« James Smith, de la Resolution Foundation, a publié une bonne analyse sur la probabilité que survienne une récession et le fait que, avec une politique monétaire moins à même de stimuler l’économie, nous devons considérer des façons alternatives de gérer les récessions. J’aimerais poursuivre ses propos de deux façons.

Premièrement, il y a de plus en plus de preuves empiriques montrant que les récessions peuvent avoir des dommages à long terme, même si l’économie rebondit à court terme. Il y a au moins trois mécanismes à l’œuvre ici :

  • L’éducation. Bryan Stuart a montré que la récession de 1980-1982 aux Etats-Unis "a généré de significatives réductions à long terme de l’éducation et du revenu". Les parents qui subissent une chute de revenu dépensent moins dans les livres pour enfants et les voyages éducatifs, et cela réduit les chances que leurs enfants accèdent à l’université quelques années après. De tels effets sont amplifiés si une mauvaise politique macroéconomique provoque des restrictions sur les dépenses publiques dans les écoles et les librairies.

  • La productivité. Les récessions accroissent l’incertitude, or cette dernière déprime l’investissement dans le capital et la recherche-développement, menant à une moindre croissance de la productivité. Dario Bonciani et Joonseok Jason Oh notent que "des chocs accroissant l’incertitude macroéconomique peuvent entraîner des effets négatifs très persistants sur l’activité économique, en l’occurrence qui durent bien au-delà de la fréquence du cycle d’affaires".

  • La cicatrisation. Une récente étude par Erin McGuire montre que les gens qui grandissent en période de mauvaise conjoncture "investissent moins dans les actifs risqués au cours de leur vie, investissent moins dans la propriété et sont moins susceptibles de devenir travailleurs indépendants". Cela corrobore les travaux de Ulrike Malmendier et Stefan Nagel. Via ce canal, les récessions peuvent réduire l’entrepreneuriat et accroître le coût du capital même plusieurs décennies après.

D’un autre côté, il est théoriquement possible que les récessions aient un effet "purificateur" bénéfique : en poussant les firmes inefficaces à faire faillite, elles permettent aux firmes plus efficaces de se développer plus facilement et cela stimule la croissance de la productivité. (…) Cet effet n’a pas bien joué récemment : la productivité a stagné depuis 2008. Une raison expliquant cela est que les crises financières peuvent freiner l’expansion de toutes les entreprises, même des meilleures, en partie en les amenant à s’inquiéter de la disponibilité future du crédit.

Toutes ces preuves empiriques m’amènent à croire que les récessions sont plus coûteuses que je ne le pensais précédemment (et que certainement bien d’autres le pensaient précédemment). Les responsables de la politique économique doivent par conséquent en faire plus pour réduire la probabilité qu’elles surviennent et réduire leurs effets lorsqu’elles surviennent.

Ce qui m’amène à la deuxième chose que m’inspire l’article de James. "Nous ne pouvons rendre l’économie résistante à l’épreuve de la récession" déclare-t-il. Il a raison. Nous ne pouvons prévoir les récessions en les percevant par avance et en relâchant la politique monétaire ou budgétaire au bon instant pour empêcher leur survenue, simplement parce que les récessions sont imprévisibles. En 2000, Prakash Loungani écrivait que "la capacité à échouer à prédire les récessions est quasiment sans failles", un fait qui reste vrai aujourd’hui. La Banque d’Angleterre n’a pas réduit son taux principal à 0,5 % avant mars 2009, soit un an après le début de la récession.

Pour moi, cela requiert des politiques alternatives. Certaines d’entre elles doivent chercher à réduire le risque de récession, par exemple en veillant que les banques soient si bien capitalisées que les pertes qu’elles rencontreraient ne les incitent pas à resserrer leurs prêts. D’autres doivent chercher à atténuer les récessions via de puissants stabilisateurs automatiques, tels que l’impôt progressif et un large Etat-providence, et peut-être une garantie de l’emploi (un Etat employeur en dernier ressort). Bien sûr, de tels changements peuvent réduire les effets purificateurs de la récession. Je soupçonne toutefois que les gains de productivité peuvent être générés à un moindre coût en utilisant des politiques qui accroissent la concurrence sur les marchés des produits.

En définitive, les récessions sont un aspect inévitable du capitalisme. Avec leurs coûts désormais plus élevés qu’on ne le pensait précédemment, il apparaît encore plus crucial de les atténuer, ce qui nécessite non seulement la politique macroéconomique, mais aussi des changements institutionnels. »

Chris Dillow, « Costs of recession », in Stumbling & Mumbling (blog), 17 juillet 2019. Traduit par Martin Anota