« (…) Au cours de la dernière décennie, le taux de croissance du PIB réel par tête aux Etats-Unis s’est élevé en moyenne à 0,44 % par an, alors que la norme historique est de 2 %. Au rythme de 2 % par an, le revenu double tous les 35 ans. A un rythme de 0,44 %, il ne double que tous les 160 ans. (…) Il est tentant de blâmer la Grande Récession de 2008-9 pour le faible taux de croissance sur la dernière décennie. En effet, cette récession fut particulièrement sévère. (…) Qu’est-ce qui ne va pas avec l’économie ? Personne ne sait avec certitude, mais diverses théories ont été avancées. En voici cinq :

Le mirage statistique. (…) Lorsque les améliorations de la qualité sont généralisées et les innovations si différentes de ce que nous avions auparavant, les comptables nationaux qui calculent le PIB peuvent sous-estimer les améliorations de la qualité de vie. Pensez à la façon par laquelle votre smartphone remplace désormais votre caméra, votre GPS, votre système de musique et divers autres appareils auparavant autonomes. Selon cette théorie, le problème n’est pas dans l’économie, mais dans les statistiques. (…)

Le surplomb suite à la crise. La récession de 2008-2009 fut provoquée par la pire crise financière depuis la Grande Dépression des années trente. Peut-être que quelque chose provoqué par les crises financières freine la reprise. Durant la récente crise, beaucoup ont craint une autre Grande Dépression. Nous avons évité cette catastrophe, mais l’anxiété peut rester, désincitant les entreprises à emprunter pour financer des investissements risqués et désincitant les banques à leur prêter. La bonne nouvelle, c’est que le surplomb va finir par se dissiper, mais il faut être patient.

La stagnation séculaire : Lawrence Summers, ancien conseiller économique du Président Obama, a suggéré que le problème date d’avant la crise financière. Il souligne le déclin à long terme des taux d’intérêt réels comme preuve d’une moindre demande de capitaux pour financer les projets d’investissement. Il cite diverses raisons pour expliquer cette tendance, notamment une plus faible croissance démographique, une baisse des prix des biens capitaux et la nature des récentes innovations, comme le remplacement des magasins physiques par les sites internet de vente en ligne. La conséquence en est la stagnation séculaire, soit une incapacité persistante de l’économie à générer une demande suffisante pour maintenir le plein emploi. Son remède ? Plus de dépenses publiques dans les infrastructures, comme les routes, les ponts et les aéroports. Si le gouvernement tirait avantage des faibles taux d’intérêt pour faire les bons investissements dans le capital public (…), cette politique stimulerait l’emploi à court terme lorsque les projets sont lancés et rendent l’économie plus productive lorsqu’ils sont utilisés.

Un ralentissement de l’innovation : Robert Gordon (…) croit que le rythme des innovations a ralenti. Les précédentes générations ont introduit l’électricité, la plomberie intérieure et le moteur à explosion. Les innovations de notre génération, comme le smartphone et les réseaux sociaux, ne changent pas vraiment nos vies. Cette théorie est la plus pessimiste. S’il a raison, nous n’avons pas d’autres choix que de nous habituer à une plus faible croissance.

Les erreurs de politique économique. Lorsque Barack Obama entra en fonction en 2009, l’économie américaine était au milieu de la Grande Récession. Les conseilleurs du Président Obama se basaient sur la théorie keynésienne standard lorsqu’ils proposèrent une forte hausse des dépenses publiques pour stimuler l’économie. Le plan de relance fut la première initiative de l’administration Obama en termes de politique économique. Lorsque l’économie amorça sa reprise, l’administration augmenta les impôts pour réduire le déficit budgétaire. Mais à l’époque, il y avait des raisons de douter d’une telle initiative. Une étude de 2002 de la politique budgétaire aux Etats-Unis par les économistes Olivier Blanchard et Roberto Perotti constata que "les hausses d’impôts et les hausses des dépenses publiques ont un fort effet négatif sur les dépenses d’investissement privé". Ils notèrent que ce constat est "difficile à réconcilier avec la théorie keynésienne". Cohérent avec cela, une étude plus récente des données internationales par les économistes Alberto Alesina et Silvia Ardagna constata que "les relances budgétaires basées sur les baisses d’impôts sont plus susceptibles d’accroître la croissance que ceux basées sur les hausses de dépenses publiques".

