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Tag - Etats-Unis

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vendredi 29 mars 2024

Les démocrates sont meilleurs pour l'économie américaine que les républicains

« Nous avons beaucoup entendu parler du fait que les performances de l’économie américaine sous la présidence de Joe Biden ont été bien meilleures que ne le pensent les électeurs. Mais l’épisode actuel n’est qu’un exemple d’une plus grande énigme : depuis la Seconde Guerre mondiale, les performances de l’économie américaine ont été constamment meilleures sous les présidences démocrates que sous les présidences républicaines. Ce fait est encore moins connu, y compris parmi les électeurs démocrates, que la vérité à propos du mandat de Biden. En effet, certains sondages suggèrent que davantage d’Américains pensent le contraire, à savoir que les présidents républicains savent mieux gérer l’économie que les démocrates.

Dans un sens, il n’est pas vraiment surprenant que si peu de gens sachent que les performances économiques ont toujours été meilleures sous un parti que sous l’autre. La proposition semble improbable à première vue, comme le genre d’affirmation ouvertement partisane qui ne vaut même pas la peine d’être vérifiée. L’énigme est le fait lui-même : il est complètement exact.

Les statistiques pertinentes ont déjà été compilées, mais mettons-les à jour.

Croyez-le ou non

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les créations d'emplois ont été en moyenne de 1,7 % par an lorsque les démocrates étaient au pouvoir, contre 1,0 % sous présidence républicaine. Le PIB américain a connu un taux de croissance moyen de 4,23 % par an sous les présidences démocrates, contre 2,36 % sous les présidences républicaines, soit une différence remarquable de 1,87 points de pourcentage. Il s’agit de données d’après-guerre, couvrant 19 mandats présidentiels, de Truman à Biden. Si l’on remonte plus loin, jusqu’à la Grande Dépression, pour inclure Herbert Hoover et Franklin Roosevelt, la différence entre les taux de croissance est encore plus grande.

Les résultats sont similaires, qu’importe si on attribue ou non la responsabilité du premier trimestre du mandat d’un président à ce dernier ou à son prédécesseur. De même, les mandats présidentiels démocrates ont a été en moyenne en récession pendant 1 trimestre sur 16 trimestres, alors que les mandats républicains ont été en récession pendant 5 trimestres sur 16, soit une différence étonnamment grande.

Il y a des raisons d'être sceptique

Même ceux d’entre nous qui croient que les démocrates ont peut-être mené de meilleures politiques que les républicains, dans l’ensemble, ont du mal à expliquer l’important écart de performances que l’on observe. Après tout, de nombreux autres facteurs puissants et imprévisibles influencent l’économie, éclipsant souvent l’effet des leviers que le président peut contrôler.

En outre, de nombreuses politiques, bonnes ou mauvaises, ne produisent leurs principaux effets que sur une période plus longue qu’un cycle présidentiel. Par exemple, Jimmy Carter mérite de recevoir le crédit pour avoir nommé Paul Volcker à la présidence de la Fed en 1979 avec pour mandat de vaincre l’inflation à tout prix. La désinflation qui a suivi a été couronnée de succès, contribuant à préparer le terrain pour la Grande Modération des vingt années suivantes. Mais son impact immédiat en 1980 fut une récession. La plupart des économistes considèrent que la contraction monétaire de Volcker en valait le prix. Mais la récession a contribué à l'échec de Carter à être réélu en novembre de la même année. Ironiquement, c’est la seule et unique récession des soixante-dix dernières années à avoir eu lieu avec un démocrate à la Maison Blanche.

Est-ce juste le fruit du hasard ?

Alors, ces différences de performances sont-elles simplement le résultat du hasard ? On pourrait le penser. Mais l’application d’une méthodologie statistique universellement acceptée dit le contraire.

Les cinq dernières récessions ont toutes commencé alors qu’un républicain était à la Maison Blanche (Reagan, H.W. Bush, W. Bush, deux fois, et Trump). Les lecteurs peuvent consulter la chronologie par eux-mêmes. Les chances d'obtenir ce résultat par hasard, si la véritable probabilité qu'une récession démarre était la même pour un mandat démocrate que pour un mandat républicain, seraient (1/2)(1/2)(1/2)(1/ 2)(1/2), soit 1 sur 32 = 3,1 %. C’est très improbable. C’est la même probabilité que celle d’obtenir "face" sur cinq tirages au sort consécutifs sur cinq. Un tel rejet de l’égalité est considéré comme "statistiquement significatif au niveau de confiance de 95 %".

Et si l’on remontait plus loin ? Il est remarquable que 9 des 10 dernières récessions aient commencé alors qu’un républicain était président. Les chances que ce résultat se produise par hasard sont encore plus faibles : une sur 100. (Plus exactement 10 sur 210 = 0,0098.)

