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Tag - paradoxe d Easterlin

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jeudi 6 novembre 2014

Le lien entre argent et bonheur est fragile

GRAPHIQUE Part de la population dans une sélection de pays notant sa satisfaction de vivre entre 7 et 10 (sur une échelle de 0 à 10, en %)

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source : The Economist (2014)

samedi 11 janvier 2014

Un nouvel examen de la relation entre PIB et satisfaction de vivre

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« Le débat quant à savoir si avoir un plus haut revenu dans un pays donné se traduit par une hausse de la satisfaction de vie est d’une importance cruciale pour des raisons scientifiques et politiques. Par exemple, si l’on pense que la réponse à la question est fondamentalement affirmative, alors les mesures alternatives de la richesse d’une nation sont redondantes et les mesures traditionnelles du produit intérieur brut suffisent. Par contre, si la réponse est négative, alors il est nécessaire de réévaluer ce que les politiques publiques prennent comme critère de performance.

Le débat est toujours ouvert. Dans une étude bien connue, Richard Easterlin (1974) ne décela aucune relation significative entre le bonheur et le revenu agrégé dans une analyse de séries temporelles. Par exemple, Easterlin montre que le revenu par tête aux Etats-Unis a presque doublé entre 1974 et 2004, mais que le niveau moyen de bonheur n’a pas vraiment connu de réelle tendance à la hausse. Ce résultat déconcertant, appelé "paradoxe d’Easterlin", a été confirmé par des études similaires menées par les psychologues et les politologues (notamment Ronald Inglehart en 1990 dans son livre La Transition culturelle dans les sociétés industrielles avancées) et elle a été confirmée pour les pays européens (…). D’un autre côté, la satisfaction de vie apparaît être croissante de façon strictement monotone avec le revenu lorsque l’on étudie cette relation en comparant différents pays à un instant donné.

Pour réconcilier les résultats empiriques transversaux avec le paradoxe d’Easterlin, certains ont suggéré que la relation positive dans le bonheur disparaît au-delà d’une certaine valeur du revenu. Cette dernière interprétation a été mise en question par Layard (2005) et Angus Deaton (2008), qui affirment qu’il y a une relation positive entre le PIB et la satisfaction de vivre dans les pays développés. Ce résultat-là est à son tour mis en doute par Easterlin, McVey, Switek, Sawangfa et Zweig (2010) qui fournissent quelques preuves empiriques suggérant qu’il n’y a pas d’effet à long terme, même pour les pays en développement.

A la différence des précédentes études, nous menons notre analyse sans imposer une forme fonctionnelle particulière au modèle économétrique ; donc nos conclusions vont être indépendantes de toute hypothèse sur la fonction liant le bonheur au revenu que nous estimons. (…) La seconde caractéristique méthodologique de notre analyse est l’introduction d’un effet spécifique à chaque pays pour contrôler les variables inobservables spécifiques à chaque pays qui ne varieraient pas au cours du temps, ce qui permet d’éliminer une source potentielle d’erreurs de mesure spécifiques aux pays et biais associés aux variables omises. L’introduction de ce contrôle est crucial pour l’analyse basée sur données d’enquête, parce les questions sont généralement différents d’un pays à l’autre et qu’il existe des effets persistants associés à la culture et au langage. (….)

Nous montrons que la satisfaction de vivre s’accroît fortement avec le PIB dans les pays à faible revenu, mais que la relation devient beaucoup moins pentue au-delà d’un PIB de 10000 dollars, puis qu’elle s’aplatie pour les pays avec un PIB au-delà de 15000 dollars. La satisfaction de vie tend à décliner avec le PIB dans les plus riches pays, suggérant l’existence d’un point de béatitude qui se situe dans l’intervalle entre 26000 et 30000 dollars américains en parité de pouvoir d’achat.

