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Tag - taux de change

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vendredi 24 mars 2023

Cinquante ans de flottement

« Ce mois-ci marque le cinquantième anniversaire du mois (mars 1973) où le dollar, le yen, le deutschemark, la livre sterling et d’autres devises commencèrent à flotter, leurs valeurs relatives étant depuis lors déterminées par les marchés des changes plutôt que par les gouvernements. L’abandon du système de Bretton Woods des taux de change fixes a généralement été considéré comme un échec. Le passage des taux de change fixes aux taux de change flexibles a toutefois probablement résulté d’un processus de long terme inévitable, naturel.

Le système de Bretton Woods

Le système monétaire international qui a été conçu à Bretton Woods, en 1944, était l’une des composantes de l’ordre international d’après-guerre. Cet ordre, qui a aussi reposé sur plusieurs cycles de négociations visant à libéraliser le commerce, nous a permis de connaître des décennies de paix et de prospérité sans précédent.

Il est tentant de croire que le système de Bretton Woods a duré presque trente ans, qu’il a coïncidé avec la période de croissance économique mondiale rapide que les Français appellent les « Trente Glorieuses ». Mais, dans un sens, le système n’a vraiment fonctionné qu’une année.

Il n’a pas vraiment été en vigueur avant 1958, tant que les économies d’Europe de l’ouest n’avaient pas connu suffisamment de croissance pour être capables de restaurer la convertibilité de leurs devises en dollars (en éliminant les contrôles de change pour les transactions du compte courant). Ce fut au cours de l’année suivante, en 1959, que les engagements en dollars vis-à-vis des étrangers dépassèrent la valeur des réserves d’or détenues par les autorités américaines. Le professeur de Yale Robert Triffin prit conscience de l’importance de ce signal, diagnostiqua correctement le problème inhérent à un système basé sur le dollar et prédit qu’il finirait par s’effondrer. Selon le dilemme de Triffin, si le reste du monde continuait de gagner suffisamment de dollars américains (la devise de réserve de facto) pour que leur économie fonctionne, les investisseurs finiraient par perdre confiance dans le dollar. La hausse des engagements en dollar s’accéléra après 1965 avec les impulsions budgétaire et monétaire inflationnistes aux Etats-Unis associée à la Guerre du Vietnam.

Le passage au flottement

Les tensions culminèrent lors des événements tumultueux de 1971, quand le président américain Richard Nixon suspendit la possibilité pour les autres gouvernements de convertir les dollars en leur possession en or et dévalua le dollar de 11 % (l’accord du Smithsonian), et de 1973, quand les principaux ancrages furent abandonnés pour de bon. Le nouveau système de taux flottants a prouvé son utilité un peu plus tard lors de l’année 1973, quand la dépréciation automatique des devises des économies les plus dépendantes du pétrole, notamment le yen japonais, les aida à atténuer le choc de l’embargo arabe et le quadruplement subséquent du prix du pétrole.

L’effondrement de la stabilité des taux de change ne s’apparente pas à un précipice. Tout d’abord, il a été préfiguré par les réalignements en 1967, quand la livre sterling fut dévaluée de 14 %, et en 1969, quand le deutschemark fut réévalué de 9 %. En outre, le passage à la flexibilité se généralisa après 1973. Initialement, les plus petites devises restèrent ancrées. Mais durant les décennies ultérieures, la tendance parmi les pays émergents et en développement de taille intermédiaire a été d’abandonner les cibles de taux de change pour se rapprocher de la flexibilité.

Le choix d’un régime de change résulte d’un arbitrage entre avantages et inconvénients. Les avantages des taux de change fixes incluent : la facilitation des échanges commerciaux et de l’investissement en réduisant le risque de change et les coûts de transaction ; la fourniture d’une ancre nominale que la politique monétaire peut facilement suivre ; le fait de s’épargner deux problèmes qui surviennent parfois avec les taux de change flottants, en l’occurrence les dépréciations compétitives ("les guerres de devises") et les bulles spéculatives. Les avantages des taux de change flottants incluent : la capacité à fixer la politique monétaire indépendamment des autres pays ; l’ajustement automatique des chocs commerciaux ; le maintien du seigneuriage pour le gouvernement national (le privilège de créer de la monnaie pour financer les dépenses publiques) ; le maintien de la protection apportée par le prêteur en dernier ressort pour le système bancaire ; et le fait d’éviter les attaques spéculatives qui affligent parfois les taux de change ancrés.

