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Tag - Greg Mankiw

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lundi 4 janvier 2021

Quelques erreurs dans le manuel de macroéconomie le plus vendu au monde



« (...)

"Quand le gouvernement cherche à couper le gâteau économique dans des parts plus égales, la taille du gâteau diminue"

Selon le premier principe d’une liste de dix, les étudiants apprennent qu’une distribution plus inégale du revenu entraîne une production plus élevée. Mankiw ajoute : "C’est une leçon concernant la répartition du revenu sur laquelle presque tout le monde s’accorde". Mais il n’y a guère de preuves empiriques allant dans ce sens. Les données de l’OCDE concernant les inégalités dans la distribution du revenu (mesurées par l’indice de Gini du revenu net des ménages) montrent de très fortes inégalités dans des pays très pauvres comme l’Afrique du Sud, le Chili, le Mexique, la Turquie ou la Bulgarie. A l’opposé, les pays scandinaves, très puissants économiquement (selon le PIB par tête) sont caractérisés par de très faibles inégalités de revenu. Outre la mauvaise description de la relation entre répartition du revenu et performances économiques, il est utile de noter que Mankiw décrit la redistribution des revenus comme un processus qui réduit les incitations à "travailler dur". Cela suggère que les gens avec des hauts revenus font plus d’efforts que ceux ayant de faibles revenus.

"Le gouvernement peut parfois améliorer les résultats du marché"

(…) Mankiw admet que le processus de marché n’est pas en soi capable de fournir assez de nourriture, de vêtements et de soins à l’ensemble des citoyens. Mais pour lui, cela ne justifie pas forcément une intervention de l’Etat. (…) On peut trouver une vision bien différente de l’Etat dans la description classique des fonctions de l’Etat que propose le spécialiste des finances publiques, Richard Musgrave (1959), une description qui reste selon moi tout à fait pertinente aujourd’hui. Il distingue entre fonction de distribution, fonction d’allocation et fonction de stabilisation. A l’inverse de Mankiw, qui parle seulement de la possibilité de l’intervention publique, Musgrave déclarait : "le secteur public, lorsqu’il accomplit ses différentes tâches, constitue une composante essentielle du bon fonctionnement d’une société". (...)

"La société fait face à un arbitrage à court terme entre inflation et chômage"

Mankiw présente la relation entre inflation et chômage comme l’un de ses dix principes. Selon lui, il y a toujours un arbitrage entre inflation et chômage à court terme. Même si Mankiw admet que certains économistes doutent toujours de cette relation, il prétend qu’elle est acceptée par la plupart des économistes.

Le problème est que plusieurs présentations de manuels de macroéconomie n’analysent pas systématiquement les chocs. (...) Il n’y a pas d’"arbitrage" entre inflation et chômage dans le cas d’un choc de demande. Dans le modèle offre agrégée-demande agrégée traditionnel, un choc de demande négatif entraîne un déplacement de la courbe de demande agrégée vers la gauche. Dans ce cas, le niveau des prix et la production diminuent. Si la banque centrale ou les autorités budgétaires réagissent à un tel choc, elles peuvent ramener la courbe de demande agrégée à sa position initiale en poursuivant des politiques expansionnistes. Donc, il n’y a pas d’ "arbitrage" entre la stabilisation du niveau des prix et la production. Dans le monde simple du modèle offre agrégée-demande-agrégée, on peut alors approximer l’inflation par la variation du niveau des prix et le chômage par l’écart de production.

Le conflit d’objectifs qu’évoque Mankiw existe seulement dans la situation faisant suite à un choc d’offre. Dans ce cas-là, la banque centrale (ou le ministère des Finances) doit en fait se demander s’il faut donner la priorité à la stabilisation de la production ou du niveau des prix.

"Un salaire minimum provoque du chômage"

(…) Certes, Mankiw souligne dans son manuel que les économistes sont en désaccord sur la question. Cependant, il ne s’appuie que sur les études sur l’effet du salaire minimum sur la situation des jeunes sur le marché du travail. Il prétend que les avocats du salaire minimum ont eux-mêmes concédé que le salaire minimum aurait des effets négatifs sur l’emploi, mais qu’ils "croient" que ces derniers sont faibles et que, globalement, un salaire minimum améliore la situation des plus modestes. La pléthore d’études qui conclut que le salaire minimum n’a pas d’impact négatif sur l’emploi est simplement ignorée par Mankiw.