Blinder et Watson (2016) ont souligné un autre fait remarquable. Ils ont observé les huit fois depuis la Seconde Guerre mondiale où un président sortant d'un parti avait cédé la Maison Blanche à un dirigeant de l'autre parti. Nous avons eu deux présidents supplémentaires depuis. Mettons à jour leurs constats, en ajoutant les mandats de Trump et Biden (jusqu'à présent). Durant cinq des dix dernières transitions, un démocrate a été remplacé par un républicain ; à chaque fois, le taux de croissance a diminué d'un mandat à l'autre. Dans cinq des transitions, un républicain a été remplacé par un démocrate ; à chaque fois, le taux de croissance a augmenté. Aucune exception. Dix sur dix. Quelles sont les chances que cela se produise par hasard ? La probabilité est la même que la probabilité d’obtenir face sur 10 lancers de pièces consécutifs : ½ fois multiplié 10 fois, soit 1 sur 1.024. En d’autres termes, la différence est statistiquement significative au niveau de 99,9 %.

On peut donc rejeter en toute sécurité l’affirmation selon laquelle les performances économiques seraient meilleures avec les présidents républicains. Mais qu’est-ce qui explique le bilan étonnamment meilleur que l’on enregistre pour les présidences démocrates ? Cela reste une énigme. »

Jeffrey Frankel, « The historical puzzle of US economic performance under Democrats vs. Republicans », in Econbrowser (blog), mars 2024. Traduit par Martin Anota



« La croissance américaine est la plus forte sous présidence démocrate »

« Peut-on féliciter Trump pour la bonne santé de l’économie américaine ? »

« Quelle est la contribution d’un chef d’Etat à la croissance économique ? »

mardi 26 décembre 2023

Le débat sur la mesure des inégalités de revenu aux Etats-Unis

« Il existe des preuves robustes suggérant que les inégalités de revenus aux États-Unis se sont creusées à la fin du vingtième siècle et au début du vingt-et-unième siècle. Une étude influente de Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman conclut que les inégalités ont nettement augmenté, la part des revenus après impôt et transferts des 1 % les plus riches étant passée de 9 % en 1960 à 15 % en 2019.

Des travaux récemment publiés de Gerald Auten et David Splinter dressent un tableau différent. Ils constatent que les inégalités ont à peine bougé, les 1 % les plus riches recevant 9 % du revenu après impôt en 2019, soit une légère hausse par rapport aux 8 % de 1960.

Soulignons que les deux équipes de chercheurs utilisent le même concept de revenu (le revenu national) et les mêmes données (basées sur les déclarations fiscales) pour aboutir à ces constats très différents. Comment des conclusions aussi différentes peuvent-elles être obtenues compte tenu de la similitude des approches ? Et quelle est la bonne manière de caractériser les inégalités de revenus ?

Quelles sont les tendances ?


La graphique ci-dessous présente les résultats de base. De 1960 à 2019, la part du revenu national après impôts et transferts allant aux 1 % les plus riches a augmenté de 6 points de pourcentage selon le Piketty, Saez et Zucman, mais de seulement 1 point de pourcentage selon Auten et Splinter. Une partie de la différence entre les deux estimations est liée à leur mesure des parts de revenu avant impôts. Piketty, Saez et Zucman estiment que la part du revenu avant impôts allant aux 1 % les plus riches a augmenté de 6 points de pourcentage (de 13 % à 19 %) et Auten et Splinter estiment que l'augmentation est de 4 points de pourcentage (de 10 % à 14 %). Mais ces différences d’estimations des parts de revenu avant impôts allant aux 1 % les plus riches n’expliquent que 2 des 5 points de pourcentage de l’écart.

Part estimée du revenu national allant aux 1 % les plus riches aux Etats-Unis (en %)

Piketty_Saez_Zucman_Auten_Splinter__part_revenu_1__plus_riches_aux_Etats-Unis.png

L’écart restant de 3 points de pourcentage résulte de différences d’estimations des effets des politiques fiscales et de redistribution. Pour les mesures avant et après impôts, les estimations de Piketty, Saez et Zucman et d’Auten et Splinter étaient très similaires pour les années 1960, mais elles divergent pour la période consécutive à la loi sur la réforme fiscale de 1986 avec la croissance des "sociétés transparentes" (pass-through businesses).

Qu’est-ce qui explique ces différences d’estimations ?


Bien que les deux équipes de chercheurs partent des mêmes données tirées des déclarations fiscales et cherchent à mesurer les inégalités selon le même concept (le revenu national), leurs résultats diffèrent substantiellement car une part substantielle du revenu national n’est pas déclarée dans les déclarations fiscales. Cela peut se produire pour deux raisons : soit le revenu n'est pas soumis à l'impôt (par exemple, l’assurance maladie fournie par l'employeur), soit parce que les contribuables prennent des mesures pour éviter l'impôt lorsqu'ils déclarent leurs revenus au fisc.

