« Dans la mesure où les manuels (qui se contentent de l’indépendance des banques centrales) ne parlent pas de la monnaie-hélicoptère (helicopter money), il est normal que beaucoup se méprennent sur elle. Une première confusion porte sur l’impact de la monnaie-hélicoptère sur les taux d’intérêt nominaux (va-t-elle les accroître ou les réduire ?), comme nous avons pu le voir récemment dans l’échange entre Tony Yates et Paul Krugman. Une deuxième confusion porte sur la relation entre la monnaie-hélicoptère et la politique budgétaire : sont-elles en concurrence l’une avec l’autre pour nous faire sortir des récessions ?

Sur la monnaie-hélicoptère et les taux d’intérêt nominaux, il y a bien sûr l’idée standard et fondamentale que sur un marché vous ne pouvez à la fois contrôler l’offre et le prix (…). Donc si nous voulons penser à propos du marché de la monnaie, vous ne pouvez accroître l’offre de monnaie et accroître son prix (le taux d’intérêt nominal) en même temps.

Mais cette observation ignore ce qui se passe également lorsque vous avez la monnaie-hélicoptère. La monnaie-hélicoptère est en définitive une large relance budgétaire. S’il vous plaît, pas de "mais si l’équivalence ricardienne marche..." : Nous parlons ici de politique à mettre en œuvre dans le monde réel, pas de faire des expériences de pensée, et nous avons toutes les preuves empiriques nécessaires pour dire que l’équivalence ricardienne ne tient pas (pour des raisons qui ne sont pas difficiles à comprendre). Nous ne devons pas se laisser piéger par IS-LM. Nous sommes dans un monde où les banques centrales ciblent l’inflation et où tout ce qui accroît la demande (comme le ferait l’expansion budgétaire) va avoir tendance à stimuler l’inflation, si bien que les autorités vont avoir tendance à accroître les taux d’intérêt nominaux. Toute tentative de dire "oui, mais à court terme..." devient discutable en raison des effets d’anticipation.

Donc c’est vraiment très simple. Soit le taux d’intérêt nominal continue d’être contraint par sa borne inférieure, ce qui signifie que la monnaie-hélicoptère va laisser les taux d’intérêt nominaux inchangés (mais la situation économique s’améliore), soit il n’y a pas de contrainte (ou cette contrainte est déplacée), auquel cas les taux vont augmenter (plus tôt) avec la monnaie-hélicoptère.

La seconde confusion est que la monnaie-hélicoptère, d’une certaine manière, empêche d’entreprendre une politique budgétaire contracyclique. Elle ne le fait pas. Aujourd’hui, par exemple, les gouvernements peuvent et doivent annoncer de larges hausses dans l’investissement public (j’utilise le terme d’investissement dans le sens des économistes, en incluant le capital humain, plutôt que dans le sens de la comptabilité nationale). Cela enlèverait tout besoin immédiat pour la monnaie-hélicoptère. La politique monétaire s’adapte à la politique budgétaire.

Lorsque les gens me demandent ce que l’on doit faire, s’il faut s’appuyer sur la monnaie-hélicoptère ou bien sur l’expansion budgétaire, je suis tenté de dire que j’aimerais avoir le choix ! Si j’avais le choix aujourd’hui, j’entreprendrais un supplément d’investissement public plutôt qu’une émission de monnaie-hélicoptère, parce que les arguments en faveur de l’investissement sont sur plusieurs plans (et dans plusieurs pays) très robustes, les taux d’intérêt sont faibles et l’investissement améliore l’offre aussi bien que la demande. Dans toute autre sévère récession qui pourrait survenir à l’avenir, au cours de laquelle le taux d’intérêt est susceptible d’être contraint par sa borne inférieure (1), je conseillerais d’accroître l’investissement public.

Cependant, je ne vois pas cela comme une concurrence (entre l’action budgétaire contracyclique et la monnaie-hélicoptère) pour deux raisons. Premièrement, l’une des leçons de la Grande Récession, c’est que nous ne pouvons compter sur les gouvernements pour faire ce qu’il faut avec le Budget, donc la monnaie-hélicoptère apparaît dans ce sens comme une politique d’assurance. Si les gouvernements dépensent plus ou taxent moins lorsque nous approchons de la borne inférieure zéro, cette politique d’assurance peut finalement ne pas se révéler nécessaire (2). Deuxièmement, même si les gouvernements sont enclins à faire les choses qu’il faut faire, les bons projets peuvent manquer (3) ou bien l’information peut arriver avec retard, si bien que les gouvernements n’en font pas assez, auquel cas les banques centrales peuvent prendre très rapidement le relai avec la monnaie-hélicoptère. Pour le dire autrement, la monnaie-hélicoptère doit être considérée comme une alternative à l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) plutôt qu’à la relance budgétaire.

(1) En raison des délais de mise en œuvre, la réponse budgétaire face à une sévère récession ne doit pas attendre que les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure. Si cette réponse budgétaire passe par l’investissement (tel que le conçoivent les économistes plutôt que comme il est défini par la comptabilité nationale), alors il n’y a pas de grande pertes si la sévère récession ne survient pas, parce qu’il est sage d’investir lorsque les taux d’intérêts réels et les salaires réels sont faibles.

(2) Dans la proposition que nous avons avancée, Portes et moi-même (2015), la banque centrale pourrait directement indiquer au gouvernement la probabilité que la borne inférieure soit atteinte.

(3) Je pense que l’argument selon lequel le montant d’investissement public ne peut s’ajuster pour équilibrer les conditions macroéconomiques est souvent surestimé. Je ne parle pas de rajouter une ligne de train supplémentaire (…), je parle d’améliorer nos défenses face aux crues, de réparer les écoles et les routes, etc. »

Simon Wren-Lewis, « Two related confusions about helicopter money », in Mainly Macro (blog), 1er mars 2016. Traduit par Martin Anota