« La croissance économique de la Chine de ces quatre dernières décennies est l’un des plus grands bouleversements mondiaux de ces tous derniers siècles. A partir de 1979, le pays s’est radicalement transformé, passant d’une économie agraire à une économie dominée par les services et l’industrie et la Chine constitue aujourd’hui la plus grande puissance commerciale dans le monde. Cependant, ce "miracle de croissance" a récemment montré des signes d’affaiblissement. Même avant la pandémie de Covid-19, la croissance ralentissait en raison de vents contraires démographiques, d’un ralentissement du secteur immobilier et d’un retour à une gestion plus étroite de l’économie par l’Etat. La centralisation du pouvoir a conduit à une détérioration des relations entre la Chine et ses partenaires occidentaux et celle-ci menace aussi les perspectives de croissance chinoises.

GRAPHIQUE 1 Croissance du PIB de la Chine (en %)

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En un peu plus de quatre décennies, la Chine a cessé d’être l’un des pays les plus pauvres au monde, avec un PIB par tête réel de seulement 156 dollars en 1978, pour rejoindre les rangs des pays à revenu intermédiaire de tranche supérieure avec un PIB réel par tête de 12.720 dollars en 2022 (cf. graphique 2). La croissance chinoise frappe tout particulièrement lorsque l’on considère la taille de la population du pays, l’immensité de son territoire et sa grande hétérogénéité. Selon les critères du revenu national établis par la Banque mondiale, la Chine est devenue un pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure en 2001 et elle est devenue un pays à revenu intermédiaire de tranche supérieure en 2010. En comparant le PIB réel par tête de la Chine avec celui des Etats-Unis en termes de parités de pouvoir d’achat (PPA) (ce qui prend en compte les différences en termes de coûts de la vie entre les deux pays), le PIB réel par tête de la Chine représentait 28,4 % de celui des Etats-Unis en 2022, contre 4,1 % en 1990.

GRAPHIQUE 2 PIB par tête de la Chine (en milliers de dollars)

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Le miracle de la croissance chinoise a été, en grande partie, le résultat de l’adoption de réformes orientées vers le marché et de la mondialisation. L’établissement de relations diplomatiques formelles avec les Etats-Unis en 1978 a ouvert la voie à un cercle vertueux : les réformes internes de la Chine ont graduellement décentralisé la prise de décision économique, introduit le marché comme un mécanisme de plus en plus important pour l’allocation des ressources, ouvert la porte aux investissements étrangers et significativement accru les échanges commerciaux, ce qui a en retour favorisé l’adoption de nouvelles réformes de marchés. La première grande réforme a été l’introduction du système de responsabilité des ménages, qui donna aux agriculteurs une plus grande autonomie dans leur prise de décision. Dans les années 1980, les zones économiques spéciales ont été établies dans les zones côtières. (…) Ces zones attirèrent les investissements étrangers et expérimentèrent des politiques orientées vers le marché. En outre, les réformes dans la fixation des prix furent graduellement mises en place, à partir de 1979. En 1992, lors de son 14ème Congrès national, le Parti communiste chinois intégra officiellement l’idée d’une économie de marché dans l’idéologie socialiste de la Chine. De nouvelles réformes, touchant notamment la propriété publique des entreprises, le système juridique, la politique budgétaire et la banque centrale, aussi bien que la création de marchés de facteurs, un filet de sécurité sociale et un impôt sur le revenu pour les particuliers, firent du système de marché hybride le principal pilier de l’économie chinoise plutôt qu’un simple complément à la planification centrale. Ces réformes d’ampleur permirent à la Chine d’accéder à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2011 et cette accession amena la Chine à s’engager à adopter de nouvelles réformes de libéralisation des marchés et d’intégration à l’économie mondiale. Le commerce extérieur de la Chine explosa et, en 2007, les exportations représentèrent 32 % du PIB chinois.

De larges gains de productivité ont alimenté la croissance économique chinoise jusqu’en 2007. Entre 1990 et 2007, la productivité chinoise croissait au rythme moyen de 4,5 % par an. Les périodes avec la croissance de la productivité la plus rapide coïncident avec la croissance rapide des entreprises des villes et villages au milieu des années 1980, la réforme des entreprises publiques au milieu des années 1990 et l’explosion du commerce extérieur chinois et de l’entrée des investissements étrangers suite à l’accession de la Chine à l’OMC en 2001. Des réallocations à grande échelle de la main-d’œuvre de l’agriculture vers les secteurs de l’industrie et des services et du capital des entreprises publiques (peu productives) vers des entreprises privées plus productives ont contribué à la croissance de la productivité.

