« Ce mois de novembre, cela fera dix ans que le 18ème comité central du Parti communiste chinois a tenu son Troisième Plenum quinquennal. Cette réunion avait fixé un ensemble de réformes visant à soutenir le taux de croissance national. Mais ces réformes n’ont pas été mises en œuvre, ce qui contribue au ralentissement de l’économie.

Le déclin de la croissance chinois


Il y a dix ans, en 2013, une simple extrapolation du différentiel de taux de croissance entre la Chine et les Etats-Unis suggérait que la deuxième économie mondiale dépasserait d’ici 2021 la première (quand les PIB sont comparés en utilisant les taux de change nominaux). Certains estimaient même que le dépassement se produirait en 2019. Ce n’est pas ce qui s’est passé : l’économie américaine est restée bien en avance. Goldman Sachs et d’autres prévoient désormais que le PIB chinois ne rattrapera pas le PIB américain avant 2035. Même si le dépassement se produit, il pourrait n’être que temporaire. On prévoit que l’économie chinoise atteindra un pic au milieu du siècle, à partir duquel le déclin de sa population active dépassera la croissance de sa productivité. Cette significative révision des prévisions de croisement est une indication de l’ampleur des révisions à la baisse de la croissance tendancielle de l’Empire du Milieu depuis 2013.

Certes, le PIB chinois a déjà dépassé le PIB américain si on les mesure en termes de PPA (…). Pour plusieurs raisons, telles que la prévision de la force militaire ou la détermination de la taille des quotas au FMI, la comparaison aux taux de change courants est bien plus importante que la comparaison aux taux PPA.

Il apparaissait probablement inévitable il y a dix ans que l’économie chinoise ralentirait au cours de la décennie suivante, après trois décennies d’une croissance moyenne de 10 % par an, une performance sans précédent à travers le monde. Parmi les principales raisons amenant à prévoir un ralentissement, il y a le rattrapage technologique, les rendements décroissants du capital, le vieillissement de la population, les rendements décroissants de l’exode urbain, une possible trappe à revenu intermédiaire et un simple retour à la moyenne. Mais le ralentissement a été plus sévère qu’on en s’y attendait (même si l’on croit les chiffres officiels) ou que ce qui est nécessaire.

Les promesses de 2013


Les réformes qui furent annoncées au Troisième Plénum de 2013, avec pour date limite de mise en œuvre l’année 2020, étaient raisonnables, que ce soit du point de vue des économistes chinois ou de celui des économistes étrangers. Le rôle de l’Etat dans l’économie devait être réduit et le marché devenir la "force décisive dans l’allocation des ressources". L’importance des entreprises publiques dans l’économie devait diminuer relativement à l’importance des entreprises privées. Par exemple, les investisseurs privés devaient avoir la possibilité de détenir une plus grande part du capital des entreprises publiques et ces dernières devaient verser une plus grande part de leurs profits à leurs propriétaires sous forme de dividendes. Le gouvernement devait simplifier les procédures d’approbation, indiquer explicitement quels secteurs resteraient sous son contrôle et déréglementer les prix de l’énergie et d’autres intrants que les entreprises achètent aux services publics (donc réduire une forme de subventions aux entreprises publiques).

Le système financier devait être libéralisé, permettant une plus grande mobilité transfrontalière des capitaux. Les résidents ruraux devaient bénéficier d’un meilleur respect des droits de propriété foncière, leur donnant le droit de posséder et de vendre leur propriété et de ne plus être exposés au risque de se la faire confisquer par les responsables locaux, qui exproprient parfois les terres pour construire des tours d’immeubles inutiles. Le système du hukou devait être réformé de façon à permettre aux nouveaux arrivants en ville d’accéder aux mêmes services publics, notamment de santé et d’éducation, que les résidents de longue date. La désastreuse politique de l’enfant unique devait être éliminée. L’économie devait être moins dépendante de l’investissement et des exportations et reposer davantage sur la consommation des ménages. L’environnement devait être nettoyé.

Des réformes annulées


Quelques-unes de ces réformes ont été poursuivies au cours des dix années qui ont suivi. Certains progrès avaient été réalisés concernant l’environnement. La politique de l’enfant unique a été abandonnée (même si les familles sont toujours limitées à trois enfants). Il y a eu un rééquilibrage vers la consommation domestique, par opposition à la dépendance excessive à la demande extérieure. C’est ce changement qu’implique l’expression "circulation duale" adoptée en 2020. La force la plus fondamentale derrière la moindre importance du commerce extérieur a été une suite d’événements fortuits : la guerre commerciale de Trump, la pandémie de Covid-19, l’extension excessive des chaînes de valeur internationales et le déclin général des relations avec les Etats-Unis et leurs alliés.