Donc voilà. Une maladie, mais cinq diagnostics Malheureusement, je ne sais pas quelle explication est la bonne. Peut-être sont-elles toutes un peu justes. »

Gregory Mankiw, « One economic sickness, five diagnoses », 17 juin 2016. Traduit par Martin Anota


« Greg Mankiw (…) s’est penché sur la faible croissance que les Etats-Unis ont connue au cours de la dernière décennie et en a proposé cinq explicitations. Selon moi, il n’y a rien de compliqué dans l’histoire. Nous avons perdu beaucoup de demande lorsque la bulle immobilière a éclaté et il n’y a rien pour la remplacer. C’est donc essentiellement la quatrième explication, celle relative à la stagnation séculaire de Larry Summers, qui semble la bonne. (…)

La première explication, celle selon laquelle l’économie est en fait en train de croître rapidement, mais que nous ne parvenons pas à le voir en raison de problèmes de mesure, n’est pas sérieuse. Par exemple, on peut obtenir de la musique et des informations gratuitement sur le Web ou utiliser nos smartphones comme caméras. Ce sont des choses formidables, mais si vous essayez de leur mettre un prix (…), celui-ci sera peu élevé. En outre, il y a toujours eu des bénéfices associés aux innovations qui ne sont pas saisis statistiquement (mais également des coûts…). Ce que l’on a à démontrer est que la taille annuelle de ces bénéfices s’est accrue. (…)

On a aussi très souvent entendu l’histoire du surplomb de la crise. Les entreprises seraient frileuses d’investir et les banques frileuses de prêter. Elle semble aussi défier les données. Premièrement, jusqu’au récent ralentissement de l’investissement suite à l’effondrement des prix du pétrole et à la hausse du déficit commercial suite à l’appréciation du dollar, l’investissement est retourné à sa part du PIB d’avant-crise. Les banques prêtent aussi à leur taux d’avant-crise. Donc c’est une jolie histoire pour les journalistes, mais il n’y a rien au monde pour la supporter.

C’est également vrai pour la cinquième explication, celle selon laquelle le gouvernement aurait commis des erreurs de politique économique. Nous devrions croire que les hausses d’impôts mises en place par le Président Obama aux 1 % les plus riches (en 2013) ont freiné la croissance au cours des quatre années qui les ont précédées et qu’elles vont continuer à le faire indéfiniment ? Ces hausses d’impôts furent bien plus faibles que celles imposées par le Président Clinton qui, comme nous le savons, ont stoppé net la croissance économique. C’est juste stupide. C’est certainement possible que les hausses d’impôts peuvent avoir un effet désincitatif et par conséquent empêcher la croissance, mais les ordres de grandeur ne collent pas. Il est difficile d’imaginer que les hausses d’impôt d’Obama freinèrent la croissance, même pour 0,1 point de pourcentage.

Finalement, nous avons la thèse de Robert Gordon selon laquelle nous connaîtrons désormais une faible croissance de la productivité parce que l’âge de l’innovation est fini. C’est difficile de l’accepter pour plusieurs raisons, tout d’abord parce que les économistes (notamment Gordon) ont été très mauvais pour prédire les tendances futures dans l’évolution de la productivité. (…) L’histoire de Gordon à propos de la pénurie d’innovations majeures peut éventuellement expliquer le ralentissement de la croissance dans les pays qui sont à la frontière technologique, comme les Etats-Unis, mais pas pourquoi la croissance a également ralenti presque partout dans le reste du monde, notamment dans les pays qui sont très éloignés de la frontière technologique. Ils ont de quoi tiré de larges bénéfices de l’adoption des technologies américaines pour les deux ou trois prochaines décennies.

Au final, les choses sont beaucoup plus simples que ne le suggère Mankiw. L’économie mondiale a besoin de plus de demande pour avoir une plus forte croissance. Ou nous pouvons répondre au déficit de demande en réduisant l’offre avec de plus courtes semaines de travail et de plus longues vacances, ce qui réduirait le chômage et pousserait les salaires à la hausse. (…) Donc nous avons cinq histoires, mais quatre d’entre elles ne font pas beaucoup sens. »

Dean Baker, « Causes of stagnation: Mankiw's big five », 18 juin 2016. Traduit par Martin Anota