Depuis 2007, la croissance de la productivité chinoise a stagné juste au-dessus de 1 % par an. La crise financière mondiale de 2007-2009, qui a débuté avec les défauts à grande échelle sur les marchés du crédit hypothécaire aux Etats-Unis, a ébranlé la confiance de la Chine vis-à-vis du système financier de style occidental et a pu avoir joué le rôle de catalyseur dans la résurgence des entreprises publiques. Avant 2008, les gouvernements locaux chinois n’avaient pas l’autorisation d’emprunter, mais un plan de relance de 4.000 milliards de renminbis a permis aux gouvernements locaux d’emprunter via des véhicules de financement publics et d'aiguillonner l’investissement, évinçant l’investissement du secteur privé. La relance de 4.000 milliards de renminbis déployée en 2008 et le boom subséquent dans l’investissement dans les infrastructures et l’immobilier ont soutenu le taux de croissance de la Chine autour de 10 % par an jusqu’à 2011. Mais ces investissements financés par la dette ont aussi semi les germes des problèmes d’endettement auxquels les promoteurs chinois et les gouvernements locaux font actuellement face.

A partir des années 2010, le gouvernement chinois a commencé à jouer un plus grand rôle dans les entreprises privées. D’une part, il a augmenté sa participation au capital de plusieurs entreprises privées. Alors que la part des entreprises entièrement publiques avait décliné au cours du temps, la part d’entreprises avec une participation de l’Etat d’au moins 10 % dans le capital a augmenté, passant de 50 % à 60 % de 2012 à 2017. D’autre part, les dirigeants du Parti communiste chinois sont davantage intervenus dans la gouvernance des entreprises. En 2002, moins de 27 % des sociétés privées possédaient une cellule du parti. Mais en 2018, les régulateurs de la Chine exigèrent l’établissement d’une cellule du parti dans toute société désirant être cotée en Bourse. Les plus hauts-dirigeants chinois ont de plus en plus évoqué un accroissement de l’engagement du parti dans les sociétés privées, appelant à l’ouverture de cellules du parti pour mieux comprendre et interagir avec les sociétés privées et aider "à améliorer leur structure de gouvernance d’entreprises". Finalement, à partir de 2020, les dirigeants chinois ont commencé à se montrer plus durs en matière de régulation avec les entreprises chinoises. En novembre 2020, par exemple, l’introduction en Bourse d’Ant Financial a été brusquement suspendue suite à un discours du président d’Alibaba, Jack Ma, critiquant les régulateurs financiers chinois pour être trop conservateurs. Même s’il y a des justifications en matière de réglementation derrière, ces règles n’ont pas été mises en œuvre avec la délibération habituellement en cours en Chine et elles ont été perçues par beaucoup comme ciblant sélectivement certains secteurs et certaines entreprises, en l'occurrence les entreprises privées plutôt que les entreprises publiques.

Des travaux suggèrent que la politique industrielle de la Chine n’a connu qu’un succès limité dans la promotion de la productivité. Plusieurs études ont trouvé des cas où les subventions publiques ne se sont pas accompagnées d’avancées en termes de productivité. Par exemple, plutôt que d’encourager l’innovation, les crédits d’impôts pour les entreprises qui dépassèrent un certain seuil dans l’investissement en R&D ont conduit certaines firmes à requalifier certaines dépenses administratives comme des investissements en R&D. Une autre étude n’a guère constaté que le gouvernement chinois choisissait des "gagnants" lorsqu’il allouait des subventions (…).

Alors que les relations avec l’Occident se dégradaient, les dirigeants chinois se sont tournés vers une prise de décision davantage centralisée et ont ralenti la mise en œuvre des réformes orientées vers le marché qui avaient été annoncées lors du Troisième Plénum du 18ème Congrès du Parti communiste. (…)

Le miracle de croissance chinois a reposé sur des réformes orientées vers le marché et une ouverture au monde de économie chinoise. La Chine fait face aujourd’hui à d’importants problèmes structurels, comme le ralentissement de la croissance et un vieillissement de la population qui menacent les perspectives de croissance futures, même après la reprise suite aux chocs pandémiques et à la sévère contraction dans son secteur immobilier. Cependant, ces problèmes structurels pourraient être réglés plus efficacement par une reprise des réformes de marché et, si celles-ci étaient en œuvre, je crois que la Chine pourrait continuer d’avoir une croissance potentielle supérieure à 6 % par an pour les dix à quinze prochaines années. Cependant, cela dépendra largement de la façon par laquelle les dirigeants gèrent l’économie politique interne, en particulier du rôle de l’Etat dans la prise de décision économique, et de la relation entre la Chine et l’occident, qui vont déterminer l’accès de la Chine aux technologies, systèmes financiers et marchés étrangers. Si les dirigeants continuent de se détourner des réformes de marché pour privilégier une prise de décision centralisée, une allocation des ressources planifiée par le haut et une marginalisation des entreprises privées, alors la productivité et la croissance économique pourraient se détériorer davantage. La Chine, les Etats-Unis et le reste du monde en souffriraient. »

Hanming Fang, « What explains China’s economic slowdown? », EconoFact, 8 novembre 2023. Traduit par Martin Anota



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