Dans une deuxième analyse, nous nous focalisons sur les observations régionales parmi 14 pays de l’Union européenne (l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède), avant l’inclusion des pays d’Europe de l’Est. Nous obtenons des résultats similaires dans la relation entre satisfaction de vivre individuelle et PIB régional. Les données montrent une relation clairement positive entre le revenu agrégé et la satisfaction de vivre dans les plus pauvres régions, mais cette relation s’aplatit et devient négative pour les plus riches régions, avec un point de béatitude entre 30000 et 33000 dollars américains en parité de pouvoir d’achat.

GRAPHIQUE Satisfaction de vivre moyenne et revenus agrégés dans 14 régions de l'union européenne

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Dans notre troisième analyse, nous recherchons une explication à nos précédents résultats. Nous montrons avec un exemple simple que si la relation entre le PIB et la satisfaction de vie est le résultat d’effets d’aspirations à accroître le revenu personnel ou une cible croissante en termes de revenu de comparaison, alors l’effet net sur la satisfaction de vie n’est pas nécessairement monotone. (…) Si la probabilité de réaliser ses aspirations est décroissante avec les aspirations, cela peut générer un effet négatif sur la satisfaction de vive qui peut annuler l’effet positif direct du revenu. Nous testons cette hypothèse en utilisant les données relatives aux 14 pays européens et trouvons l’effet positif habituel dû au revenu personnel et un effet négatif dû à la distance négative entre le revenu personnel et le PIB régional. En utilisant la théorie moderne de la personnalité, nous affirmons que ce second effet peut être relié à l’effet négatif induit par la distance par rapport au revenu-cible. (…)

Ces résultats tendent à soutenir l’idée que le conflit entre les analyses spatiales (présentant une relation positive entre PIB et satisfaction de vie) et les analyses temporelles (qui ne trouvent généralement pas de relation) peuvent être réconciliées si l’effet positif du PIB disparaît après quelque point de béatitude. De plus, notre analyse suggère une relation non monotone entre le PIB et la satisfaction de vie vers la fin du spectre des pays riches avec une satisfaction de vivre qui diminue légèrement après un point de béatitude. (…)

Il est bien connu que la satisfaction de vivre est croissante avec le revenu personnel à un taux décroissant. Layard, Mayraz et Nickell (2008) constatent que la satisfaction de vie marginale au regard du revenu décline à un taux plus rapide que celle impliquée par une fonction d’utilité logarithmique. Ce constat est particulièrement soutenu par Daniel Kahneman et Angus Deaton (2010) qui affirment, en utilisant les données relatives aux Etats-Unis, que l’effet du revenu sur la dimension émotionnelle du bien-être est légèrement décroissante jusqu’à un revenu annuel de 75000 dollars, mais n’a pas davantage d’influence positive pour de plus hautes valeurs. Cependant, une considérable littérature qui s’est développée autour du paradoxe d’Easterlin suggère que ce lien est compliqué par l’existence d’autres effets agissant dans un sens opposé. Le premier effet est que les aspirations s’adaptent aux nouvelles situations, une idée qui a été avancée à l’origine par Brickman et Campbell (1971) et qui a récemment été réexaminée par Headey, Muffels et Wagner (2010). (…) Le second est l’effet du revenu relatif sur la satisfaction de vie individuelle (l’hypothèse d’une « rivalité avec les voisins ») une idée qui remonte au moins à James Duesenberry (…).

