« Devons-nous en faire plus pour répondre à l’urgence climatique ? Il est naturel de se poser cette question. Mais peut-être que nous devons la reformuler et nous demander : pourquoi n’avons-nous pas déjà résolu le problème du changement climatique ?

La science économique a une réponse toute prête : les externalités. Malheureusement, le concept d’externalités est vieux d’un siècle et cela se voit. Donc pourquoi les économistes persistent à utiliser ce vieux terme poussiéreux ? et est-il toujours utile ? Une externalité est un coût (ou parfois un bénéfice) qui n’est supporté ni par l’acheteur, ni par le vendeur du produit. Et si aucun des deux ne supporte le coût, aucun des deux n’a beaucoup de raison de s’en inquiéter.

Ce n’est pas la façon par laquelle un marché fonctionne habituellement. Normalement, quand les entreprises font les produits qui nous entourent, elles sont incitées à limiter chaque source possible de gâchis. Considérons un produit qui nous est familier : une canette de limonade. La première de ces canettes, produite au milieu du vingtième siècle, pesait environ 80 grammes quand elle était vide. Maintenant ces canettes pèsent juste 13 grammes. Le gain en termes de poids signifie que les fabricants de canettes ont à payer moins de matériaux et transport. Cela coûte moins cher de mettre une canette de limonade en face de vous au magasin et cela signifie que soit le fabricant, soit le distributeur peut se faire plus de profit ou que vous payez moins pour la limonade ou souvent les deux. Les canettes sont aussi plus faciles à ouvrir et moins susceptibles de donner un arrière-goût de métal à la boisson.

Un meilleur produit, pour moins d’argent : c’est la façon par laquelle le libre marché tend à fonctionner. Mais il ne fonctionne pas forcément ainsi. Quelle incitation le fabricant d’une boisson a-t-il à réduire les émissions de dioxyde de carbone générées par la fabrication de la boisson, par exemple en utilisant une énergie renouvelable pour raffiner l’aluminium ? Il n’en a guère. Il y serait incité si l’énergie renouvelable était l’énergie la moins chère. Une entreprise cherchant à faire du profit ne s’inquiète guère des émissions de dioxyde de carbone. Et, en tant que consommateur, vous vous préoccupez avant tout du prix et de la qualité de la boisson. Mais en ce qui concerne les émissions de carbone ? Vous n’avez que de vagues inquiétudes en ce qui les concerne. Savez-vous quelles sont les boissons dont la production ne génère que de faibles émissions de carbone ? Même si vous vous en inquiétez, ce n’est pas le cas d’autres consommateurs.

Voilà le problème de l’externalité : un vendeur fait un produit, un consommateur achète le produit, mais les émissions de gaz à effet de serre associées au produit n’inquiètent pas vraiment l’un d’entre eux. Une armée de concepteurs, d’ingénieurs et de technologues peut être déployée pour réduire d’une fraction d’euro le coût de production d’un produit, mais l’idée de réduire les émissions de dioxyde de carbone ne vient qu’après coup.

Donc, que peut-on faire ? Il y a une certaine place pour la pression des consommateurs : nous voulons tous avoir le sentiment que nous faisons quelque chose qui aide. Mais la pression des consommateurs se limite à cela : nous pouvons n’avoir qu’une vague idée des produits qui sont les plus nuisibles à l’environnement ou des améliorations les plus faciles à réaliser. Certains produits attirent beaucoup l’attention, tandis que d’autres échappent aux radars.

Les autorités publiques peuvent directement réguler le marché. Cela peut fonctionner pour certains secteurs larges et évidents de l’économie ; par exemple, nous savons que le charbon est une source d’énergie qui produit un gros volume de dioxyde de carbone, donc les autorités publiques peuvent bannir l’usage des centrales au charbon. Une autre régulation simple consiste à imposer l’usage de voitures ou machines à laver moins énergivores.

Les gouvernements peuvent aussi essayer de financer les innovations qui peuvent résoudre le problème, de la charge des batteries à la lumière à faible consommation d’énergie. Mais ces efforts sont limités. Il est tentant de penser la transition vers une économie propre comme l’équivalent d’un grand bond, mais il faut plutôt y avoir un milliard de petits pas, les pas que chacun d’entre nous fait, plusieurs fois par jour, tout autour du monde, quand nous décidons comment vivre et quoi acheter. Dans chacun de ces milliards de pas il y a une externalité : un coût qui n’est supporté ni par l’acheteur, ni par le vendeur du produit, mais par toute l’humanité aujourd’hui et dans le futur. Et, à moins que nous n’éliminions un milliard de petites externalités, il y a peu de chances que nous résolvions le problème.

En 1920, l’économiste Arthur Pigou tentait une définition formelle d’une externalité et il proposait une façon de la résoudre : une taxe en proportion directe du coût externe. Dans certains cas, la taxe "pigouvienne" est difficile à calculer. Mais, dans le cas des émissions de carbone, il est possible de taxer le charbon, le pétrole et le gaz naturel à l’instant même où ils sont extraits. Cela a été encourageant de voir les coûts des énergies solaire et éolienne chuter rapidement. Une taxe carbone contribuerait à pousser vers l’avant cette révolution de l’énergie propre et dans les décisions que chacun de nous fait chaque jour. »

Tim Harford, « We must pay the cost of carbon if we are to cut it », 19 mars 2022. Traduit par Martin Anota



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