La manière dont ce revenu manquant est imputé et réparti entre les individus explique en grande partie la différence entre les estimations de Piketty, Saez et Zucman avec celles d’Auten et Splinter, et il n’existe pas de consensus sur les choix à faire. Angus Deaton (2020) résumait ainsi le problème : "la répartition à partir des déclarations fiscales est déjà assez difficile, car les unités fiscales ne sont ni des individus, ni des ménages, mais la répartition de l’autre moitié du revenu national est une tâche immensément plus difficile, nécessitant des hypothèses qui sont rarement bien étayées par les données empiriques et qui semblent souvent arbitraires. Parce que la distribution est un sujet très controversé, ces hypothèses laissent une grande place aux défis politiquement biaisés, dans lesquels chaque commentateur peut choisir ses propres alternatives et obtenir presque tous les résultats qu’il veut."

Bon nombre des choix réalisés par Piketty et Saez (2003), puis par Piketty, Saez et Zucman (2018), tendent à pousser vers le haut les estimations des inégalités. En revanche, presque tous les choix faits par Auten et Splinter ont tendance à pousser vers le bas les estimations de la part des revenus des plus riches. Mais ces décisions ne sont pas "seulement" politiques. Des questions de fond essentielles sont en jeu.

Évasion fiscale et évitement fiscal


Certains revenus ne sont pas déclarés sur les formulaires fiscaux parce que les individus échappent (illégalement) à l’impôt et prennent des mesures (légales) pour éviter l’impôt en requalifiant leurs revenus. Il s’agit d’un problème conséquent : par exemple, selon les données des comptes nationaux, plus de 50 % de tous les revenus d’"entreprises transparentes" (pass-through businesses) ne sont pas imposés.

Piketty, Saez et Zucman supposent que les revenus non déclarés doivent être attribués proportionnellement aux revenus déclarés. De leur côté, Auten et Splinter, imputent le revenu en fonction des résultats des études de contrôle fiscal du fisc, qui suggèrent qu’une plus grande partie du revenu manquant revient aux ménages à revenu intermédiaire. Auten et Splinter montrent que ce choix explique 2 points de pourcentage de l’écart de 6 points de pourcentage de 2014 pour la part de revenu des 1 % les plus riches, lorsqu’elle est évaluée indépendamment des autres différences méthodologiques.

En principe, les études d’audit constituent une source utile d’informations sur les impayés. En pratique, cependant, ils passent à côté de toute fraude fiscale suffisamment sophistiquée pour échapper à l’attention des auditeurs. Étant donné que cette évasion sophistiquée a tendance à se concentrer parmi les contribuables les plus riches, l’attribution de revenus mal déclarés sur la base des études d’audit (comme le font Auten et Splinter) aura tendance à sous-estimer la part du revenu avant impôts allant aux 1 % les plus riches.

Dans une réponse récemment donnée à Auten et Splinter (2023), Piketty, Saez et Zucman soulignent que les imputations d’Auten et Splinter supposent implicitement que plus de 70 % des revenus d'entreprises gagnés par les 99 % les plus pauvres ne sont pas imposés, contre seulement 20 % des revenus d'entreprise des 1 % les plus riches. Notre propre travail avec la Survey of Consumer Finances aboutit à des résultats plus proches des hypothèses utilisées par Piketty, Saez et Zucman : un ajustement proportionnel permet de mieux aligner nos estimations des revenus imposables avec les revenus publiés par le fisc.

Les comptes de retraite


Les cotisations de retraite ainsi que les intérêts et dividendes perçus sur les soldes de retraite comptent dans le revenu national. Ce n’est pas le cas des retraits de pension. Aussi bien Piketty, Saez et Zucman qu’Auten et Splinter s’écartent de ce traitement. Ils excluent les cotisations de retraite et incluent les prestations de retraite et les retraits, ce qui rend le concept de revenu plus conforme aux opinions populaires sur ce que devrait refléter la répartition des revenus.

Mais ils diffèrent les uns des autres par leurs hypothèses concernant les revenus de retraite non imposables, qui peuvent refléter les distributions des comptes individuels d'épargne retraite Roth (qui sont considérées comme des revenus) ou les transferts d'un compte de retraite à un autre (qui ne le sont pas). Dans des versions antérieures de leurs travaux, Piketty, Saez et Zucman supposaient à tort qu’une part trop importante des transferts non imposables était constituée de revenus. Cela signifiait que Piketty, Saez et Zucman surestimaient la part des revenus les plus élevés, en particulier parmi les très riches. Dans les récentes actualisations, Piketty, Saez et Zucman se sont rapprochés d’Auten et Splinter sur cette question.

Cependant, Auten et Splinter affirment que la série révisée de Piketty, Saez et Zucman surestime encore légèrement quelle proportion des distributions non imposables devrait être qualifiée de revenu. Contrairement à certaines autres questions débattues, il s’agit fondamentalement d’une question empirique ; de meilleures preuves empiriques sont nécessaires pour identifier la bonne réponse. Les différentes hypothèses sur la répartition des flux de retraite contribuent pour environ 1 point de pourcentage à l’écart de 6 points entre les estimations d’Auten et Splinter et celles de Piketty, Saez et Zucman pour l’année 2014.

