« Très peu de banques centrales s’abstiennent d’intervenir sur le marché des changes pour stabiliser leur taux de change ou l’orienter vers la direction désirée. Même lorsqu’elles n’interviennent pas directement, leurs politiques de taux d’intérêt sont souvent décidées de façon à être compatibles avec les objectifs de taux de change. Par conséquent, des devises réellement flottantes sont relativement rares. Cela a d’importantes implications pour les autorités américaines, dans la mesure où elles sont confrontées à une forte appréciation du taux de change du dollar.

Lorsqu’une perte de confiance (potentielle ou effective) menace d’entraîner de larges sorties de capitaux, l’intervention prend habituellement la forme de ventes de réserves de change pour atténuer l’amplitude ou le rythme de la dépréciation. Les pertes actuelles de réserves que connaît la Banque populaire de Chine en sont un bon exemple récent. La dernière intervention des Etats-Unis sur les marchés des changes (alors même que ses interventions passées étaient déjà rares) pour soutenir un faible dollar remonte à la période 1992-1995.

A l’autre bout du spectre, les inquiétudes à propos de la moindre compétitivité internationale en conséquence d’une significative appréciation de la devise peuvent être encore plus communes parmi les responsables politiques et les entreprises orientées à l’exportation. Les inquiétudes à propos des devises surévaluées ont été au cœur des discussions de politique économique dans plusieurs pays émergents, même récemment, comme en 2013, et des efforts soutenus pour aller à contre-courant de l’appréciation se sont traduits par une accumulation de réserves historique pour plusieurs banques centrales.

Les craintes d’une forte devise ne sont absolument pas limitées aux pays émergents. Comme la crise dans la périphérie de la zone euro s’aggravait et que la valeur de l’euro plongeait relativement au franc suisse, la banque centrale de Suisse, évoquant la menace d’un franc fort pour l’économie domestique, ancra sa monnaie en septembre 2011. Elle plafonna l’appréciation du franc suisse vis-à-vis de l’euro, parce que la banque centrale se tenait prête à acheter des devises étrangères autant qu’il le faudrait. Après une hausse spectaculaire des réserves, le plafond a finalement été abandonné en décembre 2014 et remplacé par une politique de taux d’intérêt négatifs.

Les Etats-Unis n’ont pas été épargnés par de telles inquiétudes. Au cours de la première moitié des années quatre-vingt, suite à l’énorme hausse des taux d’intérêt impulsée par la Réserve fédérale, le dollar américain s’est apprécié de près de 45 % vis-à-vis des autres devises majeures. En conséquence du fort dollar, les Etats-Unis ont perdu en termes de compétitivité sur les marchés internationaux et le solde commercial s’est retrouvé à des niveaux historiquement faibles en 1985.

Ces développements ouvrent la voie aux Accords du Plaza, que Jeffrey Frankel a décrits comme étant la plus importante initiative sur le marché des changes depuis que Richard Nixon ait laissé flotter le dollar en 1973. A l’hôtel Plaza de New York, le 22 septembre 1985, les responsables officiels des Etats-Unis et leurs homologues des plus grandes économies au monde s’accordèrent pour prendre une action concertée pour stopper et inverser l’appréciation du dollar. C’était un accord précisément parce qu’il impliquait une coordination internationale en matière de politique économique entre les principaux acteurs, dont les déclarations publiques s’accompagnèrent d’une intervention organisée sur les marchés (ventes de dollars américains).

Le dollar s’est en effet déprécié, bien que l’on débatte toujours de l’ampleur à laquelle cette dépréciation peut être attribuée à l’accord du Plaza. Ce qui est certain est la pertinence du débat aujourd’hui.

Le dollar s’est apprécié de plus de 35 % vis-à-vis d’un panier de devises depuis son point bas en juillet 2011. Alors que l’appréciation du dollar a été en partie attribuée à la victoire inattendue de Donald Trump lors des dernières élections présidentielles aux Etats-Unis, elle reflète aussi le fait que la politique monétaire américaine se resserre dans un contexte où les banques centrales de la zone euro et du Japon continuent d’assouplirent leur politique monétaire.

Trump a fait campagne en promettant de ramener l’industrie américaine, même si cela requiert d’instaurer des droits douaniers et de démanteler les accords commerciaux existants. Pourtant, un dollar fort est un majeur obstacle à la réalisation de sa promesse. Peut-être que les marchés financiers vont commencer à percevoir le dollar comme étant surévalué et finir plutôt par vendre la devise. Sinon, est-ce que cela sera l’occasion d’un nouvel accord du même type que celui du Plaza ? Surtout, qui sera d’accord pour coopérer ?

Mis à part la forte appréciation du dollar américain, il y a peu de similarités entre l’environnement actuel et celui qui prévalait en 1985. Alors, la croissance du PIB réel japonais tournait autour de 6 %. Aujourd’hui, une appréciation soutenue du yen ferait probablement dérailler les modestes progrès que la Banque du Japon a obtenus dans le relèvement de l’inflation et des anticipations d’inflation. Avec une dette publique autour de 250 % du PIB, une plus forte inflation pourrait contribuer à résoudre le problème de surplomb de dette auquel le Japon fait face.

De son côté, l’Allemagne, avec ses excédents de compte courant historiquement élevés (dépassant 8 % du PIB), pourrait résister à une appréciation. Mais, à la différence de 1985, dans un scénario où l’euro doit faire face à ses propres défis, ce ne sera pas la Bundesbank qui sera assise à la table des négociations en 2017. Du point de vue de la BCE, qui fait face à une autre vague de turbulences dans la périphérie (principalement en Italie, où la fragilité du système bancaire alimente les sorties de capitaux), la faiblesse de l’euro est un cadeau du ciel.

Cela laisse la Chine, qui constitue aujourd’hui la deuxième plus grande économie au monde et qui n’avait pas participé à l’accord de 1985, pour supporter le poids d’une dépréciation du dollar. Mais le récent resserrement du contrôle des capitaux en Chine met en évidence les efforts que ce pays met en oeuvre pour empêcher le renminbi de se déprécier davantage. En outre, étant donné l’impact négatif du fort yen post-Plaza sur les subséquentes performances économiques du Japon, il n’est pas certain que la Chine pense avoir intérêt à considérer qu’un plus fort renminbi soit un risque à prendre.

En d’autres mots, alors qu’il est probable que le Trésor voudra inverser l’appréciation du dollar, il est également probable qu’aucune autre économie majeure ne l’aide à le faire. Si le dollar fort conduit à une intervention sur le marché des changes en 2017, le scénario le plus probable est celui dans lequel les Etats-Unis interviendront seuls. »

Carmen Reinhart, « Will dollar strength trigger intervention in 2017? », 30 décembre 2016. Traduit par Martin Anota


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