germany-unemployment-economy_odd006_19054269.jpg

« Le chômage allemand a atteint un pic en mars 2005 en atteignant alors 12,1 % (selon les statistiques de l'OCDE), puis il a diminué plus ou moins depuis progressivement, avec seulement une hausse limitée pendant la Grande Récession. Pour illustrer cette évolution, voici un graphique tiré de FRED, le site toujours très utile de la Réserve fédérale de Saint Louis. Comment Allemagne, la quatrième plus grande économie au monde, a-t-elle fait ? Y a-t-il des leçons à en tirer ?

GRAPHIQUE Taux de chômage allemand (en %)

Allemagne__taux_de_chomage__source_OCDE_FRED.png

Il existe trois grandes explications qui ont été avancées pour expliquer la remarquable performance du marché du travail allemand pendant la Grande Récession : 1) la décentralisation des négociations salariales en Allemagne depuis les années quatre-vingt-dix, 2) les "réformes Hartz" mises en œuvre dans le milieu des années deux mille et 3) les répercussions que l’adoption de l’euro ont pu avoir sur la situation économique de l’Allemagne.

Le premier point de vue (donnant un rôle clé à la décentralisation des négociations salariales en Allemagne) est joliment présenté dans l’article "From sick man of Europe to economic superstar: Germany’s resurgent economy" écrit de Christian Dustmann, Bernd Fitzenberger , Uta Schönberg et Alexandra Spitz- Oener et publié dans le numéro d'hiver 2014 du Journal of Economic Perspectives. (Petite révélation : je suis le rédacteur en chef de cette revue depuis 1987.) Dustman et ses coauteurs font débuter leur histoire au début des années quatre-vingt-dix. L'Allemagne subissait alors le choc puissant de la réunification, au terme de laquelle une Allemagne de l'Ouest aux salaires plus élevés se retrouva dans le même pays qu’une Allemagne de l'Est aux faibles salaires. En outre, la chute de l'Union soviétique offrit aussi aux entreprises allemandes un accès privilégié aux produits fabriqués par un certain nombre de travailleurs à bas salaires d'Europe orientale, dont beaucoup avaient des liens déjà éducationnels, économiques ou culturels avec l'Allemagne. L’industrie allemande a commencé une approche "usine Europe" en construisant des chaînes de valeur internationales dans les pays de l'Europe de l'Est, ainsi que dans le reste du monde.

Sous ces pressions, les syndicats allemands au niveau des secteurs et de chaque entreprise ont fait preuve d’une considérable flexibilité. Le nombre de travailleurs allemands couverts par les syndicats a décliné : "De 1995 à 2008, la part des salariés couverts par les conventions collectives sectorielles est passée de 75 à 56 %, tandis que la part couverte par des accords d’entreprise est passée de 10,5 à 9 %. "Les salaires ont augmenté plus lentement que la productivité à partir d'environ 1994, les coûts salariaux de l'Allemagne ont augmenté plus lentement que dans les autres pays européens ou qu’aux États-Unis En outre, les inégalités salariales se sont accrues en Allemagne. Voici un graphique montrant la croissance des salaires aux 15ème, 50ème et 85ème centiles des salaires :

GRAPHIQUE Croissance des salaires aux 15ème, 50ème et 85ème centiles en Allemagne de l'Ouest

Allemagne_de_l__Ouest__variation_salaires.png

Dustmann, Fitzenberger, Schönberg et Spitz-Oener affirment que les institutions du marché du travail en Allemagne (qui mettent l’accent sur les négociations consensuelles au niveau de l'entreprise et au niveau du secteur) se sont révélées être beaucoup plus résistantes que les institutions du marché du travail dans d'autres pays comme la France ou l'Italie, où les salaires se négocient au niveau national avec les syndicats. Un autre signe de la flexibilité du marché du travail allemand est l’absence de salaire minimum.