Consommation par les gouvernements


Le traitement des dépenses de consommation en biens et services par les gouvernements contribue également de manière significative à l’écart entre les estimations des parts du revenu allant aux hauts revenus après impôts d’Auten et Splinter et celles de Piketty, Saez et Zucman. La consommation publique comprend les dépenses (évaluées au coût) pour la défense, les infrastructures, l'éducation et d'autres programmes similaires ; elle n'inclut pas les paiements de transfert. Alors que Piketty, Saez et Zucman répartissent cette consommation proportionnellement au revenu après impôt, Auten et Splinter en répartissent la moitié proportionnellement au revenu après impôt et l’autre moitié par habitant, ce qui contribue à hauteur de 1,3 point de pourcentage à l’écart entre les estimations d’Auten et Splinter et celles de Piketty, Saez et Zucman de l’année 2014.

Répartir les dépenses entièrement en fonction des revenus, comme le font Piketty, Saez et Zucman, est probablement trop extrême. Les dépenses d’éducation sont réparties davantage selon une base par tête. Mais il est vraiment difficile de savoir comment mesurer la valeur des dépenses de défense et d’infrastructures aux ménages le long de la répartition des revenus. Il s’agit d’une question où, comme le dirait Deaton, il n’y a pas une seule "bonne" réponse. L’intervalle raisonnable des estimations peut se situer quelque part entre les deux positions.

Les déficits publics hors sécurité sociale


Piketty, Saez et Zucman et Auten et Splinter attribuent les prestations de sécurité sociale aux bénéficiaires et les charges sociales (patronales et salariales) aux travailleurs. La répartition du reste du déficit fédéral dépendra toutefois des décisions futures des décideurs politiques. Auten et Splinter répartissent les déficits hors sécurité sociale proportionnellement aux impôts fédéraux sur le revenu, tandis que Piketty, Saez et Zucman répartissent les déficits à parts égales entre les transferts gouvernementaux reçus et les impôts fédéraux sur le revenu. Auten et Splinter supposent que les déficits seront entièrement financés par des augmentations d’impôts proportionnelles aux paiements d’impôts fédéraux sur le revenu existants, tandis que Piketty, Saez et Zucman supposent qu’ils seront financés pour moitié par des augmentations d’impôts et pour moitié par des réductions de prestations. Cette différence de traitement explique 0,4 point de pourcentage de l’écart en 2014. (...)

Alors, qu’est-il réellement arrivé aux inégalités ?


Même en tenant compte des changements suggérés par Auten et Splinter, la prépondérance des preuves empiriques suggère que les inégalités de revenus se sont accrues, aux États-Unis et dans d’autres pays. Les données montrent également que les inégalités aux États-Unis se sont accrues dans d’autres mesures, telles que la santé, la mortalité et la richesse. Il est difficile de comprendre pourquoi les inégalités dans d’autres dimensions auraient augmenté, dans certains cas de manière substantielle, si la répartition des revenus n’a pas changé. Néanmoins, les travaux réalisés par Auten et Splinter soulèvent d’importantes questions sur l’ampleur et le calendrier de cette augmentation, ainsi que sur les hypothèses que les chercheurs doivent faire pour contribuer à informer le public. »

William G. Gale, John Sabelhaus et Samuel I. Thorpe, « Measuring income inequality: A primer on the debate », Brookings, 21 décembre 2023. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Comment la répartition du patrimoine a-t-elle changé depuis un siècle aux Etats-Unis ? »

« Comment les inégalités de revenu ont évolué depuis un siècle aux Etats-Unis ? »

« Etats-Unis : le triomphe de l'inégalité »

« Pourquoi les inégalités de revenu sont-elles moins fortes en Europe qu’aux Etats-Unis ? »

« L’explosion des inégalités d’espérance de vie entre très diplômés et peu diplômés aux Etats-Unis »

jeudi 23 novembre 2023

La Fed devrait-elle recevoir le crédit pour la désinflation ?

« Le 14 novembre, le Bureau of Labor Statistics des Etats-Unis a annoncé que l’indice des prix à la consommation n’avait pas varié en octobre (qu’il soit désaisonnalisé ou non). Autrement dit, le niveau de l’indice des prix à la consommation n’a pas changé, ni le taux d’inflation, qui a été nul. Bien sûr, les chiffres sur un mois sont trop volatils pour tirer une conclusion. Les prix de l’essence ne vont pas chaque mois chuter de 5,0 %, comme ils l’ont fait de septembre à octobre.

Le taux d’inflation global de l’indice des prix à la consommation au cours des douze derniers mois a été de 3,2 %, bien inférieur au taux de 6,5 % observé en 2022. Au risque de tenter le sort, on pourrait dire que la lutte contre l’inflation a été gagnée.

Un cas rare de désinflation immaculée


Contrairement à ce que beaucoup d’économistes ont prédit, et aussi contrairement à ce que beaucoup d’Américains continent de croire, le taux d’inflation aux Etats-Unis a, jusqu’à présent, baissé sans que l’activité économique ou l’emploi ne décline significativement. L’économie américaine a créé 204.000 emplois par mois au cours des trois derniers mois, soit davantage que la croissance à long terme de la population active. En conséquence, le chômage reste sous les 4,0 %, presque le plus faible niveau depuis la fin des années 1960. La croissance du PIB a été de 2,3 % en rythme annualisé jusqu’à présent cette année, soit bien plus rapide que le taux de croissance moyen des Etats-Unis depuis le tournant du siècle. Cet épisode a été qualifié de "désinflation immaculée", puisque celle-ci s’est opérée sans perte en revenu ou emploi.

