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Tag - Lars Svensson

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samedi 18 juin 2016

Lars Svensson, la politique monétaire et la stabilité financière



« Lars E.O. Svensson, professeur au département d’économie de l’École de commerce de Stockholm (…) discute de ses expériences au FMI à Washington et de ses idées relatives à la politique monétaire et macroprudentielle avec Eugenio Cerutti. (...)

Eugenio Cerutti : Sur quels sujets avez-vous porté votre attention durant votre passage au FMI en tant que chercheur invité ?

Lars Svensson : Mes principaux intérêts et travaux durant cette période portèrent sur la politique monétaire, la stabilité financière, la politique macroprudentielle et les divers liens entre elles. Je travaille depuis longtemps sur ces sujets. (…) J’ai parlé de l’expérience suédoise de l’utilisation d’une politique monétaire "allant à contre-courant" (leaning against the wind, qui consiste à resserrer la politique monétaire lorsqu’une expansion du crédit semble être excessive et alimenter une bulle spéculative) et à propos de la politique macroprudentielle telle qu’elle est menée en Suède. Plus généralement, j’ai travaillé sur l’analyse coûts-bénéfices d’une politique monétaire allant à contre-courant et la relation entre la politique monétaire, la stabilité financière et la politique macroprudentielle. (…) Ce sujet est controversé et la Banque des Règlements Internationaux (BRI) a cherché à imposer agressivement sa conclusion selon laquelle on doit presque toujours avoir des taux directeurs plus élevés en raison d’inquiétudes relatives à la stabilité financière. Cette solution est toutefois très controversée, car si ses coûts (notamment la hausse du chômage et le ralentissement de l’inflation qu’elle entraîne) sont certains, ses bénéfices sont incertains. (…)

Eugenio Cerutti : Pensez-vous que les politiques macroprudentielles puissent fonctionner ? Sous quelles conditions ?

Lars Svensson : Je suis définitivement persuadé que les politiques macroprudentielles peuvent fonctionner. D’une certaine façon, elles doivent fonctionner, parce qu’en définitive c’est la seule manière dont nous disposons pour être certains d’atteindre et de maintenir la stabilité financière. Bill White, un économiste de la BRI, avait raison lorsqu’il disait que la stabilité des prix n’implique pas forcément une stabilité financière, mais il a eu tort en suggérant que la politique du taux directeur suffit pour assurer la stabilité financière. Vous avez besoin de la politique macroprudentielle. Il y a de plus en plus de preuves empiriques dans plusieurs pays démontrant que les politiques macroprudentielles ont des effets et qu’elles peuvent fonctionner ; elles peuvent assurer que le système financier soit suffisamment résilient, que les banques et autres prêteurs aient suffisamment de capital et de liquidité et que les ménages et autres emprunteurs aient une capacité suffisante pour absorber des pertes et pour rembourser leur dette. Il faut bien sûr plus d’études, mais il y a de plus en plus de preuves empiriques montrant que les politiques macroprudentielles fonctionnent.

Eugenio Cerutti : Dans quel scénario la politique monétaire peut-elle avoir un rôle en allant à contre-courant ?

Lars Svensson : Je pense qu’il est difficile de considérer que la politique monétaire ait un rôle à jouer dans la stabilité financière en allant à contre-courant. D’après les études actuelles (…), les preuves empiriques suggèrent que les coûts sont bien plus élevés que les bénéfices. Si vous resserrez la politique monétaire, vous savez que l’inflation devient plus faible et que le chômage s’aggrave. C’est un coût. Le bénéfice possible peut être une plus faible probabilité ou sévérité de crise. Ce pourrait être les deux bénéfices associés à un resserrement de la politique monétaire. Mais lorsque l’on voit les canaux et estimations empiriques, l’impact de la politique monétaire sur la probabilité ou sévérité d’une crise est trop faible pour que les bénéfices dépassent les coûts. Mon document de travail pour le FMI (n° 16/03) montre que, d’après les estimations empiriques existantes, les coûts excèdent les bénéfices de façon substantielle, même si la politique monétaire n’est pas neutre et affecte de façon permanente la dette réelle. En outre, une politique macroprudentielle moins efficace et généralement un boom du crédit, avec par conséquent une plus grande probabilité, une plus grande sévérité et une plus grande durée de crise, accroissent en fait les coûts d’une politique allant à contre-courant plus que les bénéfices, ce qui plaide donc contre l’idée d’utiliser une politique monétaire allant à contre-courant. En d’autres mots, la stabilité des prix ne peut permettre d’atteindre la stabilité financière et la politique de taux directeur ne peut atteindre la stabilité financière. Jusqu’à présent, il semble être illusoire de penser que la politique monétaire puisse beaucoup contribuer à la stabilité financière. Il y a, en pratique, aucune autre possibilité que celle d’utiliser la politique macroprudentielle pour atteindre et maintenir la stabilité financière.

Eugenio Cerutti : A quel point les pays peuvent-ils s’appuyer sur la politique monétaire pour accélérer la reprise suite à la crise financière mondiale ?

