« Les arguments en faveur d’un relèvement de la cible d’inflation sont simples, une fois que vous comprenez deux choses. Premièrement, l’instrument de politique monétaire le plus efficace et fiable consiste à influencer le taux d’intérêt réel dans l’économie, c’est-à-dire le taux d’intérêt nominal moins l’inflation anticipée. Deuxièmement, les taux d’intérêt nominaux de court terme ne peuvent aller en-deçà d’un plancher proche de zéro (la borne inférieure zéro, zero lower bound). Combinons ces deux choses et vous vous retrouvez avec un sévère problème dans une récession, parce que pour combattre la récession les taux d’intérêt réels doivent aller en territoire négatif, mais la borne inférieure limite l’ampleur à laquelle ils peuvent s’enfoncer en territoire négatif. Cela signifie que la politique monétaire seule peut ne pas être capable de sortir l'économie d’une récession.

Relever la cible d’inflation réduit la probabilité que les taux d’intérêt se retrouvent à leur borne inférieure zéro. Pour comprendre pourquoi, considérez tout d’abord le cas où le taux d’intérêt réel de long terme (ce que les économistes appellent souvent le "taux d’intérêt d’équilibre" ou "naturel") est positif. Disons qu’il est de 2 %. Si la cible d’inflation est de 2 % et la borne inférieure est de 0 %, cela signifie qu’en temps normal le taux d’intérêt nominal moyen est de 4 % (2 % de cible d’inflation + 2 % pour obtenir un taux d’intérêt réel). Cela signifie que les taux d’intérêt nominaux peuvent être réduits au maximum de 4 % si l’économie faiblit. Cela peut suffire pour un léger ralentissement, mais cela peut ne pas suffire pour une récession sévère comme celle que nous avons subie en 2008. Cependant si la cible d’inflation était de 4 %, les taux nominaux pourraient au maximum être réduits de 6 %. Cela permet de faire face à de sévères récessions (mais, j'avoue, peut-être aux plus sévères qui soient).

Pourquoi plusieurs économistes affirment aujourd’hui que nous devons relever la cible d’inflation de 2 % à 4 % ? L’un des raisons est qu’ils croient que le taux d’intérêt réel de long terme est aujourd’hui plus faible qu’il ne l’était lorsque les banques centrales adoptèrent la cible de 2 %. (C’est l’idée de la stagnation séculaire.) Si vous reprenez l’arithmétique ci-dessus, vous pouvez saisir pourquoi un taux d’intérêt réel de long terme plus faible va aggraver le problème de la borne inférieure zéro. L’idée est que nous devons maintenant accroître la cible d’inflation pour être certains que nous soyons moins contraints par la borne inférieure zéro à l’avenir.

La question cessa d’être une simple interrogation académique pour devenir une possibilité pratique aux Etats-Unis il y a quelques jours. Lorsqu’on a interrogé par le passé Janet Yellen, la présidente de la Fed, à propos du relèvement de la cible d’inflation, elle a eu tendance à écarter l’idée. Désormais, elle dit que c’est quelque chose que la Fed va étudier à l’avenir et que c’est l’une des plus importantes questions auxquelles font face les banquiers centraux aujourd’hui.

Cela va donner sans aucun doute un nouveau souffle au débat sur le relèvement de la cible d’inflation. Nous sommes dans un territoire d’arbitrage standard ici. Les économistes s’accordent généralement pour dire qu’une cible d’inflation plus élevée va en soi infliger de plus gros coûts à l’économie, mais cela aura pour bénéfice de réduire la fréquence des épisodes de borne inférieure zéro. Mais il y a une alternative bien plus efficace pour surmonter ce dilemme.

Les gouvernements ont un autre instrument qui a un impact assez prévisible sur la demande agrégée et qui peut être utilisé pour combattre une récession : la politique budgétaire (les changements discrétionnaires du niveau d'impôts et des dépenses publiques). Au Royaume-Uni, aujourd’hui, les taux d’intérêt sont contraints par la borne inférieure zéro en partie parce que la politique budgétaire est restrictive (le gouvernement a opté pour l’austérité). Ce serait une meilleure chose d’utiliser cet instrument pour stimuler l’économie lorsqu’elle est en récession plutôt que de relever la cible d’inflation. Pourtant, les banques centrales indépendantes ont découragé les gouvernements d’utiliser la politique budgétaire de cette façon.

Il n’est pas bon que les banques centrales prétendent que c’est quelque chose du ressort des gouvernements et qu’il y a une loi non écrite qui dicte aux banques centrales de rester silencieuses sur de telles choses. En réalité, au Royaume-Uni et dans la zone euro, les banques centrales encouragèrent activement les gouvernements à faire la mauvaise chose avec la politique budgétaire lors de la dernière récession : elles les incitèrent à embrasser l’austérité. S’il y a quelque chose d’inhérent au sein des banques centrales qui les empêche de donner le conseil approprié de cette façon, alors nous devons nous demander d’urgence quels changements apporter aux banques centrales.

Dans une récession, dès que la banque centrale pense que les taux d’intérêt seront contraints par leur borne inférieure, elle doit dire, haut et fort, que la politique budgétaire doit devenir plus expansionniste. En outre, la banque centrale doit dire, haut et fort, que les gouvernements n’ont pas à s’inquiéter de la hausse de la dette et des déficits qu’entraîneraient la récession et toute relance budgétaire qu’ils entreprendraient (…). Ces deux déclarations auraient le mérite d’être exactes.

Bien sûr, les gouvernements vont devoir restaurer la dette aux niveaux désirés à un moment ou à un autre, mais il est possible de le faire bien après que les taux d’intérêt aient quitté la borne inférieure zéro, ce qui permettrait de réduire la dette en minimisant les répercussions sur l’économie. Le but immédiat de la politique budgétaire dans une récession doit consister à laisser les taux d’intérêt s’accroître au-dessus de la borne inférieure zéro le plus tôt possible. Cela vous donne le meilleur résultat macroéconomique qui soit, un meilleur résultat que celui que vous donnera un relèvement de la cible d’inflation. La question la plus importante à laquelle les banquiers centraux font face aujourd’hui est pourquoi ils échouèrent à faire cela depuis 2009.

Maintenant il est possible que, si la démocratie est en mauvaise forme (comme c’est actuellement le cas aux Etats-Unis par exemple), le gouvernement peut ignorer le conseil qu’il reçoit de la part de la banque centrale. Dans ce cas, il est utile de considérer l’idée de donner un certain pouvoir additionnel aux banques centrales pour répliquer une expansion budgétaire, par exemple en s’appuyant sur la monnaie-hélicoptère. Ou il peut être utile de considérer l’idée d’apporter des changements institutionnels qui permettent aux taux d’intérêt nominaux de s’enfoncer en territoire négatif. Ou bien d’accroître la cible d’inflation. Mais avant de faire l’une de ces choses nous devons nous assurer que les banques centrales donneront le bon conseil aux gouvernements quand la prochaine récession viendra. »

Simon Wren-Lewis, « Raising the inflation target », in Mainly Macro (blog), 16 juin 2017. Traduit par Martin Anota



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