L’histoire a été la même dans les autres pays industrialisés l’inflation a augmenté en 2021 et en 2022, puis elle a baissé en 2023. Mais les statistiques ailleurs ne sont pas aussi bonnes qu’aux Etats-Unis. D’autres économies industrialisées (la zone euro, le Royaume-Uni, le Canada et le Japon) connaissent une plus faible croissance. Pourtant l’inflation est plus forte en Europe qu’aux Etats-Unis. (Elle reste très faible au Japon).

Si l’on s’en tient aux règles traditionnelles de la politique, la Fed et l’administration fédérale devraient obtenir le crédit politique pour les progrès qui ont été réalisés au cours de cette période, qu’importe s’ils y ont contribué ou non. Mais ce critère (la pratique politique traditionnelle) place la barre trop bas. On peut raisonnablement se demander si les responsables politiques sont responsables, dans un sens causal, de l’apparent atterrissage en douceur. Il y a deux ans, ils ont certainement sous-estimé le danger de l’inflation. Si le resserrement subséquent de la politique monétaire est responsable de la désinflation, il ne semble pas avoir opéré via les canaux habituels de la baisse de la production et de l’emploi.

Quelques canaux alternatifs pour la politique monétaire


De possibles mécanismes de transmission des taux d’intérêt à l’inflation n’opèrent pas via la production ou l’emploi. De tels canaux sont l’immobilier, le taux de change et les prix des matières premières :

  • Les taux d’intérêt hypothécaires contribuent à déterminer la demande de logements. Ils ont abruptement augmenté au cours des deux dernières années, la période au cours de laquelle la Fed a mis un terme à l’assouplissement quantitatif et resserré sa politique monétaire. Certains indicateurs des prix de l’immobilier montrent que ces derniers ont brutalement chuté après le milieu de l’année 2022.

  • Depuis mars 2022, le mois au cours duquel la Fed a commencé à relever ses taux d’intérêt, le dollar s’est apprécié de plus de 8 % vis-à-vis des autres devises majeures. (…) L’effet modérateur de l’appréciation sur les prix des biens échangeables est plus faible dans le cas des Etats-Unis qu’il ne l’est dans d’autres pays.

  • Un canal négligé est que les taux d’intérêt réels plus élevés exercent des pressions à la baisse sur les prix des matières premières comme le pétrole, les minéraux et les produits agricoles. L’indice des prix mondiaux pour toutes les matières premières a chuté de plus de 30 % entre mars 2022 et octobre 2023 (comme on a pu le prédire).

Mais ni le taux de change, ni l’immobilier, ni même les matières premières, ne constituent la principale histoire.

La meilleure explication


Le fait que la chute de l’inflation se soit accompagnée par une très faible perte en termes d’activité économique pourrait peut-être s'expliquer par une pente plus forte de la courbe de Phillips à proximité du plein emploi. Autrement dit, quand le chômage est inférieur à 4 %, comme il l’a été, et en particulier quand les postes vacants dépassent les 7 %, comme ils l’ont été, les baisses de la demande agrégée se traduisent presque entièrement par une baisse de l’inflation plutôt que par une baisse de l’activité économique.

Une meilleure explication pourrait être que les obstacles à l’approvisionnement qui se sont manifestés de 2020 à 2022 se sont dissipés cette année. Les perturbations des chaînes de valeur (la congestion des ports, les retards dans les commandes de marchandises, les goulots d’étranglement dans les intrants, les pénuries de main-d’œuvre et le reste des perturbations associées à la pandémie de Covid-19 qui ont tant dominé la vie de 2020 à 2022) se sont dissipées en 2023. L’indice de pressions sur les chaînes d’approvisionnement mondiales produit par la Réserve fédérale de New York montre que les perturbations d’approvisionnement ont atteint leur pic en décembre 2021 et qu’elles ont régulièrement décliné à partir d’avril 2022. Apparemment, la main invisible, qui avait disparu, est revenue faciliter le bon fonctionnement de l’économie.

Une évolution plus favorable de la relation d’offre agrégée devrait permettre de réduire l’inflation pour un taux de croissance économique donné. La croissance a décliné en 2022 et en 2023 relativement au taux de surchauffe de l’expansion en 2021. (Cela ressemble vraiment à un atterrissage en douceur.) Le retrait de la relance monétaire américaine peut expliquer pourquoi l’évolution favorable de la relation a pris la forme en 2023 d’une baisse de l’inflation plutôt que d’une accélération de la croissance du PIB. En d’autres termes, si la Fed n’avait pas augmenté ses taux après mars 2022, il y a des chances pour que la surchauffe de l’économie se soit poursuivie, malgré l’évolution favorable de l’offre ; l’inflation serait toujours élevée. La conclusion est que la Fed devrait peut-être recevoir le crédit pour la baisse de l’inflation après tout. »

Jeffrey Frankel, « Does the Fed deserve credit for the disinflation? », in Econbrowser (blog), novembre 2023. Traduit par Martin Anota



« Quels sont les canaux de transmission de la politique monétaire conventionnelle ? »

« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

« La Fed a-t-elle souvent réussi à faire atterrir en douceur l'économie américaine ? »

« Une désinflation sans récession ? »

« Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ? »

lundi 25 septembre 2023

Etats-Unis : une inflation maîtrisée sans douleur ?