Mais la plupart des réformes annoncées en 2013 n’ont pas été adoptées. En fait, les réformes adoptées depuis sont allées à l’opposé. Cela contribue à expliquer pourquoi la croissance ralentit. Le rôle de l’Etat dans l’économie s’est accru relativement au secteur privé. Par exemple, le flux de prêts accordés aux entreprises publiques a augmenté après 2013, tandis que la part de prêts allant aux entreprises privées a chuté. Or la productivité tend à être plus élevée dans les entreprises privées que dans les entreprises publiques, donc la plus grande importance des entreprises publiques est l’une des raisons expliquant pourquoi la croissance de la productivité a ralenti à partir de 2013. (...)

L’absence de relance macroéconomique en 2023


Si le gouvernement chinois a élargi son rôle dans les politiques microéconomiques et structurelles depuis 2013, son inclination à suivre la politique macroéconomique active s’est par contre érodée. Durant les treize premières années de ce siècle, les autorités chinoises ont fait un bon usage contracyclique des politiques monétaire et budgétaire. La Banque populaire de Chine a répondu de façon appropriée à la surchauffe de 2007-2008, en relevant les taux d’intérêt et en resserrant les exigences en réserves imposées aux banques et les ratios prêts-valeur du crédit hypothécaire, ce qui a permis de réduire l’inflation. Elle le fit de nouveau en 2010-2011. Entre ces deux périodes de surchauffe, les politiques monétaire et macroprudentielle avaient été assouplies en 2008-2009 en réponse à la crise financière mondiale. En même temps, le gouvernement entreprit une hausse keynésienne des dépenses. En conséquence, la Chine s’est rapidement remise de la récession.

En 2022-2023, la production a chuté sous la trajectoire ralentie de la production potentielle, en raison des effets récessifs de l’éclatement d’une bulle immobilière et de la politique zéro-Covid. Pourtant, les politiques monétaire et budgétaire n’ont pas répondu à la plus récente récession avec la même habileté contracyclique dont elles ont fait preuve lors des précédentes récessions. En d’autres termes, l’économie est actuellement déprimée à la fois par l’échec dans la mise en œuvre des politiques structurelles et par l’échec dans l’adoption d’une politique contracyclique.

Comment peut-on expliquer le contraste entre, d’un côté, la récente méfiance du gouvernement chinois vis-à-vis de la relance et, d’un autre côté, du plus grand rôle qu’il joue dans la structure de l’économie ? (…) L’essentiel des dépenses de 2008-2009 et d’autres expansions passées est provenue des gouvernements locaux, qui ne sont pas totalement sous le contrôle du gouvernement central. En outre, notons qu’une façon naturelle de stimuler l’économie aurait été de réaliser des transferts de façon à accroître le revenu disponible des ménages, ce qui stimulerait leur consommation, mais cela aurait pour effet d’accroître le rôle du secteur privé, ce qui n’est pas la préférence révélée du gouvernement chinois.

Finalement, il y a une vraie tension entre les rôles du marché et du gouvernement. La libération financière s’est interrompue en partie en réaction à l’instabilité financière, notamment le krach boursier de juin 2015, mais aussi pour empêcher une sortie nette des capitaux et la dépréciation du yen. Cette dernière commença fin 2014 et perturba les marchés des changes en août 2015.

Politique chinoise


Si l’inversion des réformes de 2013 a ralenti la croissance économique, pourquoi le Président Xi Jinping a-t-il choisi ce chemin ? Deng Xiaoping, le dirigeant chinois de 1978 à 1989, avait fait de l’enrichissement la priorité nationale, ce qui fut le cas les quarante années qui suivirent. Le Troisième Plénum de 2013 ne constitue pas l’ascension de la pensée de Xi Jinping, même s’il avait déjà pris ses fonctions. Cette ascension eu lieu en 2017, quand il consolida son pouvoir. On dit que Xi s’inspire davantage de Mao Zedong que de Deng. On disait que le gouvernement chinois s’engageait à délivrer une prospérité économique croissante pour garantir le soutien de la population à un régime répressif, mais, pour Xi, c’est l’inverse : le contrôle politique par le Parti communiste chinois prime sur l’économie.

Ce mois ne marque pas le dixième anniversaire d’un tournant décisif en Chine vers les réformes de marchés. C’est plutôt le dixième anniversaire de leur zénith. »

Jeffrey Frankel, « China’s great leap backward », in Econbrowser (blog), octobre 2023. Traduit par Martin Anota



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