Notre analyse implique que la croissance à long terme du PIB est certainement désirable parmi les plus pauvres pays, mais est-ce une chose également désirable pour les pays développés ? La analyse empirique qui a été récemment réalisée par Benjamin, Heffetz, Kimball et Rees-Jones montre que l’effet négatif des hautes aspirations peut aussi être prévu rationnellement par des individus qui, certes peuvent toujours choisir les options qui ne maximisent pas toujours le bonheur, mais qui sont compatibles avec des aspirations de hauts revenus. Ceci implique que les individus peuvent toujours préférer vivre dans les pays les plus riches, même si ceci se traduirait par un moindre niveau de satisfaction de vivre. En d’autres termes, le fait que les individus aspirent à un revenu plus élevé peut ne pas être considéré, d’un point de vue individuel, comme un aspect négatif d’une économie, même si cela peut se traduire dans un moindre niveau de satisfaction de vivre reportée parmi les plus riches pays. Enfin, il est peut-être utile de noter que nos corrélations entre indices de bien-être et indices de richesse agrégée n’impliquent par nécessairement une relation de causalité allant du PIB à la satisfaction de vie. Cette relation est en effet très compliquée, puisque la présence de variables omises et l’existence de causalités inverses ne peuvent être exclues, comme de récentes études l’ont souligné. »

Eugenio Proto et Aldi Rustichini (2013), « A reassessment of the relationship between GDP and life satisfaction », in PLoS ONE, vol. 8, n° 11, novembre. Traduit par Martin Anota

dimanche 27 janvier 2013

Petit retour sur le paradoxe d’Easterlin : quel est le lien entre revenu et bien-être subjectif ?

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« Depuis Richard Easterlin (1974), les chercheurs pensaient que (…) le revenu relatif constituait le principal déterminant du bien-être subjectif. Dans son article fondateur, Easterlin demanda "est-ce que la croissance économique améliore le sort de l'homme ?" Il a répondu : non. Il a commencé par montrer que, par rapport aux populations pauvres, les riches dans un pays donné font part d’un plus grand bien-être (celui-ci étant mesuré par les auto-déclarations de bonheur, de satisfaction de vie et d’autres concepts connexes). Nul ne conteste cette observation.

Easterlin a fait valoir que comparer cette constatation aux données transnationales sur le bien-être et de revenus nous aide à déterminer si la forte relation entre le bien-être et des revenus dans les pays reflète les avantages conférés par le revenu absolu ou bien par la position relative de chacun dans la société. Selon l'interprétation privilégiant le revenu absolu, un plus grand revenu est associé à un plus grand bien-être en raison des avantages apportés par une plus grande prospérité : une plus grande consommation, une plus large variété de choix et moins de contraintes pour survivre. Selon une autre conception, cependant, il est important d’avoir plus d'argent que les autres parce que nous aimons avoir plus d'argent que les autres : nous voulons avoir des comptes bancaires plus remplis, de plus grandes maisons, de plus belles voitures que nos pairs. Ces possibilités, bien sûr, ne sont pas mutuellement incompatibles et le bien-être peut refléter en partie chacune des deux. Mais Easterlin s’est appuyé sur les comparaisons nationales et plus tard sur les données chronologiques pour affirmer que la relation entre le revenu et le bien-être provient presque entièrement des préoccupations des revenus relatifs. Son argument était simple. Si seul le revenu absolu importait, alors le bien-être de chacun devrait augmenter lorsque tout le monde s’enrichit. Mais si seul le revenu relatif importe, alors quand tout le monde s’enrichit, le bien-être de chacun ne devrait pas augmenter, car personne ne devient relativement plus riche que les autres. (…)

Ainsi, Easterlin (1974) a examiné des données transnationales et trouvé une relation statistiquement insignifiante entre le produit intérieur brut par habitant (une mesure du revenu moyen) et le bien-être. Et en observant la croissance économique, il a de nouveau trouvé une relation statistiquement insignifiante entre le revenu et le bien-être. (Voir également Easterlin, 1995, et Easterlin et alii, 2011). Easterlin en a donc conclu que, puisque parmi les gens dans un pays donné, à un moment donné, le revenu et le bien-être évoluent de concert, alors qu’entre les pays, ils sont pratiquement indépendants, seul le revenu relatif est important.

Cette conclusion a d'importantes implications pour la politique et pour la science. Si la hausse du revenu ne soulève pas le bien-être, la politique devrait se concentrer sur d'autres objectifs que la croissance économique. Et étant donné le rôle central du revenu relatif, les chercheurs ont consacré beaucoup de temps et d'énergie à tenter de comprendre pourquoi les préoccupations relatives sont si importantes.