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Analytiquement, les diagrammes ci-dessus donnent l’impression que le salaire minimum a un impact négatif sur l’emploi. Le diagramme suppose qu’il y a une parfaite concurrence du côté de l’offre et du côté de la demande et que l’effet de substitution l’emporte sur l’effet de revenu lorsque le salaire change. Nous avons alors une courbe d’offre de travail croissante.

Pour un cours introductif, il n’est certes pas facile d’expliquer le fonctionnement du marché du travail pour un monopsone ou pour une situation dans laquelle l’effet de revenu prédomine. Au lieu de se contenter de présenter la seule représentation standard comme le fait Mankiw, représentation qui reste ensuite ancrée dans la tête des étudiants, il faut cependant donner au moins une autre représentation. (...)

Il n’est en outre pas facile de représenter le marché du travail avec une courbe d’offre de travail qui présente une partie décroissante, c’est-à-dire par une courbe en forme de S (Dessing, 2002).

"La déflation permet à l’économie de sortir de récession"

L’une des affirmations les plus surprenantes du manuel de macroéconomie est celle selon laquelle la déflation (Mankiw parle de baisse du niveau des prix) permet à l’économie de sortir de récession. Ce résultat peut être dérivé du cadre du modèle d’offre agrégée-demande agrégée. Il ne faut toutefois pas oublier que ce modèle est dérivé du modèle IS-LM. Dans ce dernier, il est supposé que la banque centrale maintient constante l’offre de monnaie nominale. Si le niveau des prix chute, l’offre de monnaie réelle (M/P) augmente. (…) Cela pousse à la baisse le taux d’intérêt nominal.

Conséquence d'une chute de la demande agrégée

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La chute du taux d’intérêt nominal accroît la composante de l’investissement qui dépend du taux d’intérêt, ce qui accroît la demande globale via le multiplicateur d’investissement. De ce point de vue, une chute du niveau des prix peut en principe entraîner le déplacement sur la courbe de la demande agrégée de B à C. Le déplacement sur la courbe de la demande agrégée de B à C est par conséquent une conséquence de la chute du niveau des prix.

Mankiw ne prend, cependant, pas en compte que, dans le cas de la déflation, le taux d’intérêt nominal peut rapidement atteindre zéro. Cela signifie qu’il y a déjà une limite inférieure pour la chute du taux d’intérêt nominal, qui devait en principe stabiliser l’économie. Et puisque l’investissement n’est pas déterminé par le taux d’intérêt nominal, mais par le taux d’intérêt réel, lorsque le taux d’intérêt nominal bute sur sa borne inférieure en présence de déflation, le taux d’intérêt réel peut en fait augmenter à mesure que les prix baissent. Au lieu de constituer nous faisons alors face à un processus, non pas stabilisateur, mais déstabilisateur.

En outre, la déflation se révèle déstabilisatrice pour les débiteurs et le système financier si elle suite une phase de fort endettement. Irving Fisher (1933) a évoqué le risque d’une "déflation par la dette" (debt-deflation).

La dette publique freine la croissance économique

La question de la relation entre dette publique et croissance économique est susceptible d’être particulièrement pertinente pour la politique économique. Mankiw estime que la dette publique réduit l’épargne et donc l’investissement dans une économie, ce qui freine la croissance économique.

Le problème fondamental ici est que le contexte est présenté dans le cadre du modèle de l’économie classique. Celui-ci ne prend en compte qu’un seul bien, utilisé à la fois comme bien de consommation, de bien d’investissement et d’actif financier. Les investissements doivent donc être "financés" par des ménages retardant leur consommation (c’est-à-dire épargnant). De cette façon, le bien devient disponible comme actif financier et celui-ci peut alors être utilisé par les investisseurs comme bien d’investissement (comme "capital"). Dans ce modèle, il n’est pas possible de financer l’investissement via le crédit bancaire et, dans le cas de l’Etat, via la banque centrale. (…)

Mais même dans le cadre du modèle classique, le résultat présenté par Mankiw n’est pas convaincant. Il fait implicitement l’hypothèse que le gouvernement utilise les fonds qu’il emprunte exclusivement pour la consommation. En outre, il dépend de l’hypothèse curieuse selon laquelle la demande additionnelle de crédit du gouvernement n’accroîtrait pas la demande agrégée du crédit, mais réduirait l’offre de fonds prêtables résultant de l’épargne des ménages.