« Les prix à la consommation ont augmenté de 3,7 % entre août 2022 et août 2023. Même si l’inflation dépasse toujours ses niveaux prépandémiques et la cible de 2 % d’inflation de la Réserve fédérale, elle a fortement chuté depuis le pic de 8,9 % (en rythme annualisé) qu’elle a atteint en juin 2022, la plus forte chute qui ait été enregistrée en-dehors d’une récession. (…) Qu’est-ce qui explique la décélération abrupte de l’inflation ? Pourquoi le domptage de l’actuel épisode d’inflation n’a-t-il pas impliqué de récession jusqu’à présent ?

Une source d’inflation est le déséquilibre entre le montant que les entreprises, les ménages et le gouvernement désirent dépenser et ce que l’économie peut produire. Suite à la pandémie de Covid-19, les programmes de soutien du gouvernement fédéral ont contribué à une hausse brutale du revenu disponible personnel, ce qui a accrut la demande des ménages en biens et services. Les taux d’intérêt et l’assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale ont aussi soutenu les dépenses en augmentant les prix d’actifs et en réduisant les coûts d’emprunt. Parallèlement, les perturbations des chaînes d’approvisionnement (…) et la chute de trois points de pourcentage du taux d’activité ont réduit la capacité de l’économie à produire les biens et services que les ménages et les entreprises désiraient acheter.

La dissipation des pressions inflationnistes temporaires a contribué à la chute de l’inflation. Suite à la période post-pandémique de croissance rapide alimentée par la relance, la croissance des dépenses de consommation est retournée à sa tendance prépandémique et les dépenses d’investissement du secteur privé ont atteint un plateau. La hausse de 5,25 points de pourcentage du taux des fonds fédéraux au cours des 18 derniers mois a probablement contribué au ralentissement dans ces catégories dépenses sensibles au taux d’intérêt. Le taux d’activité a rebondi et se rapproche de son niveau prépandémique. Les prix des produits de base ont chuté de 8 % depuis juin 2022, ce qui réduit le coût de production de certains biens et services. Et, signe d’un assouplissement des perturbations d’approvisionnement, les coûts de transport containerisé en cargo ont chuté de 85 % depuis leur pic post-pandémique en septembre 2021.

Les anticipations d’inflation importent aussi. Les hausses de prix temporaires peuvent mener à une inflation persistante si elles affectent les anticipations. Quand les prix ne s’ajustent qu’infréquemment, les entreprises vont fixer leurs prix en se basant sur les coûts futurs probables et leurs anticipations de la situation du marché les mois suivants. De même, parce que les salaires ne sont pas négociés fréquemment, les travailleurs vont négocier pour obtenir des hausses de salaires de façon à compenser les hausses du coût de la vie qu’ils anticipent. En conséquence, les hausses de prix peuvent devenir autoréalisatrices et ce qui aurait sinon été une hausse transitoire de l’inflation va persister pour une période plus longue.

Jusqu’à la fin des années 1990, les anticipations d’inflation réagissaient fortement aux variations de l’inflation. Par conséquent, la hausse de l’inflation dans les années 1970 entraîna une révision immédiate, presque de la même ampleur, des prévisions d’inflation à moyen terme (cf. graphique). Le graphique montre le taux d’inflation sur quatre trimestres (…) sur l’axe horizontal et la prévision médiane sur un an tiré du Survey of Professional Forecasters, un indicateur des anticipations d’inflation à moyen terme, sur l’axe vertical. Du premier trimestre 1976 au quatrième trimestre 1998, la pente de la droite de régression implique qu’une hausse d’un point de pourcentage de l’inflation au cours des quatre trimestres précédents amenait les prévisionnistes à réviser leurs anticipations de l’année suivante de 0,8 points de pourcentage en moyenne. Le graphique représente aussi des baisses des anticipations d’inflation dans les années 1980 et 1990 provoquées par les chutes de l’inflation qui suivirent les récessions de 1981-1982 et de 1990-1991.

GRAPHIQUE Inflation observée et anticipée aux Etats-Unis

Kuttner__inflation_anticipations_previsions_Etats-Unis.png

Les anticipations d’inflation sont devenues plus stables après 1999. Sur le graphique, la droite de régression pour la période allant du premier trimestre 1999 au quatrième trimestre 2020 est bien moins pentue que celle de la période antérieure à 1999. La pente indique qu’une hausse d’un point de pourcentage du taux d’inflation entre 1999 et 2020 amenait les prévisionnistes à réviser leurs prévisions de seulement 0,2 points de pourcentage en moyenne. Il y a des éléments empiriques suggérant que les anticipations sont devenues mieux "ancrées" dans le sens où elles sont devenues moins sensibles à l’inflation.

