« Les prix à la consommation ont augmenté de 3,7 % entre août 2022 et août 2023. Même si l’inflation dépasse toujours ses niveaux prépandémiques et la cible de 2 % d’inflation de la Réserve fédérale, elle a fortement chuté depuis le pic de 8,9 % (en rythme annualisé) qu’elle a atteint en juin 2022, la plus forte chute qui ait été enregistrée en-dehors d’une récession. (…) Qu’est-ce qui explique la décélération abrupte de l’inflation ? Pourquoi le domptage de l’actuel épisode d’inflation n’a-t-il pas impliqué de récession jusqu’à présent ?

Une source d’inflation est le déséquilibre entre le montant que les entreprises, les ménages et le gouvernement désirent dépenser et ce que l’économie peut produire. Suite à la pandémie de Covid-19, les programmes de soutien du gouvernement fédéral ont contribué à une hausse brutale du revenu disponible personnel, ce qui a accrut la demande des ménages en biens et services. Les taux d’intérêt et l’assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale ont aussi soutenu les dépenses en augmentant les prix d’actifs et en réduisant les coûts d’emprunt. Parallèlement, les perturbations des chaînes d’approvisionnement (…) et la chute de trois points de pourcentage du taux d’activité ont réduit la capacité de l’économie à produire les biens et services que les ménages et les entreprises désiraient acheter.

La dissipation des pressions inflationnistes temporaires a contribué à la chute de l’inflation. Suite à la période post-pandémique de croissance rapide alimentée par la relance, la croissance des dépenses de consommation est retournée à sa tendance prépandémique et les dépenses d’investissement du secteur privé ont atteint un plateau. La hausse de 5,25 points de pourcentage du taux des fonds fédéraux au cours des 18 derniers mois a probablement contribué au ralentissement dans ces catégories dépenses sensibles au taux d’intérêt. Le taux d’activité a rebondi et se rapproche de son niveau prépandémique. Les prix des produits de base ont chuté de 8 % depuis juin 2022, ce qui réduit le coût de production de certains biens et services. Et, signe d’un assouplissement des perturbations d’approvisionnement, les coûts de transport containerisé en cargo ont chuté de 85 % depuis leur pic post-pandémique en septembre 2021.

Les anticipations d’inflation importent aussi. Les hausses de prix temporaires peuvent mener à une inflation persistante si elles affectent les anticipations. Quand les prix ne s’ajustent qu’infréquemment, les entreprises vont fixer leurs prix en se basant sur les coûts futurs probables et leurs anticipations de la situation du marché les mois suivants. De même, parce que les salaires ne sont pas négociés fréquemment, les travailleurs vont négocier pour obtenir des hausses de salaires de façon à compenser les hausses du coût de la vie qu’ils anticipent. En conséquence, les hausses de prix peuvent devenir autoréalisatrices et ce qui aurait sinon été une hausse transitoire de l’inflation va persister pour une période plus longue.

Jusqu’à la fin des années 1990, les anticipations d’inflation réagissaient fortement aux variations de l’inflation. Par conséquent, la hausse de l’inflation dans les années 1970 entraîna une révision immédiate, presque de la même ampleur, des prévisions d’inflation à moyen terme (cf. graphique). Le graphique montre le taux d’inflation sur quatre trimestres (…) sur l’axe horizontal et la prévision médiane sur un an tiré du Survey of Professional Forecasters, un indicateur des anticipations d’inflation à moyen terme, sur l’axe vertical. Du premier trimestre 1976 au quatrième trimestre 1998, la pente de la droite de régression implique qu’une hausse d’un point de pourcentage de l’inflation au cours des quatre trimestres précédents amenait les prévisionnistes à réviser leurs anticipations de l’année suivante de 0,8 points de pourcentage en moyenne. Le graphique représente aussi des baisses des anticipations d’inflation dans les années 1980 et 1990 provoquées par les chutes de l’inflation qui suivirent les récessions de 1981-1982 et de 1990-1991.

GRAPHIQUE Inflation observée et anticipée aux Etats-Unis

Kuttner__inflation_anticipations_previsions_Etats-Unis.png

Les anticipations d’inflation sont devenues plus stables après 1999. Sur le graphique, la droite de régression pour la période allant du premier trimestre 1999 au quatrième trimestre 2020 est bien moins pentue que celle de la période antérieure à 1999. La pente indique qu’une hausse d’un point de pourcentage du taux d’inflation entre 1999 et 2020 amenait les prévisionnistes à réviser leurs prévisions de seulement 0,2 points de pourcentage en moyenne. Il y a des éléments empiriques suggérant que les anticipations sont devenues mieux "ancrées" dans le sens où elles sont devenues moins sensibles à l’inflation.

Les anticipations sont restées stables au cours des trois dernières années, malgré la hausse postpandémique de l’inflation. Chose remarquable, les points du graphique qui correspondent à la période allant du premier trimestre 2021 au deuxième trimestre 2023 collent à la ligne de régression de la période allant de 1999 à 2020. Cela suggère que les anticipations d’inflation sont restées bien ancrées depuis la pandémie, malgré le fait que l’inflation ait connu sa plus rapide accélération depuis les années 1970.

L’engagement de la Réserve fédérale à la stabilité des prix peut expliquer pourquoi les anticipations d’inflation sont restées ancrées. Le mandat de la Fed, tel qu’il est stipulé dans le Federal Reserve Act, consiste à rechercher "l’emploi maximal et des prix stables". Jusqu’à assez récemment, cependant, ces objectifs n’avaient pas été explicitement explicités ; il n'y avait pas non plus de clarté quant à savoir lequel des deux aurait la priorité sur l’autre. Mais à partir de la fin des années 1980, Alan Greenspan, alors président de la Fed, a indiqué de plus en plus clairement que la Fed donnerait la priorité à la stabilité des prix, puis le comité fédéral d’open market (FOMC) a annoncé explicitement en 2012 une cible de taux d’inflation. On estime que ces changements ont permis de mieux ancrer les anticipations d’inflation et de réduire la persistance de l’inflation.

Une combinaison de chance et de bonnes politiques économiques expliquent le reflux rapide des pressions inflationnistes. La chance a joué dans la mesure où la pandémie de Covid-19 n’a pas laissé de cicatrices permanentes du côté de l’offre de l’économie : les coûts en intrants ont chuté, le taux d’activité a rebondi et les chaînes de valeur se sont réparées. La bonne politique a été la réaffirmation catégorique de la Fed quant à son engagement envers la stabilité des prix. Son engagement semble avoir été suffisamment crédible pour maintenir les anticipations d’inflation ancrées, malgré un délai inhabituellement long entre les premiers signes d’accélération de l’inflation au printemps 2021 et le début du resserrement monétaire en mars 2022. En conséquence, la théorie selon laquelle il ne peut y avoir de désinflation sans souffrance pourrait être moins pertinente que par le passé. Autrement dit, une récession ne s’avère peut-être pas nécessaire pour ramener l’inflation à la cible de 2 % d’inflation de la Fed. »

Kenneth Kuttner, « Taming inflation: No pain no gain? », 20 septembre 2023. Traduit par Martin Anota



« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

« La Fed a-t-elle souvent réussi à faire atterrir en douceur l'économie américaine ? »

« Une désinflation sans récession ? »

« Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ? »

« Pourquoi l’inflation est plus forte aux Etats-Unis que dans les autres pays développés ? »

« Pourquoi l'inflation est-elle si faible et stable ? »