Si nous supposons plutôt que le gouvernement emprunte pour financer l’investissement, les choses changent énormément. L’effet peut être représenté par un déplacement de la demande de crédit (et non par un déplacement de l’offre de fonds d’épargne). Le déplacement de la demande d’investissement entraîne alors une hausse du taux d’intérêt et, au nouvel équilibre, davantage d’épargne et davantage d’investissement. C’est donc l’exact opposé de ce que Mankiw suggère. L’emprunt public finançant l’investissement public stimule alors la croissance économique.

Les banques collectent des dépôts, puis les prêtent sous forme de prêts

Mankiw n’est pas le seul à penser que les banques sont de simples intermédiaires entre épargnants et investisseurs. Cette erreur tient aussi à la modélisation (…) du système financier dans la théorie (néo)classique. C’est encore aujourd’hui le paradigme qui façonne la plupart des travaux universitaires sur les questions relatives au système financier. Puisque dans le modèle de l’économie (…) il n’y a qu’un seul bien, qui n’est mis à la disposition du marché financier que si les ménages retardent leur consommation, le rôle des banques est réduit à celui d’un simple conduit entre épargnants et investisseurs.

Cela n’a rien à voir avec la réalité. (…) Dans un modèle monétaire (réaliste), les dépôts sont principalement créés à travers l’activité de crédit des banques commerciales. Et si les dépôts sont créés par des ménages apportant du liquide à la banque, alors cette liquidité a précédemment été créée par l’activité de prêt de la banque centrale.

Il est étonnant que les livres de Mankiw présentent le processus de création monétaire par les banques avec le modèle traditionnel du multiplicateur monétaire (…). Le modèle du multiplicateur monétaire n’est pas réaliste. Il suppose que les banques utilisent chaque émission de monnaie par la banque centrale pour prêter. Comme le montrent les achats d’actifs par les banques centrales, ce mécanisme n’est pas approprié. Il suppose un déséquilibre sur le marché des prêts bancaires, où il y aurait un excès de demande de prêts bancaires au taux prêteur qui prévaut.

Le lien de causalité supposé par le modèle du multiplicateur monétaire, selon lequel un accroissement de l’offre de monnaie par la banque centrale entraîne davantage de prêts bancaires et une hausse de l’offre de monnaie, est également inapproprié dans la mesure où les banques centrales ne contrôlent pas l’activité de crédit des banques commerciales via la base monétaire en temps normal, mais via le taux d’intérêt sur le marché monétaire. (...) »

Peter Bofinger « Best of Mankiw: Errors and tangles in the world's best-selling economics textbooks », INET, 3 janvier 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« L’art d’écrire des manuels selon Mankiw »

« Pourquoi la déflation est un problème et comment elle peut être combattue »

« La dette publique nuit-elle à la croissance économique ? »

« Les modèles ne saisissent toujours pas ce qu’est une banque »

« La crise financière a-t-elle bouleversé l’enseignement de la macroéconomie ? »

mardi 6 décembre 2016

Trump et le déficit commercial des Etats-Unis : que dit le manuel de Mankiw ?

« Greg Mankiw, un professeur de Harvard qui a rédigé plusieurs manuels d’économie et qui publie régulièrement des chroniques dans le New York Times a récemment écrit dans sa dernière chronique que l’équipe d’économistes entourant Donald Trump a tort de se préoccuper du déficit commerciale. "La plus importante leçon à propos des déficits commerciaux est qu’ils ont une contrepartie. Lorsque les Etats-Unis achètent des biens et services étrangers, la monnaie que les Américains dépensent à l’étranger revient généralement aux Etats-Unis d’une manière ou d’une autre. Une possibilité est que les étrangers l’utilisent pour acheter des choses que nous produisons et que nous nous retrouvions avec un commerce équilibré. L’autre possibilité, qui est précisément celle que nous observons lorsque nous avons des déficits commerciaux, est que les étrangers dépensent cette monnaie pour acheter des actifs aux Etats-Unis, par exemple des actions, des obligations et des investissements directs dans les usines, les équipements et le marché de l’immobilier. (…) En réalité, les déficits commerciaux ne sont pas une menace sur une croissance robuste et le plein emploi. Les Etats-Unis avaient un large déficit commercial en 2009, lorsque le taux de chômage était de 10 %, mais ils avaient un déficit commercial encore plus ample en 2006, lorsque le taux de chômage était de 4,4 %. (…) Plutôt que de refléter un échec de la politique économique américaine, le déficit commercial est peut-être le signe de sa réussite. La vitalité et la sécurité relatives de l’économie américaine expliquent pourquoi tant d’investisseurs autour du monde veulent y placer leurs actifs."