Mais Easterlin a-t-il raison ? Les données accumulées ces dernières décennies montrent que le paradoxe d'Easterlin repose sur des affirmations empiriques qui s’avèrent tout simplement fausses. En fait, les pays riches jouissent d’un bien-être subjectif sensiblement plus élevé que les pays pauvres, et comme les pays s'enrichissent, leurs concitoyens voient leur bien-être s’élever. En outre, la relation quantitative entre le revenu et le bien-être est la même, que nous regardions entre les gens, entre les pays, ou bien dans un seul pays lorsqu’il s'enrichit. Cela renverse l'argument d'Easterlin : si la différence de bien-être entre pays riches et pays pauvres est environ la même que la différence de bien-être entre les riches et les pauvres, alors le revenu absolu est certainement le principal facteur qui détermine le bien-être. (…)

Notre propre étude a permis de clarifier la relation entre le bien-être et de revenu, et nous concluons avec cinq faits stylisés. Tout d'abord, les personnes les plus riches rapportent un plus grand bien-être que les plus pauvres. Deuxièmement, les pays riches ont un bien-être par habitant plus élevé que les pays pauvres. Troisièmement, la croissance économique au cours du temps est liée à une augmentation du bien-être. Quatrièmement, il n’y a pas de point de satiété au-delà duquel la relation entre le revenu et le bien-être diminue. Et cinquièmement, l'ampleur de ces relations est à peu près égale. Ensemble, ces faits suggèrent un rôle important pour le revenu absolu (…). Ce fait en lui-même suggère également que le revenu relatif est moins important, bien que nos résultats ne soient pas suffisamment précis pour exclure un rôle significatif du revenu relatif dans le bien-être.

Pourquoi nos résultats diffèrent-ils de ceux d'Easterlin et de la littérature antérieure ? Lorsque les chercheurs ont commencé à étudier le bien-être comparatif dans les années soixante-dix, les données n'étaient disponibles que pour une poignée de pays. Par conséquent, Easterlin (1974) n’est pas parvenu à trouver une relation statistiquement significative entre le bien-être et le PIB, bien qu’en fait la relation estimée fût positive. Cette incapacité à obtenir des résultats statistiquement significatifs reflète la puissance limitée d'un test basé sur un échantillon restreint de pays et non la découverte d’une relation estimée précisément nulle. (…) Il ne pouvait rejeter ni la présence du paradoxe d'Easterlin, ni l'absence totale d’un tel paradoxe. Il y avait tout simplement trop peu de données pour avoir la précision nécessaire pour parvenir à une conclusion allant dans un sens ou dans l’autre.

Au cours des décennies qui ont suivi, de nouvelles données sont apparues et notre recherche a utilisé ces nouvelles données disponibles pour estimer avec précision la relation transnationale entre le bien-être et le revenu. Les comparaisons de séries chronologiques sont restées l’ultime et plus difficile enjeu dans le débat sur le bien-être et le revenu. Comme pour les comparaisons entre pays dans les années soixante-dix, le manque de données cohérentes sur l’évolution du bien-être au cours du temps empêcha les chercheurs d'aboutir à des conclusions définitives. Alors que de nombreux chercheurs n’avaient pas réussi à trouver la preuve que le bien-être moyen augmente avec le PIB, cela reflète largement la pouvoir statistique insuffisant pour rejeter l'hypothèse nulle selon laquelle les effets sont inexistants ; cette même imprécision signifie qu’ils ne parvenaient pas non plus à rejeter l'hypothèse nulle selon laquelle la relation dans le temps entre le bien-être et le revenu est d'une ampleur similaire à celle observée dans les comparaisons internationales. »

Daniel W. Sacks, Betsey Stevenson et Justin Wolfers, « The new stylized facts about income and subjective well-being », IZA discussion paper, n° 7105, décembre 2012