« Pour macroéconomistes.

Il y a plusieurs personnes qui pensent que la politique monétaire doit être la bonne réponse, et ce même dans une trappe à liquidité, en raison du rôle central que joue la monnaie dans l’économie et d’idées comme celle de la "neutralité de la monnaie". Appelons-les les monétaristes de marché (market monetarists) si vous voulez. Ils n’aiment pas la relance budgétaire parce que, selon eux, celle-ci constitue le second meilleur choix (second best) (…) comparée à la politique monétaire. Leurs idées ne sont pas motivées par l’idéologie, mais fondées sur la théorie macroéconomique. (…)

C’est le groupe avec lequel Paul Krugman a récemment débattu. Dans un billet qu’il leur a adressé vendredi dernier, Krugman raisonne dans un monde idéalisé à deux périodes où l’équivalence ricardienne est valide, mais c’est entièrement approprié pour ce qu’il cherche à faire. Si les gens sont amenés à croire quelque chose en raison de ce qu’ils considèrent être des fondements théoriques solides et si vous pensez que ces fondements sont erronés, alors c’est le terrain sur lequel il faut débattre.

L’argument est que dans une trappe à liquidité, lorsque les prix sont visqueux, accroître temporairement l’offre de monnaie (même si ça implique la monnaie hélicoptère, c’est-à-dire des baisses d’impôts financées par émission de monnaie) ne va pas vous aider à sortir de la trappe. Une manière plus moderne de de dire que l’accroissement de l’offre de monnaie est temporaire est de dire que la cible d’inflation n’est pas changée, donc que le niveau des prix à long terme est inchangé. (La neutralité de la monnaie à long terme est vérifiée dans ce monde.) Je ne vais pas reprendre le raisonnement de Paul en détails : je l’ai déjà poursuivi avant. Le point important est que la hausse temporaire de la monnaie est épargnée, non dépensée, parce que les agents savent que c’est temporaire. La neutralité de la monnaie à court terme ne tient pas, et pas parce que les prix sont visqueux, mais en raison de l’équivalence ricardienne.

C’est exactement la même raison pourquoi l’effet Pigou n’est plus débattu. L’équivalence ricardienne a tué l’effet Pigou comme une idée théorique fondamentale. Si la cible d’inflation n’est pas changée, lorsque les prix chutent aujourd’hui le niveau futur des prix doit chuter pari passu, réduisant le stock nominal futur de monnaie. Il n’y a pas d’effet de richesse. Comme je l’ai noté ici, accepter l’idée que la monnaie soit spéciale dans le sens où elle n’est pas remboursable (redeemable) ne permet pas de ressusciter l’effet Pigou, parce qu’avec la monnaie non remboursable tout effet de richesse vient du stock de monnaie à long terme.
La monnaie n’est pas une patate chaude dans ce monde. La patate est devenue froid à cause de la trappe à liquidité et la monnaie est épargnée pour payer les prochaines hausses d’impôts qui vont être nécessaires pour maintenir constant le stock de monnaie (et le niveau des prix) à long terme.

Alors que dans ce monde sans frictions la monnaie est importante, un supplément de dépenses publiques est une manière infaillible d’accroître la demande. Donc elle augmente le niveau des prix à long terme, ce qui signifie que la cible d’inflation sera relevée à un moment ou à un autre.

Tout ce que j’ai réellement voulu faire dans ce billet, c’est faire une observation. Le raisonnement de Paul ne tient que si l’on réfléchit de manière intertemporelle, car c’est ainsi que nous obtenons l’équivalence ricardienne. De la même manière que la rigidité des prix tue la neutralité de la monnaie à court terme, l’équivalence ricardienne le fait également dans un monde de trappe à liquidité où l’on cible l’inflation. Voici donc une théorie macroéconomique microfondée plaidant pour la hausse des dépenses publiques plutôt que pour la politique monétaire lorsque l’économie est confrontée à une trappe à liquidité. La théorie moderne n’est pas en soi inhérente antikeynésienne. »

Simon Wren-Lewis, « Monetary Impotence in context », in Mainly Macro (blog), 20 décembre 2014. Traduit par Martin Anota