Lars Svensson : Je pense que la politique monétaire peut en faire davantage aux Etats-Unis, au Japon et dans la zone euro. On peut davantage pousser les taux directeurs en territoire négatif et on peut éviter les relèvements prématurés des taux directeurs. En particulier dans la zone euro, la politique monétaire peut et doit en faire plus. Bien sûr, il y a des problèmes particuliers dans la zone euro. Il y a une résistance et une opposition au sein du conseil des gouverneurs vis-à-vis d’un nouvel assouplissement de la politique monétaire. Les banques n’ont pas été aussi bien nettoyées qu’aux Etats-Unis et cela peut freiner la reprise. La politique budgétaire peut en faire plus. Il y a certains pays où l’endettement public est insoutenable, mais dans d’autres, la politique budgétaire peut assurément être davantage assouplie. En termes de politique monétaire, il y a toujours des choses qui n’ont pas été tentées, telles que le financement monétaire des dépenses publiques. Le financement monétaire des dépenses publiques doit réellement être efficace pour stimuler la demande nominale agrégée et par conséquent pour stimuler à la fois l’activité réelle et l’inflation. (…) »

FMI, « Monetary policy, financial stability, and life at the IMF », entretien avec Lars Svensson, juin 2016. Traduit par Martin Anota



Autour des travaux de Lars Svensson...

« Du danger de laisser l’inflation dévier de sa cible »

« La tumultueuse expérience suédoise du forward guidance »

lundi 15 décembre 2014

Eloge des macroéconomistes (ou du moins de l’un d’entre eux)

« Le titre de mon billet devrait en énerver plus d’un. La crise financière n’a-t-elle pas démontré que la macroéconomie dominante était désespérément erronée, que la Grande Modération (une quinzaine d’années de production et d’inflation relativement stables) qui précéda la crise ne fut au mieux qu’illusion ou, au pire, une cause de la crise, et que les politiques basées sur des équations et anticipations rationnelles étaient totalement discréditées ?

L’un des architectes de la macroéconomie dominante est Lars Svensson. Il a écrit plusieurs des articles clés sur le ciblage d’inflation (inflation targeting) en utilisant les équations et les anticipations rationnelles. C’est probablement pour cette raison qu’il fut un membre du comité de politique monétaire suédois entre 2007 et 2013. Au milieu de l’année 2009, les taux d’intérêt de court terme étaient en Suède, comme ailleurs, proches de leur borne inférieure zéro (zero lower bound), en l’occurrence à 0,25 %. Mais au milieu de l’année 2010, ils commencèrent à s’élever, pour atteindre 2 % à la fin de l’année 2011. Si la banque centrale a resserré sa politique monétaire, c’est avant tout parce qu’elle craignait que les consommateurs suédois ne s’endettent de trop.

Svensson s’est férocement et publiquement opposé à ces hausses de taux et finit par quitter la banque centrale. Il affirma que la demande globale était encore très insuffisante et que, dans un tel cadre, une hausse des taux ne serait que source de déflation, poussant le taux d’inflation bien en-deçà de la cible poursuivie par la banque centrale, en l’occurrence 2 %. A la fin de l’année 2012, l’inflation est en effet tombée à zéro, et depuis lors, l’inflation mensuelle est plus souvent été négative que positive. En septembre 2014, le taux d’inflation était de -0,4 %. Fin octobre, la banque centrale suédoise ramena son taux directeur à zéro.

D’accord, un éminent macroéconomiste a fait une bonne prévision. Beaucoup se sont trompés dans leurs prévisions. Mais pourquoi est-ce si important d’en parler ? Supposons que vous preniez sérieusement mon premier paragraphe. La Grande Modération s’explique peut-être par le fait que les banques centrales ont adopté une cible explicite pour l’inflation et qu’elles ont fait varier leurs taux directeurs de manière à atteindre cette cible. Donc, si le produit de cette politique ne fut qu’un simulacre ou pire, qu’elle soit à l’origine la crise financière, les banques centrales ne devraient pas trop s’inquiéter à l’idée de l’abandonner. Elles ne devraient certainement ne pas s’inquiéter si le taux d’inflation s’écarte de sa cible en raison d’inquiétudes à propos de la santé financière de l’économie. C’est ce que fit exactement la banque centrale suédoise.

Maintenant, la Suède est en déflation et les taux d’intérêt sont revenus à zéro. Dévier de ce que les macroéconomistes mainstream conseillent en général (et ce qu’un macroéconomiste en particulier recommande) s’est révélé être une erreur bien coûteuse. (Svensson estime qu’elle a coûté 60.000 emplois.) Donc peut-être que l’histoire de la crise financière est un peu plus nuancée. (…) Le talon d’Achille fut que la politique monétaire perdit en efficacité lorsque les taux nominaux butèrent sur leur borne zéro, mais plusieurs macroéconomistes mainstream avaient déjà soulevé cette éventualité et souligné ses implications avant qu’elle ne survienne en 2009. Au Royaume-Uni (et très certainement ailleurs aussi), ce fut les politiciens et les gouverneurs des banques centrales qui ne prirent pas sérieusement au sérieux les conséquences de cette éventualité. La crise financière a avant tout montré que la régulation financière n’était pas suffisamment stricte (et les outils macro prudentiels de la politique monétaire insuffisamment développés) et non qu’il fallait réécrire comment fixer les taux d’intérêt.

Je ne suis certainement pas en train d’affirmer que la macroéconomie mainstream est sans faille, comme le savent déjà mes lecteurs réguliers. Cependant il est important de reconnaître les progrès de la macroéconomie aussi bien que ses fautes. Si nous échouons à le faire, alors les banques centrales peuvent commencer à faire des choses stupides, qui ont de lourds coûts en termes de bien-être pour les citoyens. Il peut sembler incongru de claironner pour sa propre profession, mais je ne suis pas sûr que d’autres l’auraient fait. »

Simon Wren-Lewis, « In praise of macroeconomists (or at least one of them) », in Mainly Macro (blog), 30 octobre 2014. Traduit par Martin Anota



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