« Quand la Réserve fédérale s’inquiète à propos de l’inflation, elle relève ses taux d’intérêt pour ralentir le rythme de la croissance économique. Si la Fed relève beaucoup ses taux d’intérêt, cela peut provoquer une récession, si bien que l’on parle alors d’"atterrissage brutal" (hard landing). Par contre, si la Fed peut relever ses taux d’intérêt juste assez pour ralentir l’économie et réduire l’inflation sans provoquer de récession, on parlera d’"atterrissage en douceur" (soft landing). Mais il n’y a pas de définition officielle pour ce dernier. Le National Bureau of Economic Research (NBER), souvent considéré par les économistes comme l’arbitre quasi officiel de la datation des récessions, ne définit pas les atterrissages brutaux et en douceur. Plusieurs économistes considèrent une légère récession avec une faible hausse du chômage comme "douce", ce que président de la Fed Jay Powell a pu qualifier d’atterrissage "softish".

Les atterrissages en douceur sont l’équivalent du "bol de Boucle d’or" pour les banquiers centraux : suite à un resserrement monétaire, l’économie est juste bien, ni trop chaude (inflationniste), ni trop froide (avec une récession).

Un exemple d’atterrissage brutal


L’inflation était élevée au sortir des années 1960. De nouveaux assouplissements monétaires durant la campagne présidentielle de 1972 et les chocs pétroliers provoqués par le cartel de l’OPEP en 1973 ont poussé l’inflation vers les deux chiffres en 1974. Pour le reste des années 1970, les responsables politiques ont échoué à atténuer l’inflation.

En 1979, le Président Jimmy Carter choisit Paul Volcker pour remplacer William Miller à la tête de la Fed. Volcker était déterminé à baisser l’inflation (alors à 11 % en rythme annuel) et à restaurer la stabilité des prix. De juillet 1980 à janvier 1981, la Fed de Volcker a relevé le taux des fonds fédéraux, le principal taux d’intérêt à court terme de la Fed, à plus de 19 %. Cela a entraîné une récession longue de 16 mois, de juillet 1981 à novembre 1982, au cours de laquelle le taux de chômage a atteint le pic de 10,8 %, soit un atterrissage brutal. Au milieu de l’année 1983, Volcker avait réussi à ramener l’inflation sous les 3 %, préparant le terrain pour plusieurs décennies de bonne croissance avec seulement des interruptions mineures. Les leçons de cet épisode étaient claires selon Volcker : il est crucial de s’attaquer à l’inflation avant qu’elle n’atteigne des niveaux extrêmes et que la population ne révise à la hausse ses anticipations d’inflation.

Un exemple d’atterrissage en douceur


L’exemple classique d’un atterrissage en douceur est le resserrement monétaire opéré sous Alan Greenspan au milieu des années 1990. Au début de l’année 1994, l’économie allait fêter sa troisième année de sa reprise consécutive à la récession de 1990-1991. En février 1994, le taux de chômage chutait rapidement ; il est passé de 7,8 % à 6,6 %. L’indice des prix à la consommation augmentait au rythme annualisé de 2,8 % et le taux des fonds fédéraux était autour des 3 %. Avec l’économie en croissance et le chômage chutant rapidement la Fed craignait une potentielle hausse de l’inflation et elle décida de relever ses taux directeurs de façon préventive. Durant l’année 1994, la Fed releva sept fois ses taux d’intérêt, le ramenant de 3 % à 6 %. Ensuite, elle baissa son taux principal, le taux des fonds fédéraux, trois fois en 1995, quand elle vit que l’économie ralentissait davantage que ce qui s’avérait nécessaire pour empêcher l’inflation d’augmenter.

Les conséquences ont été spectaculaires. Alan Blinder, un ancien membre du comité de la Fed, nota que cela fut "l’atterrissage en douceur parfait qui contribua à faire d’Alan Greenspan une légende parmi les banquiers centraux". La performance économique reste robuste le reste de la décennie : l’inflation était faible et peu volatile, le chômage continua de baisser et la croissance du PIB réel attint en moyenne les 3 % par an. Greenspan nota dans ses Mémoires : "l’atterrissage en douceur de 1995 fut l’un des plus succès de mon mandat dont je suis le plus fier".

Les atterrissages en douceur sont-ils communs ?


La réponse dépend entièrement de la façon par laquelle on définit l’"atterrissage en douceur", un terme pour lequel il n’y a pas de définition qui fasse consensus. L’économiste de Princeton Alan Blinder, un ancien vice-président de la Fed, dit que si le PIB décline de moins de 1 % ou si le NBER ne signale pas de récession dans l’année qui suit un cycle de hausses des taux de la Fed, il considère qu’il y a un atterrissage en douceur. En examinant 11 périodes de hausses des taux de la Fed entre 1965 et 2019, il compte cinq atterrissages en douceur (soft) ou plus ou moins en douceur (softish) (…).

Connaissons-nous un atterrissage en douceur cette fois-ci ?


Peut-être. La Réserve fédérale fait face au pire épisode d’inflation depuis le début des années 1980, des circonstances très différences que celles auxquelles elle faisait face en 1994. Avec l’assouplissement des confinements durant la pandémie de Covid-19 en 2020, les perturbations des chaînes de valeur internationales et les amples relances budgétaire et monétaire, l’inflation a grimpé à un rythme annuel de 10 % au premier trimestre 2021. La Fed a répondu, tardivement, en relevant brutalement ses taux d’intérêt de plus de 5 points de pourcentage à partir de mars 2022. L’inflation a depuis baissé (l’indice des prix à la consommation, qui inclut les prix des produits alimentaires et de l’énergie, volatiles, a atteint le taux de 3,9 % en rythme annuel entre juin et août 2023), pourtant le chômage reste faible selon les standards historiques, atteignant 3,8 % en août 2023, et le PIB a continué d’augmenter à un rythme solide.

En 2022, beaucoup prédisaient qu’une récession se produirait en 2023, mais plus récemment on a moins entendu ces prédictions. Larry Summers, l’ancien secrétaire au Trésor, prévoyant un atterrissage brutal, disait en avril 2022 : "si vous regardez l’histoire, il n’y a jamais eu de moment où l’inflation a été supérieure à 4 % et le chômage inférieur à 5 % sans que nous ne connaissions une récession dans les deux années suivantes". Mais après le rapport sur l’emploi de septembre 2023, qui montre un ralentissement dans l’embauche et des chiffres encourageants pour l’inflation ces derniers mois, il a dit : "je pense toujours que la route vers un atterrissage en douceur est très difficile, mais c’est un pas sur cette route". De leur côté, la secrétaire au Trésor Janet Yellen et Paul Krugman ont affirmé en septembre 2023 que, bien qu’incertaines, il y a plusieurs raisons d’être optimiste, parce que l’inflation a diminué en 2023 sans hausse substantielle du chômage. (…) »

Sam Boocker & David Wessel, « What is a soft landing? », Brookings, 14 septembre 2023. Traduit par Martin Anota



« Quels sont les canaux de transmission de la politique monétaire conventionnelle ? »

« La Fed peut-elle réduire l’inflation sans provoquer de récession ? »

« La Fed a-t-elle souvent réussi à faire atterrir en douceur l'économie américaine ? »

« Une désinflation sans récession ? »

« Comment peut-on expliquer la hausse de l’inflation américaine depuis la pandémie ? »

« Inflation américaine : que nous enseignent les années 1960 ? »