« Il semble à présent que la Chine est entrée dans un véritable ralentissement. Il y a plein d’indicateurs majeurs qui le suggèrent. J’aurais dû accorder plus de poids, par exemple, au ralentissement des exportations européennes vers la Chine au cours de l’année 2018.

GRAPHIQUE 1 Variation des importations chinoises en provenance de l’UE (en %)

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Les importations totales de la Chine sont restées assez robustes jusqu’à ces deux derniers mois. Mais désormais elles baissent. Fortement.

GRAPHIQUE 2 Variation d’une sélection d’importations de la Chine (en %)

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Au sens profond, le ralentissement de la Chine ne devrait pas nous surprendre. La Chine a resserré sa politique conjoncturelle l’année dernière. L’équipe asiatique de Goldman a publié un graphique très intéressant début janvier qui montrait une forte consolidation dans "le déficit budgétaire augmenté" et il semble que les efforts de la Chine pour freiner la croissance du shadow banking et introduire un peu de discipline de marché dans le prêt ont réduit le flux de crédit vers les entreprises privées (…).

Par le passé, la Chine a régulièrement resserré de trop et freiné une économie qui dépend toujours structurellement du crédit pour générer de la demande interne (le revers de la forte épargne) tout en essayant de sevrer l’économie du crédit bancaire et du shadow banking. Regardez la faiblesse des importations chinoises dans le graphique ci-dessus fin 2014 et pour l’essentiel de 2015. Voilà le dernier cycle de "resserrement".

Mais l’ampleur de l’actuel ralentissement est maintenant de plus en plus manifeste dans un large ensemble de données, que ce soit les données de la Chine ou les données de ses partenaires à l’échange.

GRAPHIQUE 3 Variation des importations chinoises en provenance d'Asie, des Etats-Unis, de l'UE et du reste du monde (en %)

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Et cela soulève la question quant à savoir comment un ralentissement chinois impacterait le monde.

Il y a quelques bonnes nouvelles à ce propos. La Chine n’est (toujours) pas aussi importante qu’on le croit pour les biens manufacturés du reste du monde. Les importations globales (de biens) de la Chine sont significatives, autour de 2.000 milliards de dollars. Mais environ un tiers de ces importations concernent les produits de base, environ un tiers de ces importations concernent des composants destinés à être réexportés (dites-vous 800 milliards de dollars d’importations de composants relativement à des exportations d’environ 2.400 milliards de dollars) et un peu moins d’un tiers de ces importations sont des importations de biens manufacturés que la Chine utilise vraiment chez elle.

Et cela signifie que la Chine importe moins pour la demande mondiale de biens manufacturés que, par exemple, les Etats-Unis. Les importations chinoises de biens manufacturés pour usage propre (…) représentent pratiquement un tiers des importations américaines de biens manufacturés. Environ un peu moins d’un tiers.

GRAPHIQUE 4 Importations de biens manufacturés des Etats-Unis et de la Chine (en milliards de dollars)

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Les Etats-Unis n’utilisent pas leurs importations pour la réexportation, mais les exportations américaines de biens manufacturés sont si faibles (environ 5 % du PIB étasunien) que les importations pour la réexportation peuvent être largement ignorées. Le contenu importé des exportations américaines est toujours (…) relativement faible.

Conclusion : en ce qui concerne la fourniture du reste du monde en biens manufacturés, les Etats-Unis sont toujours sans équivalents. La Chine reste en deuxième division.

Cela ne signifie pas que la demande d’importations chinoises n’importe pas du tout : 600 milliards d’importations, ce n'est pas rien. Quand les importations chinoises augmentaient assez fortement fin 2017 et début 2018, cela fournissait un coup de pousse aux diverses régions autour du monde qui avaient une faible croissance de la demande et une faible devise. Bien sûr, je pense à l’Europe en général et à l’Allemagne en particulier. La part de l’Europe dans la hausse de 150 milliards de dollars des importations chinoises de biens manufacturés (nettes d’importations de composants) que l’on a pu observer de la fin de l’année 2016 au milieu de l’année 2018 représentait un montant proche de 30 milliards d’euros, ce qui est loin d’être négligeable.

Mais du côté manufacturier, le plus large impact de la Chine sur le reste du monde continue de découler de sa machine de l’export. Les exportations chinoises de biens manufacturés (nettes de composants) sont pratiquement 2,5 fois plus importantes que ses importations de biens manufacturés (nettes d’importations de composants). Dites-vous environ 1.500 milliards de dollars versus 600 milliards de dollars (pour 2018).

GRAPHIQUE 5 Les exportations et importations chinoises de biens manufacturés (en milliards de dollars)

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C’est pourquoi la récente stabilité de la devise chinoise importe. Pour l’instant (mais bien sûr les choses peuvent changer), la Chine ne cherche pas à compenser la faiblesse domestique via une dépréciation et une plus faible devise. Une chute de 10 % des importations chinoises est un choc plus faible pour la demande mondiale qu’une dépréciation qui réalloue la demande mondiale vers la Chine et accroît les exportations chinoises de 10 %.

Alors qu’une dépréciation chinoise constituerait un choc négatif pour l’économie mondiale, la volonté apparente de la Chine d’utiliser les outils budgétaires pour relancer son économie devrait aider le monde, du moins directionnellement. (…)

Il est bien sûr trop restrictif de ne voir que le commerce manufacturier : la Chine est maintenant une source très importante de demande pour les matières premières. Elle a de plus en plus le genre d’impact sur le marché du pétrole qu’elle a pu avoir sur le marché des métaux industriels. La Chine représentait un quart de la croissance de la demande mondiale de pétrole l’année dernière. Et les Etats-Unis sont de plus en plus importants comme source d’offre marginale de pétrole, l’inverse de son rôle traditionnel. (…)

Les prix de l’énergie actuels reflètent la confluence des anticipations d’une forte croissance de l’offre américaine (face aux réductions significatives des exportations vénézuéliennes et iraniennes) (…) et une plus faible croissance de la demande hors de Chine. Une chute dans la demande automobile de la Chine a un gros impact sur la production domestique chinoise (la plupart des voitures chinoises sont fabriquées en Chine, avec pour l’essentiel des composants chinoises, grâce au mur tarifaire chinois), un impact mesurable sur les profits de certaines entreprises étrangères ayant des partenariats fructueux avec la Chine, un impact modeste sur les exportations allemandes et, à la marge, un impact mesurable sur la croissance mondiale de la demande de pétrole.

Il ne fait pas de doute que la Chine importe pour le monde entier. Mais son impact sur le monde n’est pas totalement symétrique. (…) »

Brad Setser, « China's slowdown and the world economy », in Follow the Money (blog), 5 février 2019. Traduit par Martin Anota