« Le Financial Times indique que des milliers de distributeurs automatiques pourraient fermer. L’une des rares innovations financières qui se soit révéler utiles lors de mon existence pourrait ainsi disparaître. Cela m’amène à me poser la question suivante : ne devrions-nous pas prendre plus au sérieux la possibilité d’un recul technologique ? (…)

Par exemple, il faut plus de temps désormais pour traverser l’Océan atlantique qu’il n’en fallait dans les années quatre-vingt lorsque nous avions le Concorde, en particulier si vous prenez en compte les temps d’enregistrement et le temps passé avec la sécurité de l’aéroport. De même, certains trajets en train prennent plus de temps aujourd’hui que par le passé. Et, bien sûr, les hommes ne vont plus sur la Lune.

Il n’y a pas que dans le transport où nous avons connu une régression. Les vieux lecteurs peuvent se rappeler que nous bénéficiions de deux livraisons postales par jour, une avant midi. Paul Romer a affirmé que la recherche macroéconomique a connu une régression intellectuelle. Le fait que les sociétés accumulent depuis plusieurs années des montagnes de liquidité suggère que les banques ne sont désormais plus efficaces dans leur rôle d’intermédiaires financiers (…), peut-être parce que l’essor des actifs intangibles prive les entreprises des collatéraux dont elles pourraient se servir pour emprunter. Les journaux avaient l’habitude de tenir bien informés leurs lecteurs, avec notamment les numéros de leurs correspondants étrangers et les détails des rapports parlementaires. (Brendan O’ Carroll, par exemple, a réussi à retrouver l’assassin de son grand-père en utilisant les rapports des journaux publiés à l’époque.) Aujourd’hui, ils préfèrent laisser leurs lecteurs dans leurs préjugés. Mais ce qui est le plus inquiétant, c’est le fait que les antibiotiques deviennent de moins en moins efficaces, ce qui provoque une régression générale en médecine.

Vous pouvez objecter en disant que nous savons toujours comment faire la plupart de ces choses, en suggérant que c’est seulement le coût à faire ces choses qui a fortement augmenté. En ce qui me concerne, ce n’est pas pertinent. Il y a longtemps nous parlions des conditions sociotechniques de la production : nous savions que nous ne pouvions séparer la technologie des circonstances sociales qui facilitent ou non son usage.

La régression est donc possible.

Cela peut contribuer à expliquer les retournements conjoncturels. Si nous combinons l’idée de Xavier Gabaix selon laquelle les récessions peuvent naître des grandes entreprises qui se retrouvent en difficulté avec la description qu’offre Daron Acemoglu de la façon par laquelle les effets de réseau peuvent amplifier de telles fluctuations, nous obtenons un récit où la régression est susceptible de provoquer des récessions. Je pense que cela peut se vérifier avec la récession de 2008-2009. La capacité des banques à produire du crédit a décliné. Cette régression technique a provoqué un effondrement, un effondrement dont nous observons toujours les effets. Ce qui ne va pas avec la théorie des cycles d’affaires réels est sa conception des marchés du travail et l’utilisation d’un agent représentatif, pas son identification des causes des ralentissements.

Cela nous amène à la question suivante : Quels mécanismes sont susceptibles de provoquer une régression de plus long terme ? Voici une liste non exhaustive :

  • La maladie de Baumol. Là où la productivité ne peut s’améliorer, les coûts relatifs augmentent au cours du temps à mesure que les salaires augmentent. Cela peut rendre certains services non rentables. C’est probablement un tel mécanisme qu’il y a derrière l’histoire des services postaux.

  • Les actifs intangibles. Nous avions l’habitude de penser que la technologie s’améliorait via la réallocation des actifs des entreprises en déclin vers les entreprises plus efficaces. Cela peut être vrai en ce qui concerne les actifs physiques. Mais est-ce également le cas des actifs intangibles ? Si le savoir d’une entreprise se ramène à un capital organisationnel, sa faillite peut entraîner la perte de ce savoir. Et, comme l’a dit Luigi Zingales, "un choc temporaire comme une crise financière peut avoir d’importantes répercussions à long terme".

  • La dépendance au sentier. Brian Arthur a décrit comment une piètre technologie peut gagner un avantage temporaire sur une meilleure technologie en raison d’un heureux accident. Les producteurs peuvent continuer à procéder à des améliorations parcellaires de la technologie inférieure, ce qui a pour conséquence l’abandon d’une technologie potentiellement meilleure. C’est peut-être le mécanisme à l’œuvre derrière les voitures à vapeur et peut-être même derrière la recherche économique.

  • Les incitations. S’il y a de plus grandes incitations pour la quête de rentes plutôt que pour l’innovation, alors nous nous retrouvons avec moins d’innovations. Pire, les luttes dans la répartition du revenu peuvent réduire la taille du revenu total. C’est peut-être le mécanisme derrière la malédiction des ressources naturelles et derrière la merveilleuse parabole du bœuf de John Kay.

  • Le plus grand danger, peut-être, est simplement l’essor des attitudes anti-intellectuelles et anti-scientifiques, telles que nous nous observons actuellement avec l’opposition aux vaccinations, la croyance en un monde post-vérité et les attaques dont sont l’objet les universités.

Le progrès est plus fragile que nous ne le supposons. Vous devez vous demander comment renforcer les conditions matérielles et intellectuelles qui lui sont sous-jacentes. »

Chris Dillow, « On technological regress », in Stumbling & Mumbling (blog), 13 décembre 2017. Traduit par Martin Anota