« Je veux faire le lien entre deux billets traitant de sujets apparemment différents. Le premier est celui de Fergus Cummung de la Banque d’Angleterre sur la monnaie-hélicoptère, et le second est celui de Jon Cruddas, parlementaire travailliste, cherchant à expliquer la défaite du parti travailliste aux élections.

Eric Lonergan a déjà répondu de façon détaillée au billet de Fergus Cumming. Je vais seulement faire deux observations. Voici une phrase importante tirée des premières lignes : "ce billet explique pourquoi une telle politique est différente de l’assouplissement quantitatif, pourquoi elle n’est pas susceptible d’être plus efficace que les mesures budgétaires conventionnelles et les embuches qui lui sont associées".

Lisez ce passage soigneusement : il indique que la monnaie-hélicoptère sera présentée comme différente de l’assouplissement quantitatif, mais qu’elle sera ensuite comparée, non pas avec l’assouplissement quantitatif, mais avec les mesures budgétaires conventionnelles. Si cela vous semble étrange (dans la mesure où, en principe, la banque centrale met en œuvre l’assouplissement quantitatif et, selon les propositions les plus sérieuses, mettrait en œuvre la monnaie-hélicoptère, tandis que les gouvernements assurent la politique budgétaire), c’est normal (…).

Après, en parlant à propos de ce qui peut se passer si (et c’est bien un "si") la banque manque d’actifs à vendre après qu’elle ait émis de la monnaie-hélicoptère, il écrit : "Dans un certain sens, la banque centrale est désormais "insolvable". (…). Typiquement, un gouvernement peut recapitaliser la banque centrale en lui donnant des titres publics. Mais cela nécessite d’émettre une nouvelle dette, toutes choses égales par ailleurs, qui ramène la relance initiale à un simple transfert budgétaire, financé par émissions d’obligations".

Donc la monnaie-hélicoptère qui est financée après en recapitalisant la banque centrale est juste similaire à une relance budgétaire normale et elle n’est par conséquent pas problématique du point de vue de la banque centrale. Peut-être que, pour cette raison, elle n’est pas davantage discutée dans le billet, mais cela ôte toute justification à la plupart des choses que l’on peut entendre à propos des risques associés à la monnaie-hélicoptère. Après tout, la Banque d’Angleterre s’est déjà attaquée à la question de l’éventuelle "insolvabilité" résultant des pertes associées à l’assouplissement quantitatif et sa réponse a été d’obtenir du gouvernement qu’il s’engage à la recapitaliser si nécessaire. Il semble évident que la même solution peut s’appliquer au cas de la monnaie-hélicoptère. En d’autres mots, quel est problème ? Cela ne fait seulement sens d’ignorer cette possibilité parce que la monnaie-hélicoptère est comparée à la politique budgétaire plutôt qu’à l’assouplissement quantitatif, quelque chose qui, comme nous devons le voir, fait peu sens.

La conclusion clé du billet est : "Pour que la monnaie hélicoptère marche, les ménages et entreprises doivent croire que tous les futurs banquiers centraux et gouvernements devront abandonner le ciblage d’inflation".

Cela ne découle pas forcément de ce que nous avons dit. Comme nous l’avons déjà vu, l’émission de monnaie-hélicoptère qui est suivie par une recapitalisation si elle s’avère nécessaire évite tout problème d’inflation. En outre, cette déclaration suppose implicitement que la banque centrale est toujours capable d’atteindre sa cible d’inflation. C’est un peu comme si vous supposiez votre conclusion. Si l’inflation et l’écart de production (output gap) sont tous deux inférieurs aux niveaux que la banque centrale veut atteindre, alors le bon montant de monnaie-hélicoptère ne va pas entraîner l’insolvabilité de la banque centrale, mais va permettre à cette dernière d’atteindre sa cible.

Jon Cruddas présente des données tirées des sondages d’opinion à propos des raisons expliquant pourquoi le parti travailliste a perdu les élections de 2015. Le titre en est : "le parti travailliste a perdu parce que les électeurs pensaient qu’il était contre l’austérité". Ses preuves empiriques semblent très simples. Quand on demanda aux électeurs s’ils étaient d’accord avec la phrase "nous devons vivre selon nos moyens, donc la réduction du déficit est la priorité", la plupart se sont déclarés d’accord avec celle-ci. (…) C’est un peu comme demander si les gens sont d’accord avec la déclaration "la protection sociale est hors de contrôle, donc le gouvernement doit prendre des mesures afin de réduire les prestations sociales". Il n’est pas clair comment la réponse à cette question justifie le titre selon lequel les électeurs britanniques croyaient que le parti travailliste était contre l’austérité. Cependant je suis d’accord avec la conclusion finale de Cruddas. La voici : "Nous pouvons chercher à changer les idées du public, mais il vaut mieux les ignorer". La politique du parti travailliste juste avant les élections de 2015 sembla consister à essayer d’ignorer la question.

Quelle est le lien entre les deux billets ? Cruddas suggère que les électeurs britanniques sont conservateurs en ce qui concerne le Budget. En effet si nous prenons la réponse du sondage pour argent comptant, les électeurs préfèrent que le Budget soit équilibré, même durant les récessions. Si les politiciens suivent ou exploitent ce conservatisme, cela signifie que la politique budgétaire contracyclique appropriée risque de ne pas être mise en œuvre lorsque l’économie subit une récession sévère et qu’une politique budgétaire inutile et a davantage de chances d’être mise en œuvre. Par conséquent, il est bizarre de rejeter l’idée de la monnaie-hélicoptère au motif qu’elle présente des similarités avec les mesures budgétaires appropriées.

L’idée de la monnaie-hélicoptère a gagné en popularité en raison de l’absence de réponse appropriée de la part de la politique budgétaire et des insuffisances de l’assouplissement quantitatif. Aussi longtemps que la plupart des politiciens dominants continuent de se montrer hostile à l’idée d’adopter une politique budgétaire sensée dans une récession couplée à une trappe à liquidité, les critiques de la monnaie-hélicoptère devront cesser de supposer que cette politique budgétaire sensée sera adoptée. C’est étrangement hypocrite de la part des personnes travaillant dans les banques centrales qui mettent en œuvre l’assouplissement quantitatif en partie à cause d’actions budgétaires inappropriées de comparer tout d’abord la monnaie-hélicoptère, non pas à l’assouplissement quantitatif mais aux mesures budgétaires censées qui ne sont pas adoptées et d’ignorer ensuite le cas où la monnaie-hélicoptère se substitue efficacement à ces mesures. C’est comme si l’on disait : j’adopte la seconde meilleure politique B parce que la première meilleure politique A n’est pas mise en œuvre, mais je ne vais pas adopter la politique C parce qu’elle peut être similaire à A ! Je commence à me dire que les critiques de la monnaie-hélicoptère sont vraiment infondées. »

Simon Wren-Lewis, « The Bank, helicopter money and fiscal conservatism », in Mainly Macro (blog), 6 août 2015. Traduit par Martin Anota