Il y a toutefois trois points à nuancer ici. Premièrement, les achats d’actifs financiers, comme les actions et obligations, ne se traduisent pas nécessairement par une expansion plus rapide de la production et de l’emploi. Mankiw l’a peut-être oublié, mais nous avons connu un énorme taux de chômage suite à l’effondrement de la bulle immobilière en 2008. La Fed a acheté énormément d’actifs financiers au cours de cette période, ce qui a peut-être eu un certain effet sur la production et l’emploi, mais n’a toutefois pas permis de ramener rapidement l’économie américaine au plein emploi. (Les actifs se fichent que ce soit la Fed ou des étrangers qui les achètent, cela a le même effet sur la production et l’emploi.)

Deuxièmement, ce n’est pas en raison de "la vitalité et de la sécurité" de l’économie américaine que de nombreux actifs américains ont été achetés par le reste du monde. Suite à la crise asiatique de 1997, les banques centrales de plusieurs pays en développement ont cherché à accumuler de massifs montants de réserves pour avoir des munitions si elles se retrouvaient à nouveau confrontées à une situation similaire. (En d’autres termes, elles n’ont pas voulu avoir à demander de nouveau un renflouement de la part d’un FMI dirigé par les Etats-Unis.) Cela passait par de larges montants de dollars. Cela a poussé à la baisse la valeur de leurs devises, ce qui permit à ces pays de générer de larges excédents commerciaux. C’est l’inverse de ce que disent les manuels, où l’on décrit les flux de capitaux comme allant des pays riches (où ils sont abondants) vers les pays pauvres (où ils sont rares). Dans les années qui ont suivi l’année 1997, les pays pauvres ont été des exportateurs massifs de capitaux vers les pays développés.

Le troisième point est que ce déficit commercial a contribué à générer une insuffisance de la demande globale, précisément comme l’équipe d’économistes de Trump a pu le dire. A la fin des années quatre-vingt-dix, nous avions comblé cette insuffisance de la demande en générant une bulle boursière. Lorsque cette dernière éclata en 2000-2001, la récession qui s’ensuivit nous donna la plus longue période sans croissance de l’emploi que nous avions pu voir depuis la Grande Dépression. Nous avons ensuite comblé l’insuffisance de la demande globale avec une bulle immobilière qui nous a effectivement ramené le taux de chômage en 2006 à 4,4 % comme le rappelle Mankiw. Mais lorsque cette bulle éclata, nous nous sommes retrouvés avec la plus longue et sévère sécheresse d’emplois, puisque nous nous sommes retrouvés privés de toute source facile de demande pour combler le manque créé par le déficit commercial.

En fait, c’est le point clé de la littérature sur la stagnation séculaire développée par des économistes comme Paul Krugman, Larry Summers et Olivier Blanchard. Il n’y a pas de mécanisme facile pour combler les amples déficiences de demande globale. Lorsque l’inflation est très faible, il est difficile de pousser les taux d’intérêt à un niveau suffisamment faible pour générer beaucoup de demande additionnelle. Ces économistes préconisent tous un surcroît de dépenses publiques et d’amples déficits budgétaires dans ce contexte pour stimuler la demande globale, mais une réduction du déficit commercial aurait le même effet. Si vous générer un surcroît de demande équivalent à 100 milliards de dollars via la hausse des dépenses publiques ou via le remplacement de 100 milliards d’importations par un surcroît d’achats de produits domestiques, cela a même effet sur le production. Dans un contexte où il y a de nombreux obstacles politiques à un creusement des déficits budgétaires (pensez à Peter Peterson, à Paul Ryan et au Washington Post), une réduction du déficit commercial pourrait constituer le chemin le plus assuré vers le plein emploi.