Les anticipations sont restées stables au cours des trois dernières années, malgré la hausse postpandémique de l’inflation. Chose remarquable, les points du graphique qui correspondent à la période allant du premier trimestre 2021 au deuxième trimestre 2023 collent à la ligne de régression de la période allant de 1999 à 2020. Cela suggère que les anticipations d’inflation sont restées bien ancrées depuis la pandémie, malgré le fait que l’inflation ait connu sa plus rapide accélération depuis les années 1970.

L’engagement de la Réserve fédérale à la stabilité des prix peut expliquer pourquoi les anticipations d’inflation sont restées ancrées. Le mandat de la Fed, tel qu’il est stipulé dans le Federal Reserve Act, consiste à rechercher "l’emploi maximal et des prix stables". Jusqu’à assez récemment, cependant, ces objectifs n’avaient pas été explicitement explicités ; il n'y avait pas non plus de clarté quant à savoir lequel des deux aurait la priorité sur l’autre. Mais à partir de la fin des années 1980, Alan Greenspan, alors président de la Fed, a indiqué de plus en plus clairement que la Fed donnerait la priorité à la stabilité des prix, puis le comité fédéral d’open market (FOMC) a annoncé explicitement en 2012 une cible de taux d’inflation. On estime que ces changements ont permis de mieux ancrer les anticipations d’inflation et de réduire la persistance de l’inflation.

Une combinaison de chance et de bonnes politiques économiques expliquent le reflux rapide des pressions inflationnistes. La chance a joué dans la mesure où la pandémie de Covid-19 n’a pas laissé de cicatrices permanentes du côté de l’offre de l’économie : les coûts en intrants ont chuté, le taux d’activité a rebondi et les chaînes de valeur se sont réparées. La bonne politique a été la réaffirmation catégorique de la Fed quant à son engagement envers la stabilité des prix. Son engagement semble avoir été suffisamment crédible pour maintenir les anticipations d’inflation ancrées, malgré un délai inhabituellement long entre les premiers signes d’accélération de l’inflation au printemps 2021 et le début du resserrement monétaire en mars 2022. En conséquence, la théorie selon laquelle il ne peut y avoir de désinflation sans souffrance pourrait être moins pertinente que par le passé. Autrement dit, une récession ne s’avère peut-être pas nécessaire pour ramener l’inflation à la cible de 2 % d’inflation de la Fed. »

Kenneth Kuttner, « Taming inflation: No pain no gain? », 20 septembre 2023. Traduit par Martin Anota



« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

« La Fed a-t-elle souvent réussi à faire atterrir en douceur l'économie américaine ? »

« Une désinflation sans récession ? »

« Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ? »

« Pourquoi l’inflation est plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ? »

« Pourquoi l'inflation est-elle si faible et stable ? »

vendredi 15 septembre 2023

Qu’est-ce qu’un atterrissage en douceur ?

« Quand la Réserve fédérale s’inquiète à propos de l’inflation, elle relève ses taux d’intérêt pour ralentir le rythme de la croissance économique. Si la Fed relève beaucoup ses taux d’intérêt, cela peut provoquer une récession, si bien que l’on parle alors d’"atterrissage brutal" (hard landing). Par contre, si la Fed peut relever ses taux d’intérêt juste assez pour ralentir l’économie et réduire l’inflation sans provoquer de récession, on parlera d’"atterrissage en douceur" (soft landing). Mais il n’y a pas de définition officielle pour ce dernier. Le National Bureau of Economic Research (NBER), souvent considéré par les économistes comme l’arbitre quasi officiel de la datation des récessions, ne définit pas les atterrissages brutaux et en douceur. Plusieurs économistes considèrent une légère récession avec une faible hausse du chômage comme "douce", ce que président de la Fed Jay Powell a pu qualifier d’atterrissage "softish".

Les atterrissages en douceur sont l’équivalent du "bol de Boucle d’or" pour les banquiers centraux : suite à un resserrement monétaire, l’économie est juste bien, ni trop chaude (inflationniste), ni trop froide (avec une récession).

Un exemple d’atterrissage brutal


L’inflation était élevée au sortir des années 1960. De nouveaux assouplissements monétaires durant la campagne présidentielle de 1972 et les chocs pétroliers provoqués par le cartel de l’OPEP en 1973 ont poussé l’inflation vers les deux chiffres en 1974. Pour le reste des années 1970, les responsables politiques ont échoué à atténuer l’inflation.

