« Dans une colonne du New York Times, Paul Krugman fait valoir que l'économie chinoise va avoir de plus en plus fortes difficultés avec son modèle actuel de croissance. Il utilise l'expression que la Chine est sur le point d’heurter sa Grande Muraille (d'un point de vue économique). Il y a quelques années, Ilian Mihov et moi-même avions écrit un papier que nous avons appelé "The Great Wall" pour parler des enjeux auxquels de nombreux pays sont confrontés lorsqu’ils vont au-delà d'un certain niveau de développement. D'autres ont appelé ce dernier la "trappe à revenu intermédiaire" (middle-income trap). (…) »


Antonio Fatás, « China getting close to hit the Great Wall », in Antonio Fatás and Ilian Mihov on the Global Economy (blog), 19 juillet 2013.


« L'argument selon lequel la qualité des institutions est importante pour la croissance n'est pas nouveau et beaucoup ont déjà écrit à ce sujet, mais nous mettons l'accent sur l'évolution des relations entre les institutions et la croissance au cours des différents stades de développement. Dans les premières phases de la croissance, la relation entre les institutions et le revenu par habitant est très faible (il n’y a pas besoin de réforme radicale), alors qu’elle devient très forte pour des niveaux plus élevés de développement. Nous avons mis à jour notre graphique originel avec des données plus récentes (datant de 2010) et nous le présentons ci-dessous (la qualité des institutions correspond à la moyenne de six indicateurs de gouvernance produits par la Banque mondiale ; le PIB par habitant est calculé en termes de PPA).

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Les conclusions de nos travaux antérieurs demeurent. Le tableau suggère qu'il existe deux phases de croissance. Durant la première phase, la réforme institutionnelle est moins pertinente. Quand nous regardons le tableau, nous ne voyons presque pas de corrélation entre la qualité des institutions et le revenu par habitant pour de faibles niveaux de développement. Pour être clair, tout le monde est en croissance dans cette partie du graphique, ce qui suggère que quelque chose se passe dans les pays en croissance (en déplacement vers la droite). La réussite économique dans cette région est le résultat de bonnes "politiques" par opposition aux profonds changements institutionnels qui s’avèrent nécessaires plus tard (vous pouvez également les appeler "réformes économiques" par opposition aux réformes institutionnelles).

La deuxième phase de croissance concerne les pays ayant un niveau de PIB par habitant supérieur à 10,000 - 12,000 dollars. C'est dans cette deuxième phase que la corrélation entre les institutions et le revenu par habitant est forte et positive. Aucun pays riche n’a d’institutions faibles, donc la réforme institutionnelle apparaît comme une condition à la poursuite de la croissance.

Dans notre article originel, nous avons appelé cette région la "Grande Muraille" (Great Wall). Soit les économies franchissent la muraille pour devenir riche, soient elles la heurtent et y restent coincées. Les économies qui illustrent cette idée de prise au piège sont l'ex-Union soviétique qui s'est effondrée après s’être révélée incapable de "passer à travers" la muraille avec son cadre institutionnel ou encore les économies d'Amérique latine comme le Venezuela et l'Argentine qui ont des revenus autour de ce niveau et qui ne semblent pas mesure de déplacer leur économie à l'étape suivante.

Nous avons appelé ce seuil "La Grande Muraille" comme référence à la Chine, un pays qui, au cours des dernières décennies, a affiché la plus forte croissance du revenu par habitant au monde avec un ensemble d'institutions qui sont considérées comme faibles (du moins par rapport aux économies avancées). La Chine est mise en évidence dans notre graphique ci-dessus et nous pouvons voir qu’elle est encore dans la première phase de croissance, mais qu’elle se rapproche de plus en plus du mur. (…)

Il est difficile de caractériser les deux phases de croissance et d’expliciter les réformes nécessaires pour aller de l'une à l'autre. Les recommandations politiques ne sont par ailleurs pas forcément les mêmes pour les différents pays. Pour une analyse très détaillée de la réforme institutionnelle, je recommande vivement le livre de Daron Acemoglu et de James Robinson, Why Nations Fail. Leur travail met en évidence la nécessité de développer des institutions inclusives pour passer à la deuxième phase de croissance (vous découvrir leur réflexion sur leur blog et y trouver un lien vers leur livre). D'autres ont développé des conceptions alternatives pour réfléchir aux différentes phases de croissance. C'est le cas de Dani Rodrik qui met l'accent sur le rôle joué par les différents secteurs dans cette transition. »

Antonio Fatás, « The Great Wall and Chinese Reforms », in Antonio Fatás and Ilian Mihov on the Global Economy (blog), 26 mars 2012.

aller plus loin… lire « Eviter la trappe à revenu intermédiaire », « Les institutions comme source d’avantage comparatif » et « La croissance selon Rodrik ».