Bref, il faut avouer que l’équipe de Trump a plutôt raison dans cette histoire. Cela m’amène à me demander ce qu’il peut bien y avoir dans le manuel de Mankiw. »

Dean Baker, « Trade, Trump, and the economy: What does Greg Mankiw's textbook say? », in Beat The Press (blog), 4 décembre 2016. Traduit par Martin Anota

jeudi 23 juin 2016

Mankiw et la faible croissance américaine



« (…) Au cours de la dernière décennie, le taux de croissance du PIB réel par tête aux Etats-Unis s’est élevé en moyenne à 0,44 % par an, alors que la norme historique est de 2 %. Au rythme de 2 % par an, le revenu double tous les 35 ans. A un rythme de 0,44 %, il ne double que tous les 160 ans. (…) Il est tentant de blâmer la Grande Récession de 2008-9 pour le faible taux de croissance sur la dernière décennie. En effet, cette récession fut particulièrement sévère. (…) Qu’est-ce qui ne va pas avec l’économie ? Personne ne sait avec certitude, mais diverses théories ont été avancées. En voici cinq :

Le mirage statistique. (…) Lorsque les améliorations de la qualité sont généralisées et les innovations si différentes de ce que nous avions auparavant, les comptables nationaux qui calculent le PIB peuvent sous-estimer les améliorations de la qualité de vie. Pensez à la façon par laquelle votre smartphone remplace désormais votre caméra, votre GPS, votre système de musique et divers autres appareils auparavant autonomes. Selon cette théorie, le problème n’est pas dans l’économie, mais dans les statistiques. (…)

Le surplomb suite à la crise. La récession de 2008-2009 fut provoquée par la pire crise financière depuis la Grande Dépression des années trente. Peut-être que quelque chose provoqué par les crises financières freine la reprise. Durant la récente crise, beaucoup ont craint une autre Grande Dépression. Nous avons évité cette catastrophe, mais l’anxiété peut rester, désincitant les entreprises à emprunter pour financer des investissements risqués et désincitant les banques à leur prêter. La bonne nouvelle, c’est que le surplomb va finir par se dissiper, mais il faut être patient.

La stagnation séculaire : Lawrence Summers, ancien conseiller économique du Président Obama, a suggéré que le problème date d’avant la crise financière. Il souligne le déclin à long terme des taux d’intérêt réels comme preuve d’une moindre demande de capitaux pour financer les projets d’investissement. Il cite diverses raisons pour expliquer cette tendance, notamment une plus faible croissance démographique, une baisse des prix des biens capitaux et la nature des récentes innovations, comme le remplacement des magasins physiques par les sites internet de vente en ligne. La conséquence en est la stagnation séculaire, soit une incapacité persistante de l’économie à générer une demande suffisante pour maintenir le plein emploi. Son remède ? Plus de dépenses publiques dans les infrastructures, comme les routes, les ponts et les aéroports. Si le gouvernement tirait avantage des faibles taux d’intérêt pour faire les bons investissements dans le capital public (…), cette politique stimulerait l’emploi à court terme lorsque les projets sont lancés et rendent l’économie plus productive lorsqu’ils sont utilisés.

Un ralentissement de l’innovation : Robert Gordon (…) croit que le rythme des innovations a ralenti. Les précédentes générations ont introduit l’électricité, la plomberie intérieure et le moteur à explosion. Les innovations de notre génération, comme le smartphone et les réseaux sociaux, ne changent pas vraiment nos vies. Cette théorie est la plus pessimiste. S’il a raison, nous n’avons pas d’autres choix que de nous habituer à une plus faible croissance.

Les erreurs de politique économique. Lorsque Barack Obama entra en fonction en 2009, l’économie américaine était au milieu de la Grande Récession. Les conseilleurs du Président Obama se basaient sur la théorie keynésienne standard lorsqu’ils proposèrent une forte hausse des dépenses publiques pour stimuler l’économie. Le plan de relance fut la première initiative de l’administration Obama en termes de politique économique. Lorsque l’économie amorça sa reprise, l’administration augmenta les impôts pour réduire le déficit budgétaire. Mais à l’époque, il y avait des raisons de douter d’une telle initiative. Une étude de 2002 de la politique budgétaire aux Etats-Unis par les économistes Olivier Blanchard et Roberto Perotti constata que "les hausses d’impôts et les hausses des dépenses publiques ont un fort effet négatif sur les dépenses d’investissement privé". Ils notèrent que ce constat est "difficile à réconcilier avec la théorie keynésienne". Cohérent avec cela, une étude plus récente des données internationales par les économistes Alberto Alesina et Silvia Ardagna constata que "les relances budgétaires basées sur les baisses d’impôts sont plus susceptibles d’accroître la croissance que ceux basées sur les hausses de dépenses publiques".