En 1979, le Président Jimmy Carter choisit Paul Volcker pour remplacer William Miller à la tête de la Fed. Volcker était déterminé à baisser l’inflation (alors à 11 % en rythme annuel) et à restaurer la stabilité des prix. De juillet 1980 à janvier 1981, la Fed de Volcker a relevé le taux des fonds fédéraux, le principal taux d’intérêt à court terme de la Fed, à plus de 19 %. Cela a entraîné une récession longue de 16 mois, de juillet 1981 à novembre 1982, au cours de laquelle le taux de chômage a atteint le pic de 10,8 %, soit un atterrissage brutal. Au milieu de l’année 1983, Volcker avait réussi à ramener l’inflation sous les 3 %, préparant le terrain pour plusieurs décennies de bonne croissance avec seulement des interruptions mineures. Les leçons de cet épisode étaient claires selon Volcker : il est crucial de s’attaquer à l’inflation avant qu’elle n’atteigne des niveaux extrêmes et que la population ne révise à la hausse ses anticipations d’inflation.

Un exemple d’atterrissage en douceur


L’exemple classique d’un atterrissage en douceur est le resserrement monétaire opéré sous Alan Greenspan au milieu des années 1990. Au début de l’année 1994, l’économie allait fêter sa troisième année de sa reprise consécutive à la récession de 1990-1991. En février 1994, le taux de chômage chutait rapidement ; il est passé de 7,8 % à 6,6 %. L’indice des prix à la consommation augmentait au rythme annualisé de 2,8 % et le taux des fonds fédéraux était autour des 3 %. Avec l’économie en croissance et le chômage chutant rapidement la Fed craignait une potentielle hausse de l’inflation et elle décida de relever ses taux directeurs de façon préventive. Durant l’année 1994, la Fed releva sept fois ses taux d’intérêt, le ramenant de 3 % à 6 %. Ensuite, elle baissa son taux principal, le taux des fonds fédéraux, trois fois en 1995, quand elle vit que l’économie ralentissait davantage que ce qui s’avérait nécessaire pour empêcher l’inflation d’augmenter.

Les conséquences ont été spectaculaires. Alan Blinder, un ancien membre du comité de la Fed, nota que cela fut "l’atterrissage en douceur parfait qui contribua à faire d’Alan Greenspan une légende parmi les banquiers centraux". La performance économique reste robuste le reste de la décennie : l’inflation était faible et peu volatile, le chômage continua de baisser et la croissance du PIB réel attint en moyenne les 3 % par an. Greenspan nota dans ses Mémoires : "l’atterrissage en douceur de 1995 fut l’un des plus succès de mon mandat dont je suis le plus fier".

Les atterrissages en douceur sont-ils communs ?


La réponse dépend entièrement de la façon par laquelle on définit l’"atterrissage en douceur", un terme pour lequel il n’y a pas de définition qui fasse consensus. L’économiste de Princeton Alan Blinder, un ancien vice-président de la Fed, dit que si le PIB décline de moins de 1 % ou si le NBER ne signale pas de récession dans l’année qui suit un cycle de hausses des taux de la Fed, il considère qu’il y a un atterrissage en douceur. En examinant 11 périodes de hausses des taux de la Fed entre 1965 et 2019, il compte cinq atterrissages en douceur (soft) ou plus ou moins en douceur (softish) (…).

Connaissons-nous un atterrissage en douceur cette fois-ci ?


Peut-être. La Réserve fédérale fait face au pire épisode d’inflation depuis le début des années 1980, des circonstances très différences que celles auxquelles elle faisait face en 1994. Avec l’assouplissement des confinements durant la pandémie de Covid-19 en 2020, les perturbations des chaînes de valeur internationales et les amples relances budgétaire et monétaire, l’inflation a grimpé à un rythme annuel de 10 % au premier trimestre 2021. La Fed a répondu, tardivement, en relevant brutalement ses taux d’intérêt de plus de 5 points de pourcentage à partir de mars 2022. L’inflation a depuis baissé (l’indice des prix à la consommation, qui inclut les prix des produits alimentaires et de l’énergie, volatiles, a atteint le taux de 3,9 % en rythme annuel entre juin et août 2023), pourtant le chômage reste faible selon les standards historiques, atteignant 3,8 % en août 2023, et le PIB a continué d’augmenter à un rythme solide.

En 2022, beaucoup prédisaient qu’une récession se produirait en 2023, mais plus récemment on a moins entendu ces prédictions. Larry Summers, l’ancien secrétaire au Trésor, prévoyant un atterrissage brutal, disait en avril 2022 : "si vous regardez l’histoire, il n’y a jamais eu de moment où l’inflation a été supérieure à 4 % et le chômage inférieur à 5 % sans que nous ne connaissions une récession dans les deux années suivantes". Mais après le rapport sur l’emploi de septembre 2023, qui montre un ralentissement dans l’embauche et des chiffres encourageants pour l’inflation ces derniers mois, il a dit : "je pense toujours que la route vers un atterrissage en douceur est très difficile, mais c’est un pas sur cette route". De leur côté, la secrétaire au Trésor Janet Yellen et Paul Krugman ont affirmé en septembre 2023 que, bien qu’incertaines, il y a plusieurs raisons d’être optimiste, parce que l’inflation a diminué en 2023 sans hausse substantielle du chômage. (…) »

Sam Boocker & David Wessel, « What is a soft landing? », Brookings, 14 septembre 2023. Traduit par Martin Anota



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