Une deuxième série d'explications à la vigoureuse performance du marché du travail allemand au cours des dernières années met l’accent sur les "réformes Hartz" qui ont été menées entre 2003 et 2005. Ulf Rinne et Klaus F. Zimmermann offrent une belle présentation de ce point de vue dans leur article "Is Germany the north star of labor market policy?" publié dans le numéro de décembre 2013 de l’Economic Review du FMI. (…) Ils résument les réformes ainsi : "D'abord, les réformes réorganisèrent les services d'emploi existants et les mesures politiques qui leur sont connexes. Surtout, les allocations-chômage et l'assistance sociale ont été restructurées et une prestation forfaitaire sous condition de ressources a remplacé la prestation liée à la rémunération, l'assistance chômage à long terme. Deuxièmement, une réduction significative des prestations de chômage de longue durée (en termes de montant et de durée) et un resserrement des activités de surveillance ont été entreprises pour stimuler l'offre de travail en fournissant aux chômeurs plus d’incitations à (re)prendre un emploi. Troisièmement, la déréglementation massive des contrats à durée déterminée, du travail intérimaire et du travail à temps partiel a été entreprise afin de stimuler la demande de travail. La mise en œuvre des réformes dans ces trois domaines a été associée à un mandat d'évaluation qui analyse systématiquement l'efficacité et l'efficience des différentes mesures de la politiques actives du marché du travail."

Pour dire tout cela un peu plus crûment, ce fut un traitement lourd. Les options de retraite anticipée ont été éliminées. Les prestations de chômage étaient limitées en éligibilité, taille et durée. Par exemple, les chômeurs devaient périodiquement prouver qu’ils ont vraiment recherché un emploi. Et n'oubliez pas que l'Allemagne a mis en œuvre nombre de ces politiques tout autour de 2005, c’est-à-dire lorsque son économie subissait une profonde récession qui amena son taux de chômage à un pic. Pendant la récession, un certain nombre d'entreprises allemandes ont évité les licenciements en utilisant la flexibilité des réformes Hartz pour réduire les heures de travail et les salaires.

La troisième série d'explications pour le faible taux de chômage de l'Allemagne met l'accent sur la création de l'euro et la dynamique des excédents commerciaux allemands qui en a résulté. Le graphique montre l'excédent commercial de l'Allemagne. Notez qu’autour de 2001, lorsque la mise en place de l’euro se finalise, l'excédent commercial de l'Allemagne décolle. (…) La Chine et l'Allemagne après 2000 avaient des taux de change à un niveau suffisamment bas pour générer des excédents commerciaux importants et croissants.

GRAPHIQUE Solde commercial de l'Allemagne (en milliards d'euros)

Allemagne__solde__excedent_de_compte_courant__source_OCDE_FRED.png

Mais notons que le taux de chômage de l'Allemagne est en chute depuis 2000, même si les excédents commerciaux sont en hausse. Puis les excédents commerciaux ont décliné après 2008, lorsque la crise financière mondiale a éclaté, et ils ne sont pas encore revenus à leur pic. C'est à un moment où le taux de chômage allemand est en baisse. En bref, les déficits et excédents commerciaux hors normes peuvent conduire à des problèmes économiques de toutes sortes, mais les déséquilibres commerciaux ne sont souvent pas étroitement liés avec les taux de chômage. (Dans l'économie américaine, par exemple, les déficits commerciaux étaient assez élevés lorsque le chômage était très faible lorsque la bulle immobilière atteignait son maximum en 2006, mais depuis la Grande Récession les déficits commerciaux américains se sont réduits, tandis que le taux de chômage s’est élevé.)

Alors que les universitaires et les responsables politiques ne s’accordent toujours pas sur les raisons de la formidable performance allemande dans la réduction du chômage au cours des dernières années, je vais noter qu'aucune des réponses possibles ne semble facile à mettre en œuvre. Maintenir une croissance des salaires inférieure à celle de la productivité, donc réduire ses coûts de main-d'œuvre par rapport à ceux des concurrents, n'est pas facile. Réorganiser l’industrie autour de chaînes de valeur mondiales qui incluent des fournisseurs situés dans des économies à bas salaires n'est pas facile. L’accroissement des inégalités salariales n'est pas facile à faire accepter. Les "réformes structurelles du marché du travail" qui comprennent le durcissement de la retraite anticipée et lu régime d’assurance-chômage ne sont pas faciles. Les débats de politique économique aux États-Unis suggèrent parfois que le gouvernement peut facilement "créer des emplois" en augmentant ses dépenses ou en diminuant ou en maintenant des taux d'intérêt à un faible niveau. Mais des solutions réelles et durables pour réduire le chômage et le maintenir faible ne sont pas aussi faciles à mettre en œuvre. »

Timothy Taylor, « A German employment miracle narrative », in Conversable Economist (blog), 14 février. Traduit par Martin Anota


aller plus loin… lire « Adopter le modèle allemand ou sauver l’euro » et « L’Allemagne contre la zone euro »