A quelques mois de la plus longue expansion américaine


D’ici quelques mois, l’économie américaine pourrait battre le record de la plus longue expansion qu’elle ait connue, celle qui avait eu lieu entre mars 1991 et mars 2001. Comme nous nous rapprochons de cet instant, les craintes se multiplient à l’idée qu’une récession puisse prochainement arriver. Les expansions meurent-elles de vieillesse ? Les analyses empiriques suggèrent que ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de claire relation entre la durée d’une expansion et la probabilité d’une récession (Rudebusch, 2016).

Une autre définition de l’âge des expansions


On peut considérer autrement l’âge d’une expansion, en prenant le degré d’inutilisation des capacités. Les expansions sont des périodes au cours desquelles l’économie retourne au plein emploi. Comme le chômage devient faible et atteint des niveaux proches ou inférieurs au taux de chômage naturel, est-il possible de maintenir cet état pendant plusieurs années ? Ou bien le "plein emploi" mène-t-il automatiquement à des déséquilibres qui représentent les germes de la crise suivante ?

Dans le cas des Etats-Unis, l’histoire suggère que le "plein emploi" n’est pas un état soutenable et qu’une fois un tel niveau atteint une hausse soudaine du chômage est très probable. Dans le graphique ci-dessous, j’ai représenté les taux de chômage autour du pic de chacun des cinq derniers cycles (où le zéro représente le mois au cours duquel la récession éclate). J’ai représenté l'évolution du taux de chômage sur les cinq années qui précèdent le début de la récession et les dix mois qui suivent celui-ci.

GRAPHIQUE 1 Le taux de chômage américain autour des récessions (en %, normalisé à 0 % le mois du pic)

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Tous les cycles présentent une évolution en forme de V pour le chômage. Le chômage atteint son point le plus faible autour des 12 mois précédant le début de la récession et, dans la plupart des cas, le chômage s’accroît déjà dans les mois qui précèdent la récession. Ce qui est intéressant, c’est l’absence d’un quelconque épisode de chômage faible et stable (ou de plein emploi). C’est comme si le fait d’atteindre un faible niveau de chômage mène toujours à des dynamiques qui finissent rapidement par générer une récession. Les récessions meurent de vieillesse si l’âge est mesuré en termes de capacités inutilisées. Si ce schéma se répétait, les Etats-Unis doivent être proches aujourd’hui d’un point d’inflexion, c’est-à-dire d’une récession.

GRAPHIQUE 2 Taux de chômage de l’Australie (en %)

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Le résultat peut sembler évident et mécanique : une fois que le taux de chômage est faible, il ne peut aller que dans une direction : à la hausse. C’est vrai, mais ce qui importe est de savoir si une période prolongée de chômage faible et stable est possible. Dans le cas des Etats-Unis, la réponse est non. On peut regarder d’autres pays pour visualiser cette possibilité. Un bon exemple est l’Australie, qui a récemment connu un faible taux de chômage pendant plusieurs décennies. Après une récession au début des années quatre-vingt-dix, le chômage s’est accru et a alors commencé à refluer selon une trajectoire similaire à celle observée lors de chaque expansion américaine. Mais dans les années deux mille, le chômage atteignit un faible niveau et il est resté essentiellement à ce niveau pendant plusieurs années. En d’autres mots, le taux de chômage n’a pas suivi une dynamique en forme de V, mais plutôt une dynamique en forme de L.

Croissance à risque et régressions de quantile


Nous pouvons quantifier cette intuition en reliant ce résultat à une littérature universitaire qui analyse les déterminants du risque extrême de variations du chômage (ou du PIB). Cette littérature observe les déterminants des pires survenus potentielles au cours d’une fenêtre temporelle spécifique (par exemple Cecchetti, 2008, Kiley, 2018, Adrian, Boyarchenko et Giannone, 2019).

Empiriquement, c’est fait en utilisant des régressions de quantile. Dans ce cas, nous nous intéressons au risque extrême de hausses brutales du chômage, qui sont associées aux récessions, et je vais capturer cela par un coefficient sur le 90ème centile de la distribution dans une régression de quantile (Fatas, 2019).

TABLEAU Régression de quantile du chômage américain

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Les résultats d’une telle régression sont présentés dans le tableau. Les trois coefficients sont négatifs (ce à quoi nous nous attendions comme il y a un retour à la moyenne des taux de chômage). Mais la partie intéressante est que la taille du coefficient augmente quand nous nous déplaçons de petites variations du chômage à de fortes variations (de q10 à q90). Cela signifie que les faibles taux de chômage sont particulièrement bons pour indiquer en avance le risque extrême de larges hausses du chômage (récessions). Chose intéressante, ce phénomène n’apparaît pas dans d’autres pays, tels que l’Australie (cf. Fatas pour ces résultats).

Pourquoi le plein emploi est-il insoutenable ?


La dynamique des récessions et du chômage aux Etats-Unis suggère que de faibles niveaux de chômage sont un bon indicateur avancé des hausses soudaines du chômage, associées à des crises. Nous ne voyons pas dans les données de périodes prolongées de faible chômage. Mais pourquoi est-ce qu’un faible chômage est insoutenable ? Qu’est-ce qui mène à une récession ?

La littérature universitaire tend à mettre l’accent sur deux ensembles de variables : celles associées aux déséquilibres macroéconomiques (telles que l’inflation) et celles associées aux déséquilibres financiers. Chose intéressante, l’introduction de ces variables dans les régressions de quantiles ci-dessus fait disparaître l’effet qu’on a évoqué (cf. Fatas, 2019). En particulier, une fois que nous contrôlons la croissance du crédit, il ne semble plus que le faible chômage soit un bon indicateur avancé du risque extrême associé aux récessions (nous observons toujours un retour à la moyenne, mais nous n’obtenons pas de coefficient plus large pour le quantile q90).

Ce résultat suggère que les récessions suivent des périodes de faible chômage parce que des déséquilibres s’accumulent au cours de ces années. Ce qui est intéressant, c’est que les données empiriques montrent que les Etats-Unis n’ont jamais réussi à maintenir un faible taux de chômage sans générer des déséquilibres qui mènent à une récession. Si l’histoire est un indicateur de crises futures, alors le niveau actuellement faible qu’atteint le chômage suggère qu’une récession est peut-être au coin de la rue. »

Antonio Fatás, « The 2020 (US) recession », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 12 mars 2019. Traduit par Martin Anota



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