Donc voilà. Une maladie, mais cinq diagnostics Malheureusement, je ne sais pas quelle explication est la bonne. Peut-être sont-elles toutes un peu justes. »

Gregory Mankiw, « One economic sickness, five diagnoses », 17 juin 2016. Traduit par Martin Anota


« Greg Mankiw (…) s’est penché sur la faible croissance que les Etats-Unis ont connue au cours de la dernière décennie et en a proposé cinq explicitations. Selon moi, il n’y a rien de compliqué dans l’histoire. Nous avons perdu beaucoup de demande lorsque la bulle immobilière a éclaté et il n’y a rien pour la remplacer. C’est donc essentiellement la quatrième explication, celle relative à la stagnation séculaire de Larry Summers, qui semble la bonne. (…)

La première explication, celle selon laquelle l’économie est en fait en train de croître rapidement, mais que nous ne parvenons pas à le voir en raison de problèmes de mesure, n’est pas sérieuse. Par exemple, on peut obtenir de la musique et des informations gratuitement sur le Web ou utiliser nos smartphones comme caméras. Ce sont des choses formidables, mais si vous essayez de leur mettre un prix (…), celui-ci sera peu élevé. En outre, il y a toujours eu des bénéfices associés aux innovations qui ne sont pas saisis statistiquement (mais également des coûts…). Ce que l’on a à démontrer est que la taille annuelle de ces bénéfices s’est accrue. (…)

On a aussi très souvent entendu l’histoire du surplomb de la crise. Les entreprises seraient frileuses d’investir et les banques frileuses de prêter. Elle semble aussi défier les données. Premièrement, jusqu’au récent ralentissement de l’investissement suite à l’effondrement des prix du pétrole et à la hausse du déficit commercial suite à l’appréciation du dollar, l’investissement est retourné à sa part du PIB d’avant-crise. Les banques prêtent aussi à leur taux d’avant-crise. Donc c’est une jolie histoire pour les journalistes, mais il n’y a rien au monde pour la supporter.

C’est également vrai pour la cinquième explication, celle selon laquelle le gouvernement aurait commis des erreurs de politique économique. Nous devrions croire que les hausses d’impôts mises en place par le Président Obama aux 1 % les plus riches (en 2013) ont freiné la croissance au cours des quatre années qui les ont précédées et qu’elles vont continuer à le faire indéfiniment ? Ces hausses d’impôts furent bien plus faibles que celles imposées par le Président Clinton qui, comme nous le savons, ont stoppé net la croissance économique. C’est juste stupide. C’est certainement possible que les hausses d’impôts peuvent avoir un effet désincitatif et par conséquent empêcher la croissance, mais les ordres de grandeur ne collent pas. Il est difficile d’imaginer que les hausses d’impôt d’Obama freinèrent la croissance, même pour 0,1 point de pourcentage.

Finalement, nous avons la thèse de Robert Gordon selon laquelle nous connaîtrons désormais une faible croissance de la productivité parce que l’âge de l’innovation est fini. C’est difficile de l’accepter pour plusieurs raisons, tout d’abord parce que les économistes (notamment Gordon) ont été très mauvais pour prédire les tendances futures dans l’évolution de la productivité. (…) L’histoire de Gordon à propos de la pénurie d’innovations majeures peut éventuellement expliquer le ralentissement de la croissance dans les pays qui sont à la frontière technologique, comme les Etats-Unis, mais pas pourquoi la croissance a également ralenti presque partout dans le reste du monde, notamment dans les pays qui sont très éloignés de la frontière technologique. Ils ont de quoi tiré de larges bénéfices de l’adoption des technologies américaines pour les deux ou trois prochaines décennies.

Au final, les choses sont beaucoup plus simples que ne le suggère Mankiw. L’économie mondiale a besoin de plus de demande pour avoir une plus forte croissance. Ou nous pouvons répondre au déficit de demande en réduisant l’offre avec de plus courtes semaines de travail et de plus longues vacances, ce qui réduirait le chômage et pousserait les salaires à la hausse. (…) Donc nous avons cinq histoires, mais quatre d’entre elles ne font pas beaucoup sens. »

Dean Baker, « Causes of stagnation: Mankiw's big five », 18 juin 2016. Traduit par Martin Anota