comme richesse et refusent de la dépenser. C’est ce que j’entends en parlant d’une monnaie irrécupérable.

10. Cependant nous devons rappeler que la banque centrale peut cibler l’inflation. Pour cette raison, elle peut vouloir défaire sa création monétaire. Si les gens s’attendent à une telle action, ils ne vont pas considérer leur monnaie comme de la richesse. La logique de l’équivalence ricardienne s’applique ici. (La banque centrale peut ne pas réduire la monnaie en circulation en augmentant les impôts, mais elle peut vendre de la dette publique. Comme le gouvernement a à payer des intérêts sur sa dette, les impôts vont effectivement augmenter.) C’est pourquoi Willem Buiter souligne que c’est la monnaie attendue future et non la monnaie courante qui est considérée comme richesse.

11. Tony Yates a récemment publié un billet sur ce sujet. Il affirme que si la banque centrale suppose que la monnaie est irrécupérable et commence à émettre beaucoup, les gens peuvent arrêter de vouloir l’utiliser. S’ils font ça, elle ne va plus être considérée comme de la richesse. C’est vraiment un monde bisounours dans lequel nous risquons de basculer si l’on prend les microfondations trop sérieusement. Demande- vous ce que vous feriez si vous receviez un chèque de la banque centrale dans votre boîte aux lettres. Comme Nick Rowe le souligne dans ce billet, nous pouvons passer outre ceci en notant le lien qui existe entre la création monétaire et les cibles d’inflation. La monnaie requise pour soutenir une cible d’inflation ne va pas être récupérable, donc elle peut être considérée comme de la richesse.

12. Supposons que les banques centrales cherchent à atteindre leur cible d’inflation, mais qu’elles ont des difficultés à l’atteindre parce que nous sommes dans une trappe à liquidité et que l’inflation est alors trop basse. Sans monnaie-hélicoptère, la cible ne sera pas atteinte. C’est le contexte du présent débat. Les gens peuvent-ils épargner leur réduction d’impôts parce qu’ils anticipent des prix plus élevés et prennent conscience qu’ils auront besoin de davantage de monnaie comme un moyen d’échange ? (...) Ce n’est pas un problème car la hausse des prix va réduire les taux d’intérêt réels, ce qui va stimuler l’économie. Comme le dit Willem Buiter, "il existe toujours une combinaison de politiques monétaire et budgétaire qui stimule la demande privée". »

Simon Wren-Lewis, « Helicopter money », in Mainly Macro (blog), 22 octobre 2014. Traduit par Martin Anota