Graduellement au cours des cinquante dernières années, de plus en plus de pays ont jugé que, pour eux, les avantages des taux de change flottants l’emportaient sur les avantages des taux de change fixes. Une inversion temporaire de cette tendance commença en 1985, quand certains pays, en particulier en Amérique latine, retournèrent à des cibles de taux de change pour contenir l’inflation (l’avantage de l’ancrage nominal). Mais la tendance vers la flexibilité reprit après 1994, quand une attaque spéculative força le Mexique d’abandonner sa cible de taux de change, suivi par la Thaïlande, la Corée du sud, l’Indonésie, la Russie, le Brésil, l’Argentine, la Turquie et bien d’autres pays. (Une autre grosse exception à la tendance globale vers des taux davantage flexibles a été la création en 1999 d’une devise commune à onze pays européens, l’euro, désormais partagée par vingt pays.)

Une variété d’accords se situe quelque part entre les extrêmes que sont le pur flottement et l’ancrage sur une autre devise : ils incluent les bandes (les zones-cibles), les paniers, les parités mobiles, les clauses de sortie et les flottements administrés systématiques.

La plupart des devises majeures (le dollar américain, l’euro, le yen, la livre sterling, le dollar australien et le dollar canadien) ont flotté presque librement. Certains jugèrent les taux de change trop volatiles et appelèrent à des interventions sur le marché des chances. Ce fut une période d’interventions concertées occasionnelles, notamment avec l’effort coordonné du G5 pour baisser le dollar avec l’Accord du Plaza de 1985. Mais les interventions se firent rares après 1995.

Guerres de devises et guerres de devises inversées

Après 1973, il y a eu une prohibition des manipulations de devises "déloyales". Depuis 2003, les politiciens américains craignent que la Chine maintienne de façon déloyale sa monnaie sous-évaluée : la banque centrale chinoise est intervenue fréquemment, en vendant des yuans et en achetant des dollars. En recourant notamment à l’expression de "guerre de devises" (currency war), les responsables brésiliens ont accusé les Etats-Unis et le Japon de sous-évaluation déloyale en 2010-2011.

Mais parmi les pays développés, la dernière grande intervention sur le marché des changes pour dévaluer une devise a été l’effort coordonné pour aider le Japon à faire face aux répercussions du séisme de Tohoku en 2011. En février 2013, le G7 se mit d’accord pour ne pas se lancer dans des guerres monétaires, en se promettant de s’empêcher de chercher délibérément à baisser la valeur de ses devises, que ce soit directement via les interventions sur les marchés des changes ou indirectement via l’expansion monétaire, dans un accord peu connu. En vérité, même la Chine a cessé de contenir l’appréciation de sa devise en 2014 et cherche depuis à combattre sa dépréciation.

Ces derniers temps, il ne semble pas y avoir de guerres de devises. En fait, on craint plutôt les "guerres de devises inversées". A une époque où les pays s’inquiètent moins des déficits commerciaux, mais s’inquiètent davantage de la lutte contre l’inflation, ils se lancent dans des hausses de taux d’intérêt, ce qui conduit à une appréciation, et non à une dépréciation, de leur devise. Certains pays ne sont pas satisfaisants que le dollar se soit apprécié de 14 % au cours des deux dernières années (en l’occurrence entre mars 2021 et mars 2023), atteignant son troisième plus grand pic depuis qu’il a commencé à flotter en 1973. (La population américaine ne l’a même pas noté.)

Certains regrettent le système monétaire d’avant-guerre ou même l’étalon-or. Mais l’effondrement du système de Bretton Woods en 1973 n’a pas été l’équivalent monétaire du naufrage du Titanic. Le dernier demi-siècle a été marqué par l’émergence d’un nouveau système, d’un meilleur système, qui est resté en place pendant cinquante ans malgré de fréquentes turbulences. »

Jeffrey Frankel, « The demise of dollar dominance? », in Econbrower (blog), mars 2023. Traduit par Martin Anota



« La géographie des régimes de change en ce début de vingt-et-unième siècle »

« Le système de change en ce début de vingt-et-unième siècle »

« Les Accords du Plaza, 30 ans après »

« La flexibilité des taux de change accélère-t-elle la résorption des déséquilibres courants ? »

« La Fed et le cycle financier mondial »

samedi 7 avril 2018

Quelles sont les répercussions macroéconomiques des variations du taux de change ?

« Les effets macroéconomiques des variations du taux de change font depuis longtemps l’objet de débats en économie internationale. Traditionnellement, les commentaires se sont essentiellement focalisés sur la relation entre le taux de change effectif et le solde commercial. Cependant, le processus de globalisation financière a entraîné un fort accroissement des positions en actifs et passifs étrangers, mais aussi une plus grande dispersion des positions en devises étrangères, plusieurs pays constituant soit de larges créanciers nets, soit de larges débiteurs en devises étrangères. Cette évolution a amené les économistes à ne peut considérer le solde commercial et à élargir la focale pour prendre en compte les bilans externes des pays. Cette note passe brièvement en revue la littérature sur l’impact macroéconomique des variations du taux de change.

On peut considérer le taux de change et l’économie réelle d’un pays comme étant sous l’influence de forces communes, comme la politique monétaire domestique et les politiques monétaires étrangères ou encore la demande domestique et la demande étrangère. Si, par exemple, la politique monétaire domestique est restrictive, cela doit avoir des effets récessifs sur la production et entraîner une appréciation du taux de change. Mais est-ce que l’appréciation amplifie ou atténue (ceteris paribus) l’effet initial du resserrement monétaire sur l’économie réelle ? Ou, plus généralement : comment les variations du taux de change affectent l’économie ?

Traditionnellement, les économistes se sont focalisés sur le solde commercial


Traditionnellement, la discussion s’est focalisée sur l’effet que le taux de change effectif peut exercer sur le PIB via le solde commercial (c’est-à-dire le canal du commerce). La croyance conventionnelle en macroéconomie ouverte est que, toute chose égale par ailleurs, une appréciation du taux de change effectif a des effets récessifs sur l’activité en raison d’une chute des exportations nettes. Cette conclusion se base de la « condition Marshall-Lerner ». En s’appuyant sur cette condition, Mundell (1963) et Fleming (1962) ont étendu le cadre analytique du modèle IS-LM classique en introduisant un environnement en économie ouverte pour capturer la relation entre une petite économie ouverte et le reste du monde.

La mécanique du modèle va comme suit : une hausse de l’activité économique domestique, disons en raison d’une relance budgétaire, entraîne une hausse de la demande de liquidité, ce qui pousse le taux d’intérêt domestique au-dessus du taux d’intérêt mondial. Si la mobilité des capitaux est imparfaite, les épargnants étrangers placent des capitaux dans la petite économie ouverte pour profiter des écarts de taux d’intérêt et, par conséquent, la devise domestique s’apprécie. Cette appréciation va accroître le prix des biens exportés et réduire celui des biens importés, ce qui entraîne au final une baisse des exportations nettes et, donc, une chute de la production.

… mais il y a aussi des effets de second tour bénéfiques pour la croissance


Cependant, une appréciation peut aussi stimuler l’activité via le canal du commerce si la condition Marshall-Lerner n’est pas vérifiée. Par exemple, l’offre globale peut augmenter grâce à la chute du prix des biens intermédiaires qui sont importés. Si ces effets sont plus forts que la baisse des exportations, l’effet global d’une appréciation sera expansionniste. Kim et Ying (2007) discutent de ce cas et présentent certaines preuves empiriques allant dans ce sens pour les pays d’Amérique latine.

Analyses empiriques et modification du modèle de base


Cette approche classique visant à comprendre l’impact macroéconomique des variations du taux de change a fait l’objet de nombreuses études empiriques. Kim et Ying (2007) ont étudié la relation entre la croissance économique et l’appréciation de la devise et constaté que les dévaluations semblent avoir eu de puissants effets expansionnistes dans les pays d’Asie de l’est. Dans cette lignée, Bussière, Lopez et Tille (2014) ont aussi trouvé des preuves empiriques suggérant que l’appréciation a un impact négatif sur la croissance. De même, Kappler et ses coauteurs (2013) ont constaté que les exportations nettes et la production tendent à chuter suite à d’amples appréciations du taux de change pour un large ensemble de pays. De plus, les investigations empiriques portant sur des pays spécifique qu’ont réalisées Huh (1999) et Razzaque et ses coauteurs (2017) confirment aussi les implications du modèle Mundell-Fleming pour les économies australienne et bangladaise.

Avec la mondialisation financière, les positions en devises étrangères jouent un rôle crucial


Cependant, les économies ne sont pas liées les unes aux autres par les seuls flux commerciaux. En l’occurrence, au cours des deux dernières décennies, le processus de globalisation financière s’est traduit par une forte hausse des positions en actifs et passifs étrangers des pays, mais aussi par une plus grande dispersion dans les positions en devises étrangères, plusieurs pays étant soit de larges créanciers nets, soit de larges débiteurs nets en devises étrangères. En outre, les flux de portefeuille des Etats-Unis vers les pays émergents se sont rapidement accrus, en particulier au cours des années deux mille. Cela a amené les économistes à déplacer leur focale du solde commerciale vers les bilans externes des pays.

Blanchard et ses coauteurs (2015) se sont penchés sur la mondialisation financière en étudiant les effets de différents types de flux de capitaux sur le taux de change et la croissance. Ils affirment que la nature des entrées de capitaux dans le cas des appréciations est cruciale pour leurs effets économiques globaux. Dans leur modèle, les entrées de capitaux en obligations sont toujours récessives dans la mesure où elles entraînent juste une appréciation de la devise, ce qui se traduit alors par une baisse des exportations nettes. A l’inverse, les investissements étrangers hors obligations peuvent réduire leurs taux et donc réduire le coût de l’intermédiation financière, ce qui mène à un boom du crédit. Cet effet expansionniste sur la production peut dominer l’effet récessif résultant de l’appréciation associée à l’entrée initiale de capitaux. Cette évaluation théorique est soutenue par des estimations analysant un échantillon de pays émergents. L’impact macroéconomique des variations du taux de change via l’exposition aux devises étrangères est important pour les pays émergents. Comme l’ont notamment constaté Lane et Shambaugh (2010) et Bénétrix et ses coauteurs (2015), après la crise financière asiatique, les pays émergents ont commencé à améliorer leurs positions nettes en devises étrangères, principalement en raison de leurs excédents de compte courant et en augmentant le poids des actions, au détriment des obligations, dans leurs passifs. En 2004, les pays émergents étaient en moyenne détenteurs nets en devises étrangères, ce qui indique qu’une appréciation du taux de change peut avoir des effets récessifs sur l’économie domestique dans la mesure où la valeur des actifs étrangers diminue. Donc, une dépréciation du taux de change peut être expansionniste. Georgiadis et Mehl (2015), par exemple, constatent que l’effet des assouplissements monétaires domestiques, qui déclenchent une dépréciation du taux de change, est amplifié dans les pays avec une plus large position nette en devises étrangères. L’amélioration globale dans l’exposition nette en devises, cependant, masque souvent une hétérogénéité significative entre les secteurs. Si les gouvernements et les banques centrales dans les pays émergents ont de plus en plus accumulé des réserves de change, le secteur des entreprises reste souvent en large débiteur en devises étrangères, en particulier en dollars américains. McCauley et ses coauteurs (2015) estiment que le stock de dette libellée en dollar détenu par les agents non bancaires dans les pays émergents s’élevait à 3.300 milliards de dollars en mars 2015. Cette dette libellée en dollar est souvent adossée par des actifs et flux de trésorerie en devise locale, créant une asymétrie en termes de devises dans les bilans des entreprises.

De même, Bruno et Shin (2015) et Hofmann et ses coauteurs (2016) affirment que si une telle asymétrie dans le secteur privé existe, les variations du taux de change bilatéral du dollar américain peut affecter les conditions financières dans les pays émergents, via le « canal de la prise de risque » (risk-taking channel) : quand la devise locale s’apprécie vis-à-vis du dollar, les bilans des emprunteurs semblent plus robustes, ce qui améliore leur solvabilité. Les créanciers sont alors plus enclins à prêter davantage (…) et l’offre de crédit augmente, ce qui affecte directement les conditions financières. Donc, les entreprises débitrices font face à de meilleures conditions de crédit. L’amélioration des conditions de financement stimule l’investissement et exerce des effets expansionnistes sur l’économie domestique et améliore même la position budgétaire du gouvernement. Hofmann et ses coauteurs (2016) constatent qu’une appréciation de la devise vis-à-vis du dollar américain est associée à un assouplissement des conditions financières et à une hausse des afflux de portefeuille dans les fonds obligataires souverains des pays émergents. De plus, Bruno et Shin (2015) constatent, en étudiant les pays développés et les pays émergents, qu’une appréciation vis-à-vis du dollar est associée à une hausse des flux bancaires au cours du trimestre suivant.

Que disent les données empiriques internationales ? Effets commerciaux versus effets financiers


Kearns et Patel (2016) distinguent le canal commercial (tel qu’il apparaît dans la vision traditionnelle) du canal de la prise de risque en comparant les effets des variations des taux de change pondérés en fonction des échanges ou de la dette sur l’économie. Les données suggèrent que le canal de la prise de risque peut significativement être plus important que le canal commercial pour les pays émergents et que la magnitude du canal de la prise de risque est plus forte pour les pays émergents fortement endettés en devises étrangères. D’un autre côté, ils constatent que le canal commercial domine dans les pays développés. De plus, ils montrent que le canal de la prise de risque est particulièrement fort pour l’investissement, tandis que l’effet sur la consommation est négligeable. Ce résultat est confirmé par Avdjiev et ses coauteurs (2018) dont les constats suggèrent que le canal de la prise de risque domine le canal commercial pour les pays émergents. (…) »

Pablo Anaya, « The macroeconomic effects of exchange rate movements », in DIW Roundup, 20 février 2018